Le théâtre pour se retrouver
Naples, mercredi 24 octobre 1770,
Burney se rend au Teatro Nuovo pour écouter Le Trame per amore de Piccini.
« Les actes de cet opéra sont nécessairement si longs, vu l’absence de ballet, qu’il est totalement impossible de rester attentif du début jusqu’à la fin : on bavarde, on joue aux cartes ou l’on s’endort. Il est à remarquer en effet que la musique, qu’on la joue au théâtre ou dans d’autres lieux publics d’Italie, ne semble guère qu’une excuse pour que les gens se retrouvent ensemble, leur attention étant principalement occupée par le jeu ou par la conversation, même pendant la représentation d’un grand opéra. »

Zaccaria Seriman, Illustration extraite de « Viaggi di Enrico Wanton » ; Variétés de posture du public lors d’une représentation d’un opéra, Bern, 1764
Le public est vivant!
A propos de Farinelli :
« Carlo Broschi, dit Farinelli, naquit à Naples en 1705 ; il reçut sa première éducation musicale de son père, le Signor Broschi, et étudia ensuite sous Porpora, qui l’emmena avec lui dans ses voyages. Il avait dix-sept ans lorsqu’il quitta Naples pour Rome, où il se livrait chaque soir à une joute avec un célèbre joueur de trompette, dans un air d’opéra accompagné par cet instrument. Cette émulation n’avait d’abord qu’un tour amical et badin, jusqu’à ce que le public en vînt à prendre parti dans la dispute. Chaque musicien enflait une note à tour de rôle, afin de montrer la force de ses poumons et rivaliser avec l’autre en puissance et en éclat ; mais un jour ils firent ensemble une note enflée et un trille à la tierce qu’ils tinrent si longtemps que le public attendait anxieusement de les voir également épuisés. Le trompettiste abandonna la partie, pensant que son antagoniste était autant à bout de souffle que lui et que le combat resterait indécis ; mais Farinelli, tout souriant, pour montrer qu’il n’avait voulu jusque-là que plaisanter, poursuivi avec une nouvelle vigueur, sans reprendre haleine : non seulement il enfla encore la note et fit un trille, mais il parcourut ensuite les divisions les plus rapides et les plus difficiles, et en fut interrompu que par les acclamations de l’auditoire. C’est de ce moment que date la supériorité qu’il a ensuite conservée sur tous ses contemporains. »
Bologne, vendredi 24 août 1770,
« Il y a beaucoup à faire pour perfectionner le goût national, qui est à présent dépravé par la farce, la bouffonnerie et la chanson; de même, l’inattention, le bruit, l’indécence du public sont d’une intolérable barbarie. »
« Le silence qui règne à Londres et à Paris pendant les représentations théâtrales est un encouragement pour l’acteur, aussi bien qu’un besoin pour le spectateur intelligent et sensible. Les théâtres italiens sont immenses, et les acteurs semblent réduits à une perpétuelle criaillerie pour se faire entendre à travers l’espace et le bruit. »
Au 18ème siècle, le public est vivant et peut le montrer. Il y a parfois des débordements et des revendications qui tournent à l’émeute dans le théâtre. L’illustration ci-dessous représente une révolte de spectateurs qui demandent la conservation des places demi-tarif. En effet il est possible à l’époque de rentrer dans le théâtre pour la fin de la représentation avec un billet demi-tarif et ainsi profiter seulement de la fin du spectacle. En 1762, la direction du théâtre de Covent Garden décide que seuls les spectateurs munis d’un ticket plein tarif peuvent accéder à la représentation. La réponse à cette annonce est une révolte organisée pour piller l’intérieur du théâtre et obtenir la restitution du demi-tarif.

Emeute pendant l’exécution de l’opéra « Artaxerxes » de Thomas Arne au théâtre Covent Garden en 1763
Bibliographie spécifique à l’article :
QUINLAN, John, « Music as Entertainment in 18th-Century London », in The Musical Times, Vol. 73, No. 1073 (Jul. 1, 1932), Musical Times Publications, pp. 612-614.
WEBER, Williams, « Did People Listen in the 18th Century? » in Early Music, Vol. 25, No. 4, 25th Anniversary Issue; Listening Practice (Nov., 1997),Oxford University Press, pp. 678-691.