Une journée (des droits des femmes) avec Françoise Héritier

To ask freedom for women is not a crime

Harris & Ewing, W. (1917) Mary Winsor Penn. ’17 holding Suffrage Prisoners banner. United States Washington D.C, 1917. Source : Library of Congress

 

 

Le 8 mars, Journée Internationale des Droits des Femmes, est l’occasion pour nous de rendre hommage à Françoise Héritier. L’anthropologue, ethnologue et féministe nous a quittés le 15 novembre dernier. Grâce aux nombreux travaux qu’elle nous lègue, il est possible d’étudier les obstacles aux inégalités entre les femmes et les hommes sous un angle anthropologique. Voici quelques pistes de réflexion, accompagnées de leurs références, issues pour la plupart des collections de vos BU.

 

 

Des différences biologiques ?
L’approche anthropologique de Françoise Héritier donne au corps une place fondamentale dans l’analyse des rapports entre hommes et femmes. Comment l’observation par les hommes de la différence sexuée a-t-elle été à l’origine d’une hiérarchisation entre les sexes ? Françoise Héritier se réclame du structuralisme, qu’elle a profondément renouvelé. Il s’agit de penser des invariants entre les différentes cultures : « La différence est toujours présente, mais des ensembles de phénomènes qui semblent radicalement différents relèvent cependant de mêmes structures de pensée » (1). Selon Françoise Héritier, la structure est dans l’esprit des hommes parce qu’ils la trouvent dans les choses : dans la nature (l’alternance du jour et de la nuit par exemple) mais surtout dans leurs propres corps. Le corps est ainsi support de sens et de structure. Il porte des différences, que les hommes transforment en hiérarchie.

La « valence différenciée des sexes »
La puissance hiérarchisante de la pensée humaine transforme donc des différences anatomiques et fonctionnelles en des rapports supérieur/inférieur. De même que l’antériorité et la postériorité dans les liens familiaux se muent en des rapports de supériorité et d’infériorité (parents > enfants ; aînés > cadets), les différences biologiques des deux sexes sont interprétées en termes d’activité et de passivité, et par là, comme une supériorité de l’homme sur la femme (2). C’est ce que Françoise Héritier conceptualise par l’expression « valence différenciée des sexes ».

L’anthropologue soutient, dans Masculin/Féminin II. Dissoudre la hiérarchie (3), que c’est en particulier la perception des femmes comme reproductrices du vivant qui a mené à leur appropriation par les hommes et à la privation de certaines libertés. Le corps des femmes est devenu un enjeu de pouvoir, un objet d’échange (il n’existe aucun exemple de société où les femmes échangent leurs fils ou leurs frères).

Une femme vers son neuvième mois et les parties du sexe féminin détachées

Gautier d’Agoty, Jacques Fabien. – Anatomie des parties de la génération de l’homme et de la femme, représentées avec leurs couleurs naturelles, selon le nouvel art. Par M. Gautier Dagoty Pere, anatomiste pensionné du Roi.
Paris : J.B. Brunet & Demonville, 1773

Cependant, faire le constat du caractère universel ou invariant de cette structure mentale, ce n’est ni la justifier, ni la considérer comme immuable.

Penser la transformation des rapports entre hommes et femmes : le « déclic de l’émotion »
La propension à interpréter le monde en termes binaires est sans doute indépassable. En revanche Françoise Héritier estime possible et souhaitable de repenser cette binarité autrement que de manière hiérarchique ou par des rapports de domination. La réappropriation par les femmes de leur corps (contraception…), les évolutions juridiques dans le domaine de la parité, et l’éducation à l’égalité dès l’enfance, en sont les premiers pas. La très lente mais radicale transformation des mentalités ne peut selon elle advenir que si ces nouveaux rapports deviennent « émotionnellement concevables » : « Avant d’être intellectuellement pensables et réalisables par l’institution, il faut qu’elles soient admises par le plus grand nombre, c’est ce que j’appelle être émotionnellement concevables » (4).

 

 

 

 Les travaux de l’anthropologie permettent de penser le monde d’aujourd’hui et les manières de le transformer. Françoise Héritier se concevait d’ailleurs elle-même comme une « anthropologue dans la cité » (5), comme le confirment ses nombreux engagements.

 

Références :

(1) Héritier, Françoise, « Entretien », Raisons politiques, 2005/4 (n°20), p. 113-148. DOI : 10.3917/rai.020.0113. URL : https://www-cairn-info.ressources.univ-poitiers.fr/revue-raisons-politiques-2005-4-page-113.htm

(2) Vidéothèque CNRS : « Françoise Héritier et les lois du genre« , 2009, CNRS Images

(3) Héritier, Françoise. Masculin-Féminin: Dissoudre La Hiérarchie 2. O. Jacob, Paris, 2002 [BU Michel Foucault]

(4) Héritier, Françoise, « Entretien », Raisons politiques, 2005/4 (n°20), p. 113-148. DOI : 10.3917/rai.020.0113. URL : https://www-cairn-info.ressources.univ-poitiers.fr/revue-raisons-politiques-2005-4-page-113.htm

(5) Fiéloux M, Mestre C, Moro MR. Une anthropologue dans la Cité. Entretien avec Françoise Héritier. L’autre, Cliniques, cultures et sociétés, 2008, Vol. 9, n° 1, pp. 11-36 DOI : 10.3917/lautr.025.0009 https://revuelautre.com/entretiens/une-anthropologue-dans-la-cite/

(6) Héritier, Françoise. Le sang du guerrier et le sang des femmes. In: Les Cahiers du GRIF, n°29, 1984. l’africaine sexe et signe. pp. 7-21. DOI : 10.3406/grif.1984.1629 www.persee.fr/doc/grif_0770-6081_1984_num_29_1_1629

(7) Héritier, Françoise. Masculin-Féminin: La Pensée De La Différence [1]. O. Jacob, Paris, 2007. [BU Michel Foucault]

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