Quel public?

Qui assiste aux concerts à la fin du 18e siècle ?
Il est difficile de répondre à la question car les sources et les études précises sur ce sujet ne sont pas nombreuses. La constitution du public s’évalue en fonction de facteurs socio-économiques, socio-psychologiques, esthétiques et musicaux. Les recherches les plus récentes montrent clairement que les concerts modernes n’ont pas été seulement une création des couches bourgeoises.

Voyons quelques exemples de Charles Burney.

À l’église

Milan, mercredi 18 juillet 1770,
Burney entend une messe dirigée par Battista San Martini à l’église des Carmes.
« Je m’aperçus que ce genre d’exécution n’attire guère de monde, et que les gens comme il faut ne s’y montrent jamais. L’auditoire semble se composer principalement du clergé, de marchands, d’artisans, de paysans et de mendiants, qui sont pour la plupart peu attentifs et fort agitésil est rare qu’ils restent dans l’église pendant toute la durée de la musique. »


Au théâtre

Milan, vendredi 17 juillet 1770,
Burney se rend au théâtre Regio Ducal Teatro. Ce dernier brûla en 1776 et fut remplacé en 1778 par le Teatro alla Scala.
« Il y a au milieu du théâtre une très grande loge, de la taille d’une salle à manger ordinaire à Londres, réservée au duc de Modène, gouverneur de Milan, qui s’y trouvait avec sa fille, la principessa Ereditaria. Il se fit pendant la représentation un bruit abominable. »


Vienne, mardi 1er septembre 1772,
Burney va écouter, à six heures et demie du soir, Il Barone, un opéra bouffon du Signor Salieri au Burgtheater ou « théâtre français ».
« L’empereur, son frère l’archiduc Maximilien et ses deux sœurs, les archiduchesses Marianne et Marie Elisabeth, étaient présents à cette burletta. Leur loge était très peu distincte des autres; ils firent leur entrée et leur sortie sans être accompagnés d’une nombreuse suite, et sans parade. L’empereur, homme viril et de belle prestance, a le visage agréable et animé; il change souvent de place lorsqu’il est à l’opéra, pour converser avec différentes personnes, et il lui arrive fréquemment de se promener sans gardes dans mes rues, comme s’il voulait éviter autant que possible toute espèce de pompe inutile. L’empereur fut extrêmement attentif durant toute la durée de la représentation; à plusieurs reprises, il applaudit très fort la Baglioni. »


Naples, dimanche 4 novembre 1770,
« Pour revenir au théâtre San Carlo qui, comme spectacle, surpasse tout ce que la poésie ou les romans ont jamais pu imaginer, il faut avouer que la grandeur du bâtiment et le bruit de l’auditoire sont tels que l’on ne peut entendre distinctement ni les voix ni les instruments. On me dit toutefois qu’en raison de la présence du roi et de la reine, le public avait fait beaucoup moins de bruit que lors des représentations ordinaires. »


Une particularité vénitienne

Venise, août 1770,
Il semblerait que Venise tient une place spéciale dans le monde de la musique à cette époque. D’après Charles Burney, la musique vénitienne tend à être supérieure aux autres et plus répandue que nulle part ailleurs. De plus, il remarque que le public est cultivé et passe beaucoup de temps dans les théâtres et les églises.
« Les Vénitiens n’ont guère d’autres amusements que ceux que leur procurent leurs théâtres : la promenade à pied, à cheval, et les plaisirs de la campagne leur sont interdits; voilà ce qui contribue en grande partie à leur goût pour la musique et à la dépense qu’ils font pour elle. La quantité de théâtres qu’il y a ici, et dans lesquels les gondoliers ont leur entrée gratis, explique sans doute qu’ils chantent bien mieux que les serviteurs des autres villes. De même, il est naturel de supposer que les demoiselles des conservatoires, en se mariant, apportent avec elles leur bon goût et l’amour de la musique. »


Bibliographie spécifique à l’article :
BODEKER, Hans Erich, « Publics : écoutes et comportements » dans Mutations de la vie musicale en Europe de 1780 à 1914, Le concert et son public, éd. La Maison des sciences de l’homme, Paris, 2002, p.337-342.

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