
« North East view of Selborne from the Short Lythe », frontispice dépliant de la première édition (1789) de « The Natural History and Antiquities of Selborne » de Gilbert White, gravé par Samuel Hieronymus Grimm (1733-1794)
Histoire naturelle de Selborne (1789) de Gilbert White (1720-1793) est le livre le plus publié en anglais derrière la Bible, Shakespeare et l’Oxford English Dictionary. Il a fait l’objet de plus de 200 rééditions et traductions depuis sa parution. C’est l’œuvre scientifique la plus souvent lue. En France, elle est restée largement méconnue et ne fut traduite… qu’en 2011 (soit 222 ans après sa parution originale) !
Ce fait nous montre l’écart entre une culture naturaliste bien ancrée chez le peuple britannique et celle, française, dérisoire en regard. Pour s’en convaincre encore, il suffit de comparer la Royal Society for the Protection of Birds (RSPB) avec la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO), les plus importantes associations de protection de la nature anglaise et française : la RSPB compte plus d’un million d’adhérents (plus que les 3 plus grands partis politiques de la Grande-Bretagne réunis) contre 50 000 à la LPO…
Cela dit, Gilbert White est davantage qu’un signe de l’engouement britannique pour le naturalisme. Il est aussi résolument moderne dans son approche de la nature. Moderne en quoi ? À une époque (le XVIIIe siècle) où les sciences de la nature ont pour référence les cabinets de curiosité et relèvent soit de la taxonomie (dont la systématique de Linné sera le couronnement), soit de l’encyclopédisme (tel Buffon qui se lança dans un inventaire complet de la nature), soit de l’étude des plantes utiles à l’homme (souvent exotiques), soit de l’anatomie d’un animal mort, Gilbert White sort de chez-lui et observe attentivement les phénomènes naturels qui l’entourent : faune avant tout mais aussi flore, phénologie, météorologie… L’observation du comportement des animaux et de leurs interactions entre eux ou avec leur milieu (ce que White appellera « la vie et la conversation des animaux ») rompt radicalement avec les approximations ou les fantaisies des notes des compilateurs et des récits de seconde main qui avaient cours en cette période. En France, Réaumur avait déjà accompli ce travail d’éthologue avant l’heure, mais les bêtes qu’il observait n’étaient pas étudiées dans leur milieu naturel, seulement dans des volières, poudriers, ruches, etc.
Dans l’œil de White, une bête ou une plante n’est pas forcément un être « utile à l’homme », l’utilitarisme faisant partie de l’approche classique de la nature chez ses contemporains (les plantes exploitables notamment). Il s’avère aussi quelque peu « laïc » car il se penche sur des espèces animales non pour y voir les signes de la perfection divine (selon l’approche physico-théologique, autre mode de pensée classique) mais pour y apprécier l’espèce « en soi », dans sa valeur intrinsèque. Un œil désintéressé, contemplatif, en somme.
Autre point important : Gilbert White n’a jamais vraiment quitté son domaine à Selborne (Angleterre). La nature pittoresque l’intéresse moins que la nature ordinaire. Le lieu n’a pas d’importance : seul l’œil observateur compte et doit rendre compte. Dieu sait pourtant si le XVIIIe siècle fut friand d’exotisme, de plantes rares, de voyages, de découvertes étranges… Cette attention à l’histoire naturelle locale fera de nombreux émules parmi les naturalistes britanniques qui, à l’instar du domaine de Selborne pour White, nomment « your patch » ces lieux familiers qu’ils parcourent non loin de chez eux et dans lesquels ils reviennent régulièrement pour y noter leurs observations.
Histoire naturelle de Selborne est un recueil de lettres adressées à deux naturalistes (Daines Barrington et Thomas Pennant), l’échange épistolaire demeurant le support de communication scientifique de l’époque. Par elles, Gilbert White a jeté les bases de l’écologie et de l’éthologie modernes dans un style alerte, précis et enjoué – parfaitement écrit – qui réjouira le scientifique comme le simple curieux de nature.
L’ouvrage est disponible à la Bibliothèque Universitaire de Sciences aux cotes suivantes : en français : 9:57/59 WHI (éd. 2018) et en anglais : F 174846 (éd. 1901), E 6694 (éd. 1924) et F 174853 (éd. 1949)