Traité des fortifications, ou Architecture militaire

Du 4 au 30 janvier 2021, dans le cadre du Livre ancien du mois, la bibliothèque Michel Foucault présente le Traité des fortifications de Georges Fournier.

La fortification enseignée par les jésuites

Qu’un jésuite soit à l’origine d’un traité sur la fortification n’est pas si étonnant qu’il pourrait paraître.

Georges Fournier (1595-1652), géographe, hydrographe, mathématicien, était membre de la Compagnie de Jésus. Il enseigna les mathématiques pendant plusieurs années, notamment au prestigieux collège jésuite de La Flèche. Rappelons que les mathématiques occupaient une place importante dans le ratio studiorum des collèges jésuites.

Les mathématiques pures étaient alors distinguées des mathématiques mixtes qui comprenaient l’optique, la mécanique, l’acoustique, l’astronomie, etc. Parmi ces mathématiques appliquées se trouvait aussi la fortification.

L’enseignement dans les collèges jésuites se voulait particulièrement adapté aux besoins des élèves, issus de la noblesse et future élite du Royaume. L’art de la fortification s’avérait essentiel à l’instruction de ces jeunes hommes appelés à servir leur roi, particulièrement dans le contexte de guerres quasi permanentes qui ravageaient l’Europe au XVIIe siècle. La première parution, en 1648, du traité de Fournier coïncida précisément avec la fin de la Guerre de Trente Ans.

Les traités d’architecture militaire au XVIIe siècle

Au cours du XVe siècle, les progrès de l’artillerie nécessitèrent de repenser la fortification. L’architecture défensive médiévale laissa la place à un nouveau système de défense, la fortification bastionnée, faite d’ouvrages complexes conçus par des ingénieurs militaires.

L’architecture militaire,‎ qui trouvait auparavant sa place dans les ouvrages généraux d’architecture, devint l’objet de traités spécialisés à partir du tout début du XVIIe siècle en France. La production éditoriale abondante dans ce domaine s’échelonna durant tout le Grand Siècle.

Jean Errard (1554-1610) fut l’un des premiers ingénieurs français à publier un traité de fortification, suivi par Antoine de Ville (1596-1657) ou encore Blaise-François de Pagan (1604-1665). Leurs ouvrages exposaient les principes d’une véritable science de la fortification et témoignaient de la naissance d’une École française de fortification.

Une seconde série de parutions fut ensuite, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, l’œuvre de pères jésuites, comme Georges Fournier (ou Pierre Bourdin et Claude-François Milliet de Chales). Vauban, ingénieur le plus illustre de la fortification bastionnée, était critique envers l’enseignement des jésuites en matière de fortification, qu’il jugeait théorique et inadapté à la pratique, aux réalités du terrain. L’ouvrage de Fournier, s’il n’a pas la technicité de ceux écrits par les ingénieurs militaires, ces hommes de terrain, n’en reste pas moins un compendium livrant les bases de l’art de fortifier.

Un vade-mecum de la fortification

Les « leçons » qu’il contient, divulguant « les rudiments d’une science », selon les termes de l’auteur dans l’épître dédicatoire, s’adressaient aux jeunes gens destinés au métier des armes, mais l’ouvrage pouvait aussi intéresser l’honnête homme. La guerre, et dans son sillage la fortification, affaire d’État et de société, était présente dans les conversations de salon où l’ouvrage, du fait de son très petit format, in-16, pouvait aisément être montré. L’auteur espérait aussi que la « brièveté » de son traité « donnera[i]t de l’agrément » à ses lecteurs.

Ce petit livre pratique se compose de deux parties. La première expose les principes de la conception, de l’élaboration des fortifications et montre comment appliquer ces règles. La présence d’un chapitre de maximes, suivi de chapitres explicatifs de celles-ci, manifeste l’intention didactique de l’auteur. On y apprend par exemple « Que la grande ligne de défense ne soit plus longue de 150 toises, ou 200 pas ; ce qui est l’espace dans lequel un mousquet commun a plus de force qu’il n’en faut pour frapper assurément un homme, et le tuer ».

La seconde partie, introduite par un titre-frontispice, offre 110 planches gravées sur cuivre, fines et précises malgré leur petite dimension, auxquelles se réfère la partie théorique. Une quarantaine de ces planches représentent plans, élévations ou vues cavalières de places fortes existantes (Sestos et Abydos du détroit des Dardanelles, Arras, Roses, etc.). Elles sont suivies de plans types formés de polygones (du tétragone au dodécagone), figures géométriques de base des fortifications bastionnées. Puis sont proposés divers autres plans (fortins, ouvrages à cornes, etc.) et des détails d’ouvrages défensifs (échauguettes, portes, chemins couverts, etc).

Bien qu’il connut 25 éditions en moins d’un demi-siècle, de sa parution jusqu’à la fin des années 1680, dont des traductions en espagnol, flamand, allemand et latin, le succès du traité de Fournier ne se prolongea pas au-delà du Grand Siècle. Il fut éclipsé par les traités destinés aux ingénieurs militaires qui, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, accompagnèrent la professionnalisation de ce métier en plein essor, comme celui d’Allain Manesson-Mallet (1630-1706), Les travaux de Mars (1671) qui rencontra un succès immédiat.

Lectures complémentaires :

Architectura : architecture, textes et images : XVIe-XVIIe siècles. Les livres d’architecture. Le Traité des fortifications de Georges Fournier / Catherine Bousquet-Bressolier, 2009

Dainville, François de, « L’enseignement des mathématiques dans les Collèges Jésuites de France du XVIe au XVIIIe siècle », in Revue d’histoire des sciences et de leurs applications, tome 7, n°1, 1954. p. 6-21

Orgeix, Émilie d’, « Fortifications et traités d’architecture militaire français (XVIIe-XVIIIe ‍‌‍‌siècles) », in Les Nouvelles de l’INHA, 35, juillet 2009, p. 7-9

Faliu, Odile, Les travaux de Mars ou de l’art militaire au XVIIe siècle / sous la dir. de Thérèse Misaelle Moyne. Villeurbanne : École nationale supérieure des bibliothèques, 1983. Mémoire de fin d’études, Diplôme supérieur de bibliothécaire

Corpus d’ouvrages numérisés sur la fortification  à partir du site Architectura : architecture, textes et images : XVIe-XVIIe siècles

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