Allemagne – France, une valse à trois temps.

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les relations entre la France et l’Allemagne ont été marquées par des influences réciproques qui ont amené l’une et l’autre à prendre tour à tour la direction de la valse. Chacun de ces Etats a su profiter de la situation ainsi créée pour assurer sa place dans le monde, soit après la perte de colonies, soit à la suite du désastre du III° Reich qui devaient leur permettre de compter dans le monde. Leur entente en Europe a servi de relais.

Premier temps : la France ouvre le bal.
La période qui commence à la fin des années 1940, voit incontestablement la France prendre la main dans les relations avec le nouvel Etat allemand (de l’Ouest) qui se reconstitue sur les ruines du III° Reich. C’est elle qui, après une période d’hésitation qui se termine en 1947, va légitimer la politique qui se dessine : l’Allemagne doit reprendre sa place dans le concert des Nations. Elle va même mettre en oeuvre les mesures qui concrétisent cette nouvelle politique. C’est Robert Schuman, ministre français des Affaires étrangères, qui propose une alliance avec l’Allemagne, ouverte aux Etats intéressés et fondée sur le charbon et l’acier afin de rendre la guerre non ‘‘seulement impensable, mais matériellement impossible’’. Le chancelier Konrad Adenauer, conscient que le rétablissement de l’Allemagne passe par la caution donnée par la France, s’empresse d’accepter.

Ce sont les gouvernements successifs de la IV° République qui, entre 1955 et 1957, imposent à l’Allemagne – et aux quatre autres partenaires de ‘‘l’Europe des six’’ qui n’en voulaient pas – une Communauté de l’énergie atomique. Ce sont eux également qui obtiennent que l’union économique qui se met en place au même moment, ne soit pas constituée seulement d’une union douanière, mais créent un marché commun avec des règles communes et des politiques communes (dont la plus connue est la politique agricole commune).

Cet état de fait se poursuivra jusqu’à la fin des années soixante et peut se remarquer à l’occasion des marathons agricoles, de la politique de la chaise vide pour obtenir un droit de veto au sein des Communautés européennes, ou de la signature du traité de Paris scellant la réconciliation franco-allemande le 22 janvier 1963 alors que la France avait pris le risque d’une crise entre les deux pays en refusant brutalement quelques jours auparavant l’entrée de ‘‘l’Angleterre’’ dans les Communautés, à laquelle l’Allemagne était favorable.

L’Allemagne a avalé beaucoup de couleuvres au cours de cette première période, mais elle a toujours suivi la France car elle ne peut pas se fâcher avec son partenaire européen qui demeure le garant qu’elle est redevenue un partenaire fréquentable. Cela l’amène parfois à un grand écart car elle ne veut pas s’aliéner le partenaire américain qui est, lui, le garant de sa défense alors que les relations entre la France et les Etats-Unis ne sont pas toujours au beau fixe, mais elle tient le défi sans connaître le claquage.

Deuxième temps : Allemagne et France dansent ensemble.
L’année 1969 marque un tournant. Pas tant parce que le général de Gaulle démissionne de la présidence de la République en France ou que les sociaux-démocrates parviennent au pouvoir en Allemagne avec Willy Brandt, mais plutôt parce que la France connaît des difficultés économiques et financières. Aussi bien en raison de son manque de compétitivité que de la crise du dollar, elle est en effet conduite à dévaluer sa monnaie. Cela entraîne mécaniquement un abaissement du coût de ses produits sur les marchés étrangers et un renchérissement de ses importations. L’Allemagne, premier acheteur et premier vendeur de la France, ne peut rester indifférente à cet évènement, susceptible de lui poser un problème de compétitivité. En outre pour réussir une telle opération, encore faut-il que les partenaires jouent le jeu et ne se lancent pas dans une politique qui effacerait le gain (provisoire) de compétitivité. C’est ce qu’acceptera de faire l’Allemagne, mais cette fois, ce ne sera pas sans contrepartie.

Le meilleur exemple se trouve dans le ‘‘sommet’’ qui réunit les chefs d’Etat et de gouvernement des Communautés européennes (six à l’époque) et qui se tient à La Haye les 1° et 2 décembre de cette année 1969. Deux sujets importants au moins y sont en discussion : une nouvelle fois l’élargissement des Communautés européennes au Royaume-Uni, à l’Irlande du Sud et au Danemark (et aussi à la Norvège, même si cette dernière adhésion a finalement échoué) ; l’achèvement du marché commun, c’est-à-dire la mise en place de toutes les dispositions économiques qui avaient été prévues à la signature des traités communautaires de 1957 mais qui n’étaient encore appliquées que partiellement. Dès l’origine, il avait été décidé que cette période transitoire s’achèverait à la fin de l’année 1969.

Sur ces deux dossiers, Allemagne et France se situent dans des dispositions opposées. L’Allemagne en tient pour l’adhésion du Royaume-Uni, mais est réservée quant à l’achèvement du marché commun ; la France a les désirs et les objections inverses. La nécessité de s’entendre l’emporte et un accord équilibré se dessine. L’achèvement du marché commun se produira comme prévu, quoiqu’avec un décalage de six mois puisqu’il devra être réalisé au 30 juin 1970. Les négociations d’adhésion avec les Etats candidats commenceront ensuite, mais dans des conditions draconiennes pour ceux-ci : ce qui a déjà été réalisé entre les six Etats fondateurs des Communautés, est à prendre ou à laisser ; il n’y a aucune possibilité d’obtenir de dérogations aux règles du marché commun .

Commence alors une ère pendant laquelle France et Allemagne s’épauleront sur les principaux dossiers : désignation de Jacques Delors comme président de la Commission, front commun lorsque Madame Thatcher cherchera à remettre en cause le principe de l’acquis communautaire ou à l’occasion de la difficile question des missiles que les Etats-Unis souhaitent installer en Europe pour faire face à une éventuelle attaque soviétique.

Le traité de Maastricht, consécutif notamment à la réunification de l’Allemagne marquera l’aboutissement, mais aussi la fin de cette période d’équilibre.

Troisième temps : l’Allemagne mène le bal.
La réunification change la donne. Elle fournit une puissance nouvelle à l’Allemagne car celle-ci devient de loin l’Etat le plus peuplé et progressivement le plus riche d’Europe, d’autant que sa politique économique, tournée vers l’exportation et les excédents de la balance commerciale, lui donne des possibilités d’action et de manœuvre bien supérieures à celles des autres pays et de la France notamment. Il y a certes beaucoup à dire sur cette politique et ses effets sociaux, mais elle renforce politiquement ce pays vis-à-vis de ses partenaires. En outre la réunification place l’Allemagne au centre géographique de l’Union européenne et lui ouvre à nouveau les marchés de l’Est qui lui étaient très fermés lorsque les économies de l’Est et de l’Ouest fonctionnaient selon des principes différents.

Cette nouvelle donne se traduit rapidement dans les faits. Institutionnellement on voit l’Allemagne prendre un ascendant dont elle ne disposait pas jusqu’alors. Les traités fondateurs mettaient sur un strict pied d’égalité juridique l’Allemagne avec la France, mais aussi l’Italie et le Royaume-Uni. Le traité de Nice (26 février 2001) va déroger à cette règle en accordant un nombre de sièges au Parlement européen supérieur pour l’Allemagne (99) à celui accordé aux trois autres Etats (78, chacun).

Comme la France trouve le moyen de se mettre dans un mauvais pas, sa situation ne s’arrange pas. Elle est en effet à l’origine du ‘‘traité constitutionnel’’, mais aussi à l’origine de son échec. Il eût été de meilleure politique ou bien de ne jamais proposer une telle réforme, ou bien d’aller jusqu’au bout du processus. En effet la politique suivie en définitive, pour explicable qu’elle soit, a eu pour conséquence d’indisposer des partenaires qui l’ont trouvé inconséquente et auxquels on est venu de surcroît demander leur aide pour sortir de l’ornière. Il n’est pas surprenant qu’ils aient demandé le prix de ce soutien.

La situation française s’est d’autant plus affaiblie que dans le même temps, ou aussitôt après, le pays se trouve dans une position économique difficile, obligé de demander le soutien de l’Allemagne pour faire face à son endettement chronique est ses difficultés à rembourser les emprunts contractés sur les marchés financiers. On peut regretter l’emprise des marchés sur la politique des Etats, tout en déplorant également que l’on se soit mis dans la main de ceux-ci. Les politiques libérales ont certes leurs défauts, mais à partir du moment où elles existent, il faut en tenir compte car ce sont elles qui nous gouvernent pour quelque temps encore, sauf à renverser la table.

Ce n’est donc pas par son seul fait que l’Allemagne a pris la tête du couple, c’est aussi en raison des erreurs et des faiblesses de son partenaire. Paradoxalement, cette constatation peut être source d’un relatif optimisme : pour peu qu’on évite de les reproduire et qu’on se renforce, le jeu pourrait s’équilibrer à nouveau.

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