“Proglio est très bien payé parce qu’il dispose de compétences rares” (Copé sur France
Inter) : faux. Même si l’on s’en tient à la ligne de défense la plus robuste du niveau de rémunération des dirigeants, développée par Landier et Gabaix, les fortes rémunérations ne traduisent pas de forts écarts de compétences, mais
plutôt de fortes capitalisations boursières. Dès lors que la capitalisation d’une entreprise est très élevée, un écart minime de compétence se traduit par des gains/pertes importants, d’où la
nécessité de rémunérer fortement ces faibles écarts. Il serait donc plus correct de dire : “Proglio est très bien payé parce qu’il dispose de compétences un tout petit peu plus élevées que les
autres candidats potentiels”. Et encore… L’argumentation de Landier/Gabaix a un peu de plomb dans l’aile (voir ici et là) : i) la relation qu’ils établissent marche pour certaines périodes, pas pour d’autres, ii) elle est
robuste pour certaines variables de taille, pas pour d’autres, iii) elle repose sur l’idée q’un dirigeant d’entreprise change tout, alors qu’on sait bien que la performance d’une entreprise
dépend avant tout de l’investissement que chaque salarié y met, et de la qualité des interactions entre ces salariés, plutôt que du pedigree du PDG.
“que voulez-vous, c’est la concurrence, c’est le marché qui veut ça” (Copé, même source, Lagarde à
l’Assemblée) : faux. Croire que le marché des dirigeants est un marché qui fonctionne bien est vraiment risible, surtout si on s’intéresse au cas de la France… Premier point : le
marché des dirigeants, contrairement à ce que disent nos politiques ou le Medef, n’est pas un marché global, il est encore très marqué géographiquement, avec une surreprésentation de dirigeants
français en France, de dirigeants américains aux Etats-Unis, etc. Croire qu’il faut rémunérer nos dirigeants français comme leurs concurrents étrangers pour éviter qu’ils ne s’expatrient est
donc erroné : on peut toujours les payer moins qu’à l’étranger, ils auront bien du mal à s’expatrier, personne n’en veut de toute façon… Deuxième point : dans certains pays (Royaume-Uni par
exemple), on fait appel à des chasseurs de tête pour recruter les meilleurs dirigeants ou membres des conseils d’administration. En France, on préfère la cooptation. C’est le règne des réseaux
sociaux, avec comme effet induit des performances plutôt médiocres des entreprises (cf. cet article de Kramarz et
Thesmar). Le marché des dirigeants d’entreprise est encastré socialement, pour reprendre les termes de Granovetter (1985), et même surencastré, d’où ses performances médiocres. Ce qui n’est pas
sans lien avec la sous-représentation des femmes, soit dit en passant : plutôt que d’imposer des quotas histoire de faire joli, il conviendrait plutôt de mettre fin à ce système de cooptation. Le petit monde de l’élite économique française se retrouve dans les différents conseils
d’administration des grandes entreprises et, en l’absence de contre-pouvoirs, les administrateurs/dirigeants s’octroient des rémunérations de plus en plus délirantes (voir ce billet). Troisième point : même sans ce jeu des réseaux sociaux, le marché des
dirigeants reste, dans tous les pays, un marché très étroit. On préfère piocher les dirigeants soit dans le marché des dirigeants déjà en place, soit, très souvent, via de la promotion interne.
Ceci afin de réduire le risque de l’erreur de casting. Ceci confère aux candidats un pouvoir de marché important, qui explique pour partie le niveau de leur rémunération.
Quelle solution? Franchement, la plus simple et la moins coûteuse est sans doute celle proposée par Askenazy : plafonner la rémunération des dirigeants. Et encore une fois, la géographie du marché des dirigeants permet de l’instaurer dans un pays, même si les autres
pays ne le font pas immédiatement.
Dernier point, sur le cumul des fonctions de Proglio. Il traduit selon moi la cohérence de Sarkozy qui, je l’ai déjà signalé, est obsédé par la taille : il veut de grandes universités, un grand
Paris, de grandes entreprises. Dans cette affaire, il cherche à constituer un champion national de l’énergie avec, à terme, une fusion Véolia, EDF, Areva. Bon, bien sûr, laisser Proglio à
cheval sur Véolia et EDF, ça fait des conflits d’intérêts et ça réduit la concurrence dans le secteur. Mais bon, la concurrence, on s’en moque, non? Et puis si c’est pour disposer d’un
mastodonte de l’énergie à l’échellle mondiale, ca vaut le coup, n’est-ce pas?
Copé
Merci pour ce très bon billet.
Super billet. J’aime beaucoup la dernière phrase du dernier paragraphe…
Maladresse de ma part… C’est cette phrase que je trouve vraiment à propos : “Il traduit selon moi la cohérence de Sarkozy qui, je l’ai déjà signalé, est obsédé par la taille : il veut de grandes
universités, un grand Paris, de grandes entreprises…”
Soyons cuistres : Jean-François *Copé* et Xavier *Gabaix*
Je ne comprends pas pourquoi personne ne parle des responsabilités de ces messieurs. Aprés tout dire qu’à responsabilité élevé correspond un salaire élevé ne me parait pas si choquant que cela.
Après bien sur on peut discuter de la capacité à assumer ces responsabilités mais c’est un autre débat.
Voir aussi cet article de l’historien Hervé Joly sur les
remunérations des grands patrons, et celui-ci du même à propos de l’Etat
actionnaire, où il est (déjà !) question de Proglio
Bonjour,
D’accord pour limiter les salaires des dirigeants seulement dans les entreprises qui reçoivent des subventions ou qui ne dépendent pas totalement de
fonds privés. Une entreprise qui dépend de fonds privés si elle coule, ceux qui ont les fonds les perdent donc ils vont être prudents. Ce n’est pas le cas d’une entreprise soutenue par des
fonds publics. Si les dirigeants se trompent ce sont les contribuables qui payent (exemple : Crédit Lyonnais)
Cette assurance donnée par les contribuables devrait se traduire par une moindre rémunération des dirigeants d’entreprises soutenues par l’Etat. L’idéal serait non pas la
limitation des salaires des dirigeants mais que l’Etat n’engage pas des fonds qui ne lui appartiennent pas (l’argent des contribuables).
J’ai repris ce très intéressant article sur mon blog, avec une incitation à consulter régulièremenrt le votre
http://alternatives-economiques.fr/blogs/abherve/2010/01/24/du-niveau-de-remuneration-de-nos-grands-patrons/
Pour défendre le cumul des rémunérations de Monsieur Proglio à EDF et Veolia, certains croient bon d’évoquer celles des footballeurs. Je développe à ce propos quatre observations :
– il y a une différence entre des entrepreneurs et des footballeurs
– il convient d’établir un lien entre rémunération et performance
– il est physiquement impossible de travailler plus de 100% de son temps
– faut-il être, ou avoir ?
Bonsoir
Pour répondre à Lordphoenix, quelle responsabilité ? C’est un milieu qui se coopte, où la médiocrité n’est pas santionnée, où les erreurs (pardon, les choix stratégiques) coûtant des milliers
d’emplois ne sont pas pris en compte au moment de calculer la prime de fin de semaine. C’est un milieu de fait totalement irresponsable. (Je parle bien sur de la caste des chefs de grandes
entreprises, et notons que je n’ai pas dit des grands chefs d’entreprises, quel que soit le problème du président avec les questions de taille.
Sachant que l’entité entreprise a une vie qui se compte en décennies, le meilleur moyen d’avoir des patrons responsables, impliqués, garants de la bonne marche de l’entreprise, n’est il pas de les
attacher, par un moyen quelconque, à l’entreprise qu’ils dirige, pendant une durée du même ordre de grandeur. Ne devrait-on pas interdire à quelqu’un quittant la tête d’une entreprise avant un
certain délai (mettons 10 ans) de travailler pour une autre entreprise pendant un certain délai (mettons 10 ans), avec un effet dégressif (au bout de 12 ans à la tête de la première, il faudrait
attendre 8 ans, etc.) Bien sur ça incluerait TOUS les départs. Le mec mauvais qui se fait virer par son CA n’a pas à retrouver une boîte trop vite puisqu’il est mauvais patron, le mec qui est bon
n’a qu’à rester dans sa boîte pour la faire marcher au mieux et pour longtemps. Après-tout, le MEDEF n’a-t-il pas lancé “j’aime ma boîte” ? Ce serait bien que ses cotisants s’y mettent.
Bonsoir,
Pourquoi ne pas dire tout simplement que Monsieur PROGLIO est Franc-Maçon et qu’il fait fonctionner son réseau….
Je reste toujours dubitatif devant ces chiffres, des sommes qui montrent que le mal est profond !
Ce “cancer du pognon” qui ronge nos élites devrait être un sujet de recherche pour nos scientifiques. On ne peut rester insensible à leur souffrance et il conviendrait de se mobiliser !
Il faudrait multiplier les centres de désintoxication, comme celui qui s’est trouvé un temps, sur les bords de la Seine, dans de petites tentes rouges…
On sait qu’il suffirait à ces malades du “CAC40”-c’est le nom du virus- d’un petit mois à se geler les cacahuétes et à bouffer des boites de pâtés, pour retrouver le sens de la mesure et de la
décence… bref reprendre visage humain !
Car aussi haut que soit le plus haut des trônes…
signé : un humain qui parlait à la lune
J’ai du mal a comprendre pourquoi on a ete cherché Proglio; j’ai du mal a comprendre pourquoi il a accepté. Je trouve toute cette affaire amusante en ce qu’elle demontre que nos elites sont
aussi stupides que nous.
Le seul point ou je suis franchement en desaccord avec vous, c’est quand vous semblez penser que ce n’est pas le patron d’une entreprise qui fait la difference. Dans mon experience, le patron
est l’élement le plus important et c’est un boulot difficile et usant.
Proglio est il un grand patron ou tout simplement un type dote d’un sens politique et de navigation bureaucratique important, je m’en moque. Pour moi il est comme ceux qui touchent le gros
lot. Dans toute progression professionelle, il y a une part de chance, une part de qualité personelles, une part de magouille, etc. et un seul qui gagne le gros lot; et alors.
Si la collectivité pense que les patrons gagnent trop et que cela a des consequences soicles negatives, l’instrument a utiliser est la taxation progressive. L’idée de plafond de salaire est
d’une stupidité abbyssale – ca me rappelle le sapeur Camembert: quand les bornes sont franchies il n’y a plus de limite.
Ceci dit, dans un monde ouvert, ni l’une ni l’autre de ces solutions vont fonctionner. Le patron pourra toucher une remuneration d’une filiale sous une forme non salariale s’il le faut, il
pourra obtenir des avantages en nature comme du temps ou leur remuneration etait plus faible, et comme nous parlons de patrons du CAC40 (et pas des 2,5 millions de “petits” patrons), ils pourront
toujours se delocaliser a Amsterdam ou a Londres la ou se trouvera la holding de tete.
Je pense qu’il faut simplement s’y faire et rester Zen; la France est un pays hierarchique et corporatiste ou le phenomene de co-optation n’est pas particulier au monde de l’entreprise; ni le cumul
des mandats d’ailleurs.