Le Justicier et la ménagère. Représentations des corps féminins et des corps masculins dans les westerns hollywoodiens des années 1950

John Ford, La prisonnière du désert, 1956

John Ford, La prisonnière du désert, 1956

Winchester en main, galopant vers l’Ouest, le cowboy est sans nul doute le mythe cinématographique hollywoodien des années 1950 qui se rapproche le plus de la figure contemporaine du super-héros. En quête de liberté et de justice, le cowboy hollywoodien – du simple cultivateur (Robert Mitchum dans Rivière sans retour), au shérif (Gary Cooper dans Le train sifflera trois fois) en passant par la figure du militaire (John Wayne dans Les Cavaliers, dans Rio Grande ou encore dans La Prisonnière du Désert) – est la figure archétypale de l’homme viril. Démarche affirmée, tireur d’élite – aussi bien au fusil qu’au colt –, boxeur à l’occasion, les personnages principaux des westerns sont des exemples moraux. Par ces personnages, ces décors, ces histoires, c’est une mythologie de la Conquête de l’Ouest, voire de la Construction des États-Unis, qui est présentée par ces films. Ce sont de véritables gestes modernes. Au-delà d’un simple prétexte narratif, l’Histoire de la colonisation étasunienne résonne dans les films des années 1950 comme une légitimation de la « nécessaire libération » d’un espace à occuper, à construire. Les américains – confédérés (sudistes) ou unionistes (nordistes) – sont unanimement présentés comme les victimes-victorieuses de ces épopées fantastiques. Symboles de « la civilisation », ils combattent héroïquement la figure de « l’Indien », peinturluré, hurlant : par nature sauvage, barbare, cruel.

John Ford, La prisonnière du désert, 1956

John Ford, La prisonnière du désert, 1956

Comme mythe directement politique, Les Conquérants du Nouveau Monde de Cecil B. DeMille (1947), maccarthiste de la première heure, se sert de l’histoire américaine pour faire une analogie directe entre les indiens et les communistes. Par le cinéma de western, se créé alors une hiérarchisation des attitudes morales, corporelles, par la désignation d’ennemis : les corps dissymétriques, balafrés, sales, sont en général des personnages tôt ou tard ennemis du justicier. L’homme « westernien », héroïque, est le personnage garant de l’ordre sociétal, cosmique, en train de se constituer. Le cowboy est alors le seul à pouvoir agir dans l’idée d’une conquête des libertés individuelles et de la protection des personnages représentés comme faibles, les enfants bien sûr, mais aussi et surtout les femmes.

Otto Preminger, Rivière sans retour, 1954

Otto Preminger, Rivière sans retour, 1954

Les violences physiques faites contre les femmes font soit l’objet d’une minimisation – comme dans Rivère sans retour d’Otto Preminger (1954) où Robert Mitchum tente de violer Marilyn Monroe qui elle-même relativise cette agression – soit l’objet d’une « héroïsation » du personnage masculin quand ce dernier empêche cette violence – Gary Cooper dans Vera Cruz de Robert Aldrich (1954) incarne la figure du gentleman sudiste, « esclavagiste philanthrope », défenseur des « faibles » –. Si les westerns sont bien des univers presque exclusivement d’hommes, plusieurs figures de femmes semblent cependant se dessiner dans le western des années 1950. Il y a les mères, inquiètes du sort du fils ou du mari, attendant le retour du héros de guerre et faisant obstacle à leurs départs. Ce sont des fées du logis à la manière de Vera Miles dans La Prisonnière du Désert (1956) ou encore de Maureen O’Hara dans Rio Grande (1950). Ces films magnifient le rôle de la femme comme mère au foyer. Il y a également la figure célèbre de la femme captive que l’on peut illustrer avec Natalie Wood, raptée dans La Prisonnière du Désert (1956) ou Nancy Gates, enlevée dans Comanche Station (1960) de Budd Boetticher. Il y a enfin la figure de la séductrice, qui peut se manifester de diverses manières : la chanteuse de saloon jouée par Marilyn Monroe dans Rivère sans retour (1952) ou encore la charmeuse de John Wayne interprétée par Angie Dickinson dans Rio Bravo de Howard Hawks (1959).

Howard Hawks, Rio Bravo, 1959

Howard Hawks, Rio Bravo, 1959

Pour ne prendre que ces deux exemples, elles jouent toutes les deux des femmes qui ne rentrent pas – directement – dans les cases classiques de la cellule familiale. Elles jouent toutes les deux d’un « pouvoir fantasmatique » de corps. « Sensualisées » toutes les deux par leurs costumes et par leurs postures mettant en avant d’interminables jambes, ces femmes sont avant tout d’« éternelles être-perçues » pour reprendre la formule de Pierre Bourdieu.
Les femmes sont alors soit la cause d’une action célébrant un pouvoir masculin, soit les garantes de l’ordre social domestique, soit des personnages figuratifs de second plan. Les femmes subissent l’action narrative : les femmes sont essentialisées comme étant inférieures aux hommes. En outre, leurs représentations contribuent à magnifier la figure du cowboy, héroïque, figure mythique de la préservation de l’ordre social.

Samuel Mathaud,
étudiant de M2 d’Histoire au CRIHAM
Avril 2015
Contact : samuel.mathaud@gmail.com

Je tiens à remercier le SCD et l’équipe de la bibliothèque : Anne-Françoise Rocchitelli, Hélène Simon, Pol Subile, Patrick Deborde, qui m’ont permis d’effectuer ce stage de Master 2 et m’ont fortement aidé à l’exploitation des fonds documentaires (films, livres et revues) disponibles à la Bibliothèque de Lettres.

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