Du 5 au 31 octobre 2020, dans le cadre du Livre ancien du mois, la bibliothèque Michel Foucault a accueilli un document ordinairement conservé au Fonds ancien : la Description et explication d’un camée fait en dernier lieu par Mr Louis Siriès, publiée en 1747 à Florence. Cette œuvre sera à nouveau exposée dans la même bibliothèque du 23 au 30 novembre 2020.
Comme l’indique le titre alternatif (ou Lettres de deux amis sur diverses productions de l’art), l’auteur de l’ouvrage, Joannon de Saint-Laurent, use du genre épistolaire, en vogue au XVIIIe siècle, pour rendre le sujet moins aride, instruire tout en charmant. Ces lettres évoquant un petit crucifix et un « grand » camée en lapis-lazuli sont suivies de la Description d’un camée en onyce … lequel représente le portrait de S. M. T. C. Louis XV, lui aussi gravé par l’artiste Louis Siriès. Les trois objets sont figurés sur deux planches, dont une dépliante.
L’engouement pour les pierres gravées au XVIIIe siècle
La glyptique, art de tailler les pierres fines, est attestée en Mésopotamie dès le IVe millénaire avant notre ère. Les pierres gravées en creux, les intailles, servirent souvent de sceaux. Réalisés en relief, les camées étaient généralement figuratifs et ornementaux, les plus prisés sublimant la polychromie naturelle des agates. Collectionnées à travers les âges, les pierres gravées furent façonnées avec particulièrement d’habileté durant l’Antiquité et la Renaissance.
Dans son article « Mariette et Winckelmann » (Revue germanique internationale, n° 13, 2000), le spécialiste de l’histoire des collections Krzysztof Pomian affirme qu’au XVIIIe siècle les camées et les intailles « suscitent un nouvel intérêt des artistes, des antiquaires et des gens de savoir en général … c’est d’abord parmi ces derniers que s’est produit, à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle, un changement d’attitude à l’égard des pierres gravées qui s’est propagé ensuite d’un côté chez les détenteurs du pouvoir et de la richesse et, de l’autre, chez les artistes ». Et de recenser les ouvrages leur étant entièrement ou majoritairement consacrés : 13 de 1570 à 1685, 18 entre 1686 et 1750, 31 entre 1751 et 1800.
C’est d’ailleurs au XVIIIe siècle et plus précisément en 1752, selon le Trésor de la langue française, que fut introduit le mot « camée ». Le tome 2 de l’Encyclopédie, publié cette année-là, parle encore de « camaïeu ».

Portrait de Joannon de Saint-Laurent, dessiné par Giuseppe da Cento Artioli d’après Giuseppe Bongiovanni et gravé sur cuivre par Cristoforo dall’Acqua, 2de moitié du XVIIIe siècle (Rijksmuseum, Amsterdam, via Europeana)
L’auteur de la Description : Joannon de Saint-Laurent (1714-1783)
Joannon de Saint-Laurent fut aventurier, antiquaire, physicien, naturaliste, collectionneur. Originaire de Lyon, il s’installa en Italie. Auteur de divers mémoires restés inédits, il publia en 1746 la Description abrégée du fameux cabinet de M. le chevalier de Baillou, pour servir à l’histoire naturelle des pierres précieuses, métaux, minéraux, et autres fossiles. La Description des pierres gravées du feu baron de Stosch (1760) par Johann Joachim Winckelmann lui doit la section sur les vases.
Le créateur des camées : Louis Siriès (vers 1686-après 1766)
Né à Figeac-en-Quercy, orfèvre du roi de France, Louis Siriès effectua la plus grande partie de sa carrière à Florence. En 1748, il devint directeur de la Galleria dei Lavori in pietre dure de la ville, poste occupé par ses descendants jusqu’en 1854. Il fut également le père d’une peintre et pastelliste réputée, Violante Beatrice Siriès Cerroti.
Les miniatures en or de Louis Siriès impressionnaient : couverts minuscules, ciseaux parfaitement fonctionnels et si réduits qu’une branche s’égara un jour sous son ongle. Avec l’acier, il composait des tableaux en bas-relief.
Alors qu’il débuta la glyptique en 1746, le catalogue de ses œuvres paru 11 ans plus tard signalait déjà 168 pierres gravées. Or une seule d’entre elles, surtout si c’était un camée, pouvait nécessiter des mois de labeur. De quoi comprendre l’étonnement de Pierre-Jean Mariette, se demandant dans son Traité des pierres gravées (1750) si Louis Siriès n’avait pas fabriqué « quelque outil autrement configuré que ceux dont on se sert ordinairement ». L’artiste nia toujours et proposait même une conséquente récompense à qui reproduirait ses premières réalisations : les trois camées évoqués par Joannon de Saint-Laurent.

Description et explication d’un camée de lapis-lazuli fait en dernier lieu par Mr. Louis Siriès / Joannon de Saint-Laurent.- Florence : Imprimerie à l’Enseigne d’Apollon, 1747 (Poitiers, Bibliothèques universitaires, Fonds ancien, 71966)
La description des camées par Joannon de Saint-Laurent
Que l’on ne s’y trompe pas, Joannon de Saint-Laurent ne fait nullement le panégyrique de Louis Siriès ! Il se contente de donner les dix lettres échangées par deux amis, même s’il avoue avoir introduit quelques corrections sur les conseils de l’artiste. Un des épistoliers (fictifs) réside à Paris, l’autre à Florence. Ce dernier a eu le loisir de contempler les camées, les dessiner, en relever l’empreinte, a rencontré leur créateur.
Plus que le petit crucifix en lapis-lazuli, première œuvre de Siriès, c’est son second ouvrage, le « grand » camée façonné dans la même matière, qui retient l’attention de l’amateur d’art florentin. Il le définit comme une parodie de l’estampe L’Académie des Sciences et des Beaux-Arts de Sébastien Leclerc (1698). Il l’explique grâce à L’épistémotechnodicée ou La cause des Sciences et des Arts, répartie sur trois lettres. Les Facultés humaines les plus vertueuses ont été convoquées par la Raison chez la Vérité. Cette assemblée déplore que seule la Musique soit prisée, au détriment des autres Sciences et Arts. L’Imagination propose de faire appel au génie Technite et voyage avec lui. Ils assistent à la scène exposée au centre du camée : au milieu du Temple des Disciplines humaines, la Musique, somptueusement parée, triomphe, frivole, corrompue ; les génies l’entourant sont pauvres et tous nus. Celui de la peinture est particulièrement reconnaissable, devant son grand cadre. Les Sciences et Arts injustement méprisés finissent par être chassés du Temple par les troupes de Charlatanerie et Ignorance. L’Imagination conseille alors à Technite d’aller trouver le Bon Sens, qui juge préférable de vivre loin des hommes. Ce dernier le conduit jusqu’au Palais de la Souveraineté, symbolisé dans le cartouche supérieur, en passant par sept stations, correspondant aux époques et fondements de la société. Seul le monarque, guide pour ses sujets, est en effet capable de mener à bien les réformes requises.
La Description d’un camée en onyce ou nicolo de trois couleurs lequel représente le portrait de S. M. T. C. Louis XV roi de France et de Navarre est moins originale sur la forme et assez brève. En blanc, se détachait le visage du souverain, comme un soleil au milieu des signes du zodiaque, bruns, de même que le fond du camée. Les cheveux, le sourcil, la cuirasse apparaissaient châtains, plus en relief.
Illustration et ornementation de la Description
Les deux planches reliées dans l’ouvrage montrent la taille réelle des objets : 6,1 cm x 4,5 cm pour le crucifix, 5,5 cm x 6,7 cm pour le camée en lapis-lazuli, 1,7 x 2,4 cm pour son homologue en onyx. Ils ont aussi été considérablement agrandis, excepté le crucifix, comportant peu de détails. Ces gravures sur cuivre portent la signature d’artistes florentins : Carlo Gregori (1719-1759) au bas du portrait de Louis XV en pleine page, Giuseppe Zocchi (1711?-1767) sur la planche dépliante figurant le crucifix et le camée allégorique. Le second, en plus d’être graveur, se distingua comme peintre, de paysages, vedute notamment.
Certaines lettrines se ressemblent étrangement. Pour des raisons d’économie, le même cadre gravé sur bois a sans doute servi, un caractère différent ayant chaque fois été inséré au centre.
Que sont ces camées devenus ?
Le crucifix et le camée en lapis-lazuli sont visibles sur le site internet du Kunsthistorisches Museum de Vienne. Le second est interprété comme l’impératrice Marie-Thérèse protectrice des Sciences, des Arts et des Métiers. La figure féminine ainsi identifiée a le visage de face alors qu’il est légèrement tourné de côté sur la gravure, pas totalement fidèle.
Les 168 pièces listées en 1757 dans le Catalogue des pierres gravées par Louis Siriès furent achetées par le grand-duc de Toscane vers 1760. Grâce à son mariage avec Marie-Thérèse d’Autriche, ce dernier avait été couronné empereur du Saint-Empire romain germanique en 1745 sous le nom de François Ier. Louis Siriès fixa leurs traits sur la pierre, seuls, en couple ou en famille. Parmi leur illustre progéniture, Marie-Antoinette, reine de France. Au décès de son époux, Marie-Thérèse hérita des intailles et des camées.
Le portrait de Louis XV en onyx, « enchâssé dans un morceau de lapis-lazuli … dans une garniture d’or », fait-il lui aussi partie des 92 pierres gravées de Louis Siriès encore conservées au Kunsthistorisches Museum ?
Pour aller plus loin
CENTRELLA Maria, « Le camée : témoignages d’un savoir-faire qui traverse le temps », dans Éla : études de linguistique appliquée, n° 171, 2013/3, p. 321-333
DIDEROT Denis, D’ALEMBERT (éd.), Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers
- JAUCOURT Louis de, « Pierre gravée », dans le Tome douzième, PARL-POL, p. 585-592, Neuchâtel, Samuel Fauche, 1765. Article notamment consultable sur le site ENCCRE ou sur celui de l’ARTFL
- « Gravure en pierres fines. Contenant trois planches », dans le Recueil de planches sur les sciences, les arts libéraux et les arts méchaniques, Quatrième livraison, Paris, Antoine-Claude Briasson, Michel-Antoine David, André-François Le Breton, 1767. Planches et leurs légendes sur le site ENCCRE ou sur celui de l’ARTFL
HENRY-VIRLY Vanessa, Les intailles et les camées dans les collections en France au XVIIIe siècle, thèse de doctorat en Histoire de l’art sous la dir. de Xénia MURATOVA et Patrick MICHEL, Rennes 2, 2010
JACQUIOT Josèphe, « Camées », dans l’Encyclopædia Universalis en ligne
MOLLIÈRE Humbert, « Un lyonnais digne de mémoire Joannon de Saint-Laurent : philosophe, naturaliste, archéologue (1717-1786) », dans Revue du Lyonnais, Lyon, Mougin-Rusand, série 5, n° 28, 1899, p. 161-183
POMIAN Krzysztof, « Mariette et Winckelmann », dans Revue germanique internationale, n° 13, 2000, p. 11-38
Zeitschrift Für Kunstgeschichte, vol. 59, n° 2, 1996
- AVISSEAU-BROUSTET Mathilde, « Historique de la collection de pierres gravées du cabinet de France aux XVIIIe et XIXe siècles », p. 214-229
- BERNHARD-WALCHER Alfred, « Geschnittene Steine des 18. und 19. Jahrhunderts in der Antikensammlung des Kunsthistorischen Museums Wien », p. 162-182
ZUFFANELLI Maria Alberta, « L’Opificio delle Pietre Dure e le sue diverse sedi : trasferimenti e vicende costruttive dal secolo XVI al secolo XIX », dans OPD Restauro, n° 17, 2005, p. 317-332