Biohistoire I – « Si l’Homme a un devoir de mémoire envers la biosphère, alors où sont les biohistoriens ? » (Christian Perrein)

Christian Perrein, en prospection lépidoptérologique dans la forêt de Vouvant (Vendée), le 4 mai 1999 (photo : Fabrice Bartheau) Diffusion autorisée par l’auteur

Hors l’homme, le vivant ne peut plaider sa propre cause. L’impossibilité à se prendre lui-même en charge face à l’anthropisation trouve dans la sensibilité des écologistes/naturalistes la seule possibilité de discours et de recours. Des voix se lèvent contre l’artificialisation des milieux, les produits phytosanitaires dans l’air et le sol, les pollutions diverses ou le réchauffement planétaire, mais ces voix sont souvent partielles, expertes, alors que l’écologie est le monde de la transversalité, des interdépendances et des équilibres. Plus encore, le discours écologiste est souvent battu en brèche par le monde de l’argent, des multinationales et des lobbys agro-industriels.

Un biopatrimoine existe, largement méconnu et invisible du grand public : la défense de l’okapi sera toujours davantage médiatisée que celle du mélibée, petit papillon qui a régressé en France de 50% depuis les années 1980 et dont le lieu de vol serait désormais réduit au seul Jura. Il convient donc de considérer le vivant comme patrimoine dans l’immense variété de ses manifestations. Mais quelle science le revendique comme bien commun, comme valeur universelle ?

Contre toute myopie ou angélisme écologiste, le docteur en histoire des sciences et des techniques Christian Perrein définit la notion de « biohistoire » par deux grandes ambitions visant à manifester l’état de la biosphère, à la faire témoigner, si l’on peut dire, au sein de la communauté humaine. La première est d’écrire l’histoire du vivant à l’échelle de l’homme. Il s’agit là de rendre compte de l’évolution de la nature artificialisée par l’homme (la noosphère). La seconde est d’interpréter la qualité de cette artificialisation – bonne ou mauvaise pour la biodiversité – au moyen de la notion de « technotope », soit l’ensemble des techniques humaines affectant ou ayant affecté les milieux.

En somme, la biohistoire entend essentiellement constater et mesurer l’artificialisation du vivant depuis que l’homme l’exploite. Il faut comprendre que cette mesure s’avère variable : si, par exemple, un marais salant, milieu artificiel par excellence, constitue un technotope de grande valeur écologique, des parcelles en monoculture affichent une biodiversité extrêmement pauvre. Or, une enquête n’existe pas, qui cartographierait précisément cette variabilité des technotopes.

La biohistoire, pour ambitieuse qu’elle soit, n’est aujourd’hui ni reconnue comme science, ni enseignée, et ne fait partie d’aucun travail de recherche académique. Et pourtant, comme ne cesse de clamer Christian Perrein depuis plus de 20 ans : « si l’Homme a un devoir de mémoire envers la biosphère, alors où sont les biohistoriens ? »

Quelques références pour aller plus loin :

Thèse de Christian Perrein sur theses.fr : « Emile Gadeceau, Nantes 1845 – Neuilly-sur-seine 1928, phytoecologue et biohistorien » (1995)

« La biohistoire au tournant du XXIe siècle », article de « L’Atlas entomologique régional » (Nantes)

 

Cet article a été originellement rédigé pour le blog de la BU Droit-lettres par Olivier Pouvreau.

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