La voix du public

Au 18e siècle, le spectacle est bien vivant…même du côté des spectateurs.
Le public donne de la voix!
« Hourra…!! »

Exprimer l’admiration

Paris, jeudi 14 juin 1770,
« Il y eut d’abord un motet de M. De la Lande, Dominus regnavit, composé essentiellement de choeurs, et exécuté avec plus de force que de sentiment. Le style était celui de l’ancien opéra français, c’est-à-dire détestable, bien que le second chœur fut d’une allure et d’une vigueur assez neuves, ce motet fut cependant couvert d’applaudissements par les auditeurs, dont l’admiration était avant tout destinée à eux-mêmes, pour être nés dans un pays capable de produire de pareils chefs-d’oeuvre et des exécutants aussi parfaits. »


Paris, jeudi 14 juin 1770,
« La principale haute-contre beugla un verset comme si sa vie eût été en danger, et un couteau appuyé sur son sein. Quoique je fusse étourdi par tout ce bruit, je n’eus pas de peine à m’apercevoir, aux sourires d’ineffable satisfaction qu’arboraient quatre-vingt-dix-neuf auditeurs sur cent, que c’était là ce qui parlait le plus à leur cœur et à leur esprit. C’est superbe ! fut l’écho qui retentit d’un bout à l’autre de la salle. »


Lully’s Opera “Armide” Performed at the Palais-Royal 1761

Gabriel de Saint-Aubin, « Dans l’ancienne salle en 1761 » – Lors d’une exécution d’Armide de Lully dans la grande salle du Palais Royal ; aquarelle de 1761


Venise, dimanche 5 août 1770,
« Dans les hospices et dans les églises où il n’est pas permis d’applaudir comme à l’opéra, l’auditoire tousse, se racle la gorge ou se mouche pour exprimer son admiration. »


Bologne, vendredi 24 août 1770,
« Si étrange que cela fût pour moi, l’auditoire applaudissait avec fureur, en particulier aux passages les plus absurdes de la pièce. »


Florence, samedi 8 septembre 1770,
« Comme c’était la dernière représentation de la troupe, il y a avait foule et les applaudissement furent prodigieux; des sonnets imprimés en l’honneur des chanteurs et des danseurs furent jetés depuis les galeries latérales et volèrent en grande quantité par toute la salle. Les spectateurs se précipitèrent avec ardeur pour les attraper, et la soirée se termina par des acclamations plutôt que des applaudissements. »


A propos de Farinelli :
« Dans le fameux air Son qual nave, composé par son frère, il prenait la première note avec tant de délicatesse, et l’enflait par degrés insensibles jusqu’à un tel volume, pour la diminuer ensuite de la même manière, qu’on l’applaudissait pendant plus de cinq minutes. »


Exprimer le mécontentement

Burney relate une anecdote dans l’article « Martini, Giovanni Batista San » de la Cyclopaedia, à propos d’une autre église de la ville :
« Nous eûmes l’occasion de nous trouver, un jour de fête, dans une église où l’on jouait une messe de Martini ; deux paysans, après avoir écouté cette musique pendant quelques instants, s’écrièrent Quita musica è scelerata-audire, puis ils se précipitèrent dans une autre église. »


Rome, mercredi 21 novembre 1770,
« On estime en général qu’un compositeur ou un exécutant qui a du succès à Rome n’a rien à craindre de la sévérité des critiques en d’autres endroits. Au début d’un opéra, les cris et les acclamations de l’auditoire se prolongent souvent pendant un temps considérable avant que l’on se décide à entendre la première note. Un auteur favori est reçu aux cris de Bravo Signor maestro ou Viva Signor maestro, et lorsqu’un compositeur est condamné par le public, on fait toujours la différence pour le chanteur en criant Bravo pure il Guarducci! (Bravo tout de même , Guarducci) après avoir sifflé le compositeur; inversement si c’est le chanteur qui déplaît dans l’exécution de la musique d’un compositeur favori, on siffle d’abord, puis on crie Viva pure il Signor maestro! »


Paris, mercredi 13 juin 1770,
Charles Burney relate sa soirée au Théâtre-Italien de Paris (Opéra Comique) où il entendit deux pièces en musique : Les Gondoliers vénitiens (1747) d’Antoine-François Riccoboni et la première représentation d’Alvar et Mancia de Louis-Joseph Saint-Amans. Il parle de la deuxième pièce qui était un opéra-comique nouveau, dans le style français moderne.

« L’ouvrage reçut un accueil aussi hostile qu’il est possible chez nous. Je ne me serais pas imaginé qu’un auditoire français se permît de siffler au point qu’il le fit en cette occasion. Aux sifflets se mêlaient des éclats de rire chevalins, tel qu’on en entend aux théâtres de Covent Garden ou de Drury Lane. En un mot, la pièce fut huée selon toutes les formes de la procédure anglaise, si ce n’est que l’on s’abstint de casser les bancs et la tête des acteurs. »


Bibliographie spécifique à l’article :
WEBER, Williams, « Did People Listen in the 18th Century? » in Early Music, Vol. 25, No. 4, 25th Anniversary Issue; Listening Practice (Nov., 1997),Oxford University Press, pp. 678-691.

Source iconographique :
Fonds de l’Association de la Régie Théâtrale et de la Bibliothèque historique de la ville de Paris.

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