La légitimité dans nos organisations sociales et politiques est démocratique mais l’Europe, dit-on parfois, souffre d’un ‘‘déficit démocratique’’. Qu’en est-il, et ses maux viendraient-ils, essentiellement ou partiellement de là ?
Si l’on se reporte à l’époque de son origine, c’est-à-dire en 1951 pour la Communauté européenne du charbon et de l’acier ou en 1957 s’agissant de la Communauté européenne de l’énergie atomique ou de la Communauté économique européenne, ce n’est pas de déficit qu’il faut parler, mais d’absence. Ce n’est pas que les ‘‘Pères fondateurs’’ n’étaient pas des démocrates (démocrates-chrétiens et sociaux-démocrates pour la plupart), mais il ne leur paraissait pas utile de doter les institutions créées de références démocratiques, s’agissant d’organisations techniques chargées de mettre en œuvre des ‘‘marchés communs’’. La légitimité était double : étatique, représentée par le Conseil, comme dans les relations internationales traditionnelles ; et, de façon originale, intégrative, avec la Commission comme support, puisque, par l’intermédiaire des marchés communs, l’ambition était d’aller au-delà de la coopération entre les Etats par le biais d’un transfert de compétence (voir ces mots dans le prochain blog). Tout au plus, existait-il une assemblée élue au suffrage universel indirect (par les Parlements nationaux) et dotée d’un simple rôle consultatif.
La montée démocratique ne s’est fait sentir que plus tard, en raison notamment de l’accroissement progressif des Communautés et de l’impact que les politiques qu’elles menaient, avait sur la vie des citoyens. Ceux-ci prennent alors conscience que les Communautés ne peuvent plus rester la seule affaire des Etats et des institutions communautaires. La reconnaissance de la légitimité démocratique est dès lors continue et impressionnante : élection de l’assemblée au suffrage universel direct (donc par tous les citoyens) à partir de 1979 puis, à chaque réforme des traités fondateurs, développement de la légitimité démocratique.
Pour s’en tenir à la seule assemblée, les avancées démocratiques sont spectaculaires : avec l’Acte Unique Européen (1986), celle-ci devient symboliquement Parlement européen et acquiert un pouvoir de coopération ; de ce fait, les avis que celui-ci donne, doivent être suivis à moins que le Conseil (représentant la légitimité étatique) ne s’y oppose à l’unanimité. Le Traité de Maastricht (1992), outre qu’il crée l’Union européenne en sus des Communautés, accorde au Parlement un pouvoir de codécision ; il met le Parlement sur le même pied que le Conseil en matière de décision puisque les textes entrant dans cette procédure, encore exceptionnelle, doivent être adoptés dans les mêmes termes par les deux institutions. Les traités d’Amsterdam (1997) et de Nice (2002) étendent la procédure de codécision et le Traité de Lisbonne (2007), outre qu’il supprime la Communauté européenne au profit de la seule Union, en fait la procédure de principe. Tout se passe désormais comme si l’Union était dotée d’un pouvoir législatif composé d’une chambre représentant les citoyens (le Parlement) et d’une autre représentant les Etats (le Conseil). Ce n’est pas le moindre des paradoxes que de constater que les parlements nationaux perdent de leur prestige dans les Etats, et singulièrement en France, tandis que l’instance de Strasbourg en acquiert régulièrement.
Il ne faut cependant pas faire preuve d’un excès d’optimisme, car cette évolution contient une part d’illusion. On ne peut en effet s’en tenir à l’évolution des pouvoirs d’un organe pour apprécier sa représentativité et l’évolution de sa légitimité. De ce point de vue, le Parlement supporte un handicap réel qui, à cet égard, le réduit à un rang inférieur à celui des législateurs nationaux : ceux-ci sont, vaille que vaille, les représentants de citoyens ayant conscience de participer d’un même destin. Cette qualité n’existe pas au niveau européen : la citoyenneté européenne existe, mais davantage sur le papier que dans les esprits ; il n’y a pas (encore ? la façon dont va se dénouer la crise grecque peut en être un révélateur) un peuple européen conscient de partager un même destin, mais des peuples nationaux se trouvant sur le territoire européen, ce qui n’est pas la même chose.
Faut-il alors arriver à une conclusion pessimiste qui ferait penser que la légitimité démocratique n’est qu’apparence ? Pas nécessairement car l’évolution à laquelle on assiste peut rappeler celle que les Etats européens ont connue au XIX° siècle : il a fallu un siècle pour passer d’une légitimité monarchique à une légitimité démocratique, et encore pas partout sur le continent. Il n’y a pas de raison d’imaginer que la légitimité démocratique puisse s’affirmer plus rapidement dans le cadre de l’Union.
En l’état actuel, trois légitimités se confrontent ou se complètent au sein de l’Union : une légitimité étatique, avec le Conseil, qui reste la première ; une légitimité intégrative, avec la Commission, qui est, au moins provisoirement, en recul ; une légitimité démocratique, avec le Parlement, dont la montée, bien que partielle, est réelle. En outre le phénomène démocratique se manifeste par un autre biais, celui des droits fondamentaux, mais ce thème fera l’objet d’un autre blog.
François Hervouët
Publié le 20 février 2012