La confession de Farge, ou les affres de Musset faites poésie

Samedi 24 mars, Théâtre du Trèfle, Maison des Trois Quartiers. Bertrand Farge incarne Octave dans La Confession d’un enfant du siècle (1836) adapté par Frédéric Vossier et mis en scène par Marie-Claude Morland: sous le charme d’un monologue enlevé qui dit les affres de la passion, le désenchantement mais aussi la persistance du coeur à battre et à renaître.

Des feuilles mortes jonchent le sol avant même l’entrée de la salle de théâtre. Un vent de mélancolie les porte jusqu’à nous comme pour nous chuchoter le fané,  l’éphémère.

Maurice Ravel, Concerto pour piano et orchestre en sol majeur

Nous allons entrer dans le 19ème siècle, dans ce « mal » qui lui est dit propre mais dont la contemporanéité nous touche en plein coeur: « Nous sommes tous des enfants malades ».

Bertrand Farge nous restitue à merveille cette âme fatiguée d’un homme qui a cru pouvoir trouver refuge dans la débauche. Il se confie à nous, comme dans une tentative de comprendre le parcours initiatique qui a été le sien:

« L’apprentissage de la débauche ressemble à un vertige ; on y ressent d’abord je ne sais quelle terreur mêlée de volupté, comme sur une tour élevée. Tandis que le libertinage honteux et secret avilit l’homme le plus noble, dans le désordre franc et hardi, dans ce qu’on peut nommer la débauche en plein air, il y a quelque grandeur, même pour le plus dépravé ».

En fait de grandeur, le personnage nous livre son désenchantement avec, toujours, cette oscillation subtile entre l’enthousiasme enfantin qu’il ne peut réprimer et la vision blasé d’un homme revenu, croit-il, de l’essentiel, c’est-à-dire de l’amour inconditionnel, absolu. Il s’affale dans son fauteuil puis pirouette, investit sans cesse l’espace de la scène comme pour nous donner à voir ce coeur qui n’est pas en repos, ce coeur abattu qui ne demande qu’à battre encore et encore. Il saigne. Il vit. Il souffre. Il exulte…

Louis Vierne, Symphonie en la mineur op. 24.

Car il aime à nouveau! Il l’avoue à celle dont il s’est infiniment épris. Il lit sa lettre:

« Vous prenez pour moi depuis trois mois ce qu’à votre âge on appelle de l’amour.

J’avais cru remarquer en vous la résolution de me le cacher et de vous vaincre.

Ce que vous croyez de l’amour n’est que du désir.

Je suis plus vieille que vous de quelques années, et je vous demande de ne plus me revoir ; ce qui s’est passé entre nous ne peut ni être une seconde fois, ni s’oublier tout à fait.

Je ne vous quitte pas sans tristesse ; je fais une absence de quelques jours ; si en revenant je ne vous trouve plus au pays, je serai sensible à cette dernière marque de l’amitié et de l’estime que vous m’avez témoignées.

Brigitte Pierson »

Il souffre et s’enfièvre. Il nous offre, comme le dit si justement Marie-Claude Morland, son coeur saignant « comme sur un plateau ». Un plateau en argent. Un plateau dont les scintillements nous portent jusqu’aux étoiles. Il rêve, il éprouve, il vit « entre la fin de la nuit et la pointe du jour, le froissement doré de l’automne et d’un luxe terni ».

Si Bertrand Farge sert à merveille le texte de Musset, il est à son tour merveilleusement servi par l’équipe de création du Théâtre du Trèfle: scénographie, création sonore et création lumière contribuent à créer une ambiance proprement poétique, toute de délicatesse. Nous sommes loin du voyeurisme d’un roman auto-fictionnel: nous voyageons dans l’âme blessée d’un personnage qui a conservé son regard d’enfant, sa capacité à s’émerveiller. Les affres de la passion sont comme transcendées par un paysage onirique, par une mémoire du beau, par l’envolée du rêve. Nous rions, nous compatissons, nous nous évadons tout à la fois. Nous palpons les contractions inhérentes à l’âme humaine, les paradoxes du coeur, les oxymores du désir.

La cruauté est à la fois ressentie et mise à distance, pudiquement esthétisée: elle nous touche dans notre chair tout en nous étant supportable. Le rouge de la passion se fait lumière bleutée, chatoiements argentés.

Ravel (Concerto pour piano et orchestre en sol majeur), Malher (Symphonie n°2 « résurrection » en do mineur), Bruckner (symphonie n°6 en la majeur), Liszt (Lenaus Faust), Wieniaswski (Legend op. 17), entre autres, accompagnent avec une grâce discrète l’introspection tourmentée du personnage et nous invitent à entendre les jours qui s’écoulent, comme implacables, l’assombrissement qui naît du mal-être, l’étrange fièvre que génère la jalousie.

Johan Sibelius, Lemminkaïnen Legends, op. 2.

La création sonore nous offre une voie subreptice dans la pensée humaine qui, pour Musset, évoque « des ailes qui frémissent et des cordes sonores qui se tendent ».

Edward Elgar, Concerto pour violoncelle en mi mineur, op. 85.

Hervé Guérande-Imbert explique:

« J’ai travaillé en cherchant des musiques qui expriment le « ventre » du personnage, tout ce qui remue à l’intérieur, une sorte de mémoire affective enfouie dans les viscères. Le gros oeuvre de ce travail était de créer des « bourdons » à partir de sons d’orchestre et de les associer à des extraits de musique romantique dans la même tonalité, le résultat est un voyage autour du sol, du do et du ré, cela s’est fait en définitif avec peu de notes ! »

Merveilleuse Equipe de Création du Théâtre du Trèfle. Levons notre verre, ce verre tout de cristal et de rougeoiement qu’ils nous ont généreusement fait partager pendant La Confession, à leur prochain spectacle: Les Caprices de Marianne.

Mes remerciements chaleureux à Bertrand Farge et à Didier Goudal pour le partage des photos, ainsi qu’à Hervé Guérande-Imbert pour ses précisions sur sa création sonore et ses extraits.

POUR EN SAVOIR PLUS:

♥ Site du Théâtre du Trèfle: letheatredutrefle.free.fr/