Metz, exposition au centre Pompidou, détails d’une installation.
Retour au sujet rythme et rupture de rythme
Description des œuvres.
Infiltration homogène et the skin sont deux œuvres de l’artiste Joseph Beuys. Beuys est une figure majeure du courant Fluxus en Europe. Influencé par le courant Dada, c’est un mouvement d’art éphémère et de non-art, en prise avec la société actuelle. C’est un mouvement initialement américain d’artistes, designers et musiciens, parmi lesquels John Cage. Ils sont à l’origine des premiers happenings, qu’ils considèrent comme des performances à part entière, rejetant la notion d’œuvre d’art.
Dans la salle Joseph Beuys, deux œuvres se côtoient : une œuvre au piano, Infiltration homogène pour piano à queue (1966), couvert d’une couverture de feutre gris marqué d’une croix rouge. Le feutre et le fond blanc donnent au tout une très grande sensation de calme. Et the skin (1984) qui peut être vue comme un miroir de la première, car elle en est une étape temporelle. La couverture a la valeur d’avoir retenu les sons. Elle est là comme une mue du piano. Mise en abîme du temps lui-même.
« Le son du piano est piégé à l’intérieur de la peau en feutre. Au sens habituel du terme, le piano est un instrument qui sert à produire des sons. Quand il ne sert pas, il est silencieux, mais il conserve son potentiel sonore. Ici aucun son n’est possible et il est condamné au silence. Infiltration homogène exprime la nature et la structure du feutre ; le piano devient un dépôt homogène du son, qui a le pouvoir de filtrer à travers le feutre. La relation à la situation humaine est indiquée par les deux croix rouges qui signifient l’urgence, le danger qui nous menace si nous restons silencieux et si nous échouons à nous engager dans la prochaine étape del’évolution.
Un tel objet est conçu pour stimuler la discussion. En aucun cas il ne faut y voir une production esthétique. »
Joseph Beuys.
Par cette citation on comprend l’aspect art éphémère et engagé de l’œuvre. Beuys nous dit explicitement que l’installation est là pour inciter à la conversation et partant, à l’action. Si nous n’agissons pas dans le monde dans lequel nous vivons, il y a danger.
Le piano bâillonné place directement l’installation dans la perspective des artistes maudits des XIX et XXe siècles, tels Rimbault ou Van Goth. Cette image est angoissante si l’on considère comme le dit Beuys que le piano ainsi traité n’est plus capable d’émettre aucun son. Il n’est pas fermé, il est mort.
La relation au feutre : Joseph Beuys est pilote d’avion pendant la Deuxième Guerre Mondiale et s’écrase en Asie. Il est alors sauvé par des nomades qui l’entourent dans une couverture. Le feutre accroché et hors d’usage, « la peau », donne un indice temporel entre l’avant et l’après. La peau pendue est hors d’usage. On peut imaginer qu’elle a elle aussi retenue des sons. Elle est un témoin de l’inaudible qu’elle retient. D’où sa double place ; elle est le témoin, et l’entrave. Et dernière remarque : elle a un aspect mort, comme une peau de bête vidée de sa chair.

installation provenant de la série I like America and America likes me utilisant aussi le feutre (1974).
L’installation présentée au musée Pompidou-Metz apporte plusieurs éléments sur le thème du rythme et de la rupture, notamment le traitement du temps et du son. On a sous les yeux un marqueur temporel de la vie et la mort d’un son. Mais visuel. Nous sommes donc en rupture sous plusieurs aspects : d’abord le format de l’œuvre : c’est une installation spatiale silencieuse. Ensuite la gestion de l’aspect temporel : l’œuvre se déroule suivant un avant et un après fléchant clairement le temps dans une direction donnée. L’aspect rythmique aussi : la répétition de la présence de la couverture installe la temporalité mais la ponctue aussi. L’aspect engagé enfin : celui qui a accès à l’art se doit de le transmettre. L’image donnée est ici l’idée que nous sommes dans une société qui n’y donne pas facilement accès et qui se met ainsi en danger, d’implosion et de disparition.
« Mes objets doivent être pris comme des stimulateurs pour la transformation de l’idée de sculpture, ou d’art en général. Ils doivent susciter des réflexions sur ce que peut être la sculpture, et sur la façon dont la notion de sculpture peut être étendue à des matériaux invisibles utilisés par tout le monde :
– Formes de pensée – Comment nous modulons nos pensée ou
– Formes de parole – comment nous façonnons en mots ou
– Sculpture sociale – comment nous modelons et façonnons le monde dans lequel nous vivons : la sculpture comme processus évolutif ; tous des artistes.
C’est pourquoi la nature de mes sculptures n’est pas immuable et définitive. Des opérations se poursuivent dans la plupart d’entre elles : réactions chimiques, fermentations, changements de couleurs, dégradations, desséchements. Tout est en état de changement. »
Joseph Beuys in « Qu’est ce que la sculpture moderne ? » de Margit Rowell et Dominique Bozo, Paris, Edition du centre Pompidou, 1986, P.209.
L’idée dominante de cette citation reste l’idée qu’une œuvre d’art n’a de sens que si elle atteint et stimule chez tout le monde l’accès à la réflexion, la formulation en mots et notre rapport au monde. Ainsi l’œuvre d’art change parallèlement à l’être humain et est un élément intrinsèquement mobile.
Laure