La parution récente de l’ouvrage de Patrick Boucheron « Histoire mondiale de la France« a remis en avant la notion d’histoire mondiale.
En quoi consiste-t-elle et quel est son intérêt ?
En premier lieu, il ne faut pas réduire l’histoire mondiale à une simple histoire du monde qui existe déjà depuis longtemps : nombreuses sont en effet les collections qui ont tenté de dresser un panorama global des civilisations depuis les origines. Les plus connues d’entre elles ont pu être « Le monde et son histoire » de Meuleau chez Bordas, « Les grandes civilisations » de Bloch chez Arthaud qui sont longtemps restés des classiques comme celui de Le Goff sur L’Occident médiéval ou encore l’ « Histoire générale des civilisations » (sous la direction de Crouzet aux PUF), dont les racines se trouvent dans les grands projets encyclopédiques des années 1920 et 1930 comme la collection « Peuples et civilisations » de Halphen et Sagnac. Certains projets ne purent d’ailleurs aboutir au terme de leur objectif initial compte tenu de l’importance du chantier. Cette perspective est régulièrement renouvelée, comme en témoignent les très récents ouvrages de synthèse parus chez Belin et qui vont balayer l’ensemble de la préhistoire et de l’Antiquité. Même la collection « Pour les nuls » y a apporté sa contribution…
Mais l’histoire mondiale n’est pas l’histoire du monde pour une raison simple : le changement de point de vue. Face à une histoire majoritairement produite par des historiens occidentaux, l’histoire mondiale répond à plusieurs intentions : replacer des événements nationaux non pas dans un temps long mais dans leurs interactions et avec des comparaisons globales avec le reste du monde, mieux intégrer les travaux des historiens étrangers et être attentif à ce qui se passe ailleurs au même moment, en particulier aux connexions entre les civilisations (« La France n’existe pas séparément du monde » selon Boucheron). En somme, il s’agit de se décentrer d’une histoire franco-européano-occidentalo-centrée. Le livre de Boucheron entend ainsi contrer clairement les initiatives autour du « roman national » …
Cette « Histoire mondiale de la France » a logiquement déclenché une polémique, tant politique que scientifique (assez bien résumée dans l’article de Wikipedia), à tel point que l’auteur a dû multiplier ses interventions dans les médias pour expliquer sa démarche (comme ici à France Culture, pour qui le débat est loin d’être clos comme le montre cette émission du 09/03/2018).
Cette agitation médiatique fait oublier que la volonté de faire progresser une histoire globale et une histoire connectée est assez ancienne, depuis les années 1980 surtout, et qu’elle n’est pas d’impulsion française comme l’atteste la popularité internationale de l’historien indien Sanjay Subrahmanyam, des synthèses récentes comme celle de Laurent Testot ou le dossier en ligne de la revue Sciences Humaines sur le sujet.
Ce débat, qui déborde de la seule sphère historienne tant il peut interroger nos visions du monde, a le mérite de stimuler la production éditoriale récente comme l’atteste la traduction du travail fondateur de Osterhammel sur le XIXe s., période sur laquelle porte également la volumineuse publication « Histoire du monde au XIXe s« . À noter un point commun entre cette dernière et celle de Boucheron : l’abandon de tout projet de rédiger une synthèse globale, sans doute impossible humainement aujourd’hui, au profit de chapitres courts, rédigés par des spécialistes, soit sur une date (pour l’ « Histoire mondiale de la France » comme lancement du satellite Astérix en 1965), soit sur un objet (la fripe, le fez, l’ivoire…) ou un espace (le monde malais…) pour l’ « Histoire du monde au XIXe s. ».
Et comme pour un tableau impressionniste, c’est en prenant du recul face à toutes ces taches de couleur que l’on commence à entrevoir la vision du monde de l’artiste… pardon de l’historien…