Portraits gravés de l’auteur dans le livre au XVIe siècle

Au XVIe siècle, la gravure de portrait est utilisée presque exclusivement pour l’illustration des livres. La période est riche en évolutions quant à la forme, la place occupée dans le livre, l’appréhension de la personne de l’auteur et enfin la technique.

 Durant la première partie du XVIe siècle, le portrait de l’auteur hérite de la typologie des représentations médiévales. Texte et image sont formellement liés. Le portrait de l’auteur prend place au seuil du texte (dans une lettrine, en ouverture du corps du texte). Gravé sur bois, il n’offre alors qu’une représentation de type impersonnel, qu’une figure exemplaire de l’auteur. Seuls le nom indiqué au bas du portrait et la présence d’attributs tels que les vêtements (ecclésiastiques, d’hommes de loi) permettent l’identification de l’auteur. En réalité, la question de la ressemblance se pose peu, car ce n’est pas l’auteur en tant qu’individu qui importe mais sa fonction sociale (auteur représenté enseignant) et son statut d’intellectuel (auteur à l’étude, lisant) garant de la valeur de ses écrits.

portrait gravé

Exemple dans lequel les bois sont réutilisés pour des auteurs différents et même pour un auteur inconnu puisqu’à la place du nom est indiqué « incert. autho. »
Volumen praeclarissimum… Omnium tractatuum criminalium. Venise : Comin da Trino, 1556 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, XVI 941)

A partir de 1539, une nouvelle formule, inspirée de la numismatique antique, se développe, le portrait en médaille. L’auteur est représenté de profil, dans une médaille ronde, entourée d’un double filet, à l’intérieur duquel sont indiqués le nom, l’âge ou encore la devise de l’auteur.

Peu à peu le médaillon ovale remplace le modèle numismatique jusqu’à devenir la forme par excellence du portrait gravé dans le livre durant la seconde moitié du XVIe siècle. Dissocié du corps même du texte, avec la formule du médaillon, le portrait gagne en indépendance et explore de nouveaux espaces du livre : la page de titre, son verso, la page en regard de la première page du texte.

Au cours du siècle les portraits gagnent en réalisme. La ressemblance n’étant pas seulement physique mais aussi morale, psychologique. Le renouveau de la physiognomonie, méthode qui en déchiffrant le corps révèle l’âme, accorde une importance toute particulière au visage, « miroir de l’âme ». Ainsi le changement progressif de l’orientation du portrait, de profil, de trois quart puis de face, permet-il au lecteur, en découvrant la totalité du visage, et particulièrement le regard, de se livrer au déchiffrement intime de l’auteur.

Apparue en France dans les premières décennies du XVIe siècle, la gravure sur cuivre permet une plus grande précision dans l’exécution des traits et dans le rendu de l’expressivité. A la fin du siècle, elle supplante la gravure sur bois. De véritables artistes, en particulier Thomas de Leu et Léonard Gaultier, s’illustrent remarquablement dans cette technique et signent désormais leurs œuvres. Le graveur sort alors de l’anonymat, qui était la règle quasi absolue avec la gravure sur bois.

Progressivement, avec la célébration de l’individu introduite par l’humanisme, le portrait est devenu un instrument pour la promotion nouvelle de l’auteur. L’histoire du portrait gravé de l’auteur dans le livre au XVIe siècle pourrait donc être celle d’une double accession à la notoriété : celle de l’auteur, affirmé dans son statut et son individualité, et celle de son promoteur par l’image, le graveur.

Retrouvez l’exposition « Portraits gravés de l’auteur dans le livre au XVIe siècle » à la BU Droit-Lettres (sur le campus) du 05 mai au 30 juin 2014

 Bibliographie

 Bourgeaux (Laure), Jarry (Bénédicte), Renaudin (Sophie), L’apparition du portrait gravé dans le livre au XVIème siècle, Mémoire de recherche diplôme de conservateur des bibliothèques sous la direction de Vanessa Selbach, ENSSIB, 2005

Bouvy (Eugène), La gravure de portraits et d’allégories, Paris, G. Van Oest, 1929 (La gravure en France au XVIIe siècle)

Courtine (Jean-Jacques), Haroche (Claudine), Histoire du visage : exprimer et taire ses émotions (XVIe-début XIXe siècle) , Paris, Payot & Rivages, 1994 (Petite bibliothèque Payot)

 Jeanneret (Michel), « L’homme dans le livre : portraits d’auteur au XVIe siècle », dans Le portrait : champ d’expérimentation , sous la direction de Fernando Copello et Aurora Delgado-Richet, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, (Interférences), p. 29-46

Neyrod (Dominique), « Ritratto, retrato, portrait : les mots comme champ d’expérimentation », dans Le portrait : champ d’expérimentation, sous la direction de Fernando Copello et Aurora Delgado-Richet, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, (Interférences), p. 15-28

 Olariu (Dominic) (dir.), Le portrait individuel : réflexions autour d’une forme de représentation, XIIIe-XVe siècles, Bern, Peter Lang, 2010

 Palazzo (Eric), « Le portrait d’auteur dans les manuscrits du Moyen Âge » dans Portraits d’écrivains : la représentation de l’auteur dans les manuscrits et les imprimés du Moyen Âge et de la première Renaissance, [exposition] Médiathèque François Mitterrand, Poitiers, 23 juillet-octobre 2002, Paris, Fédération française pour la coopération des bibliothèques, des métiers du livre et de la documentation, 2002, p. 21-34

Pommier (Edouard), Théories du portrait : de la Renaissance aux Lumières, Paris, Gallimard, 1998 (Bibliothèque illustrée des histoires)

Site internet

Les Bibliothèques Virtuelles Humanistes – Galerie de portraits

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