Dans l’univers de la danse contemporaine, et de la danse en général, le rythme possède sa propre définition et s’exprime selon des formes différentes que je vais tenter de révéler à travers deux exemples de spectacles : Phobos de Claude Brumachon et Salves de Maguy Marin.
« Phobos » ou le rythme du souffle
Claude Brumachon (1959-) pratique la danse depuis ses dix-sept ans. Il rencontre Benjamin Lamarche en 1981, qui devient son ami et partenaire de danse et de création chorégraphique, avec lequel il fonde en 1984 une première compagnie Les Rixes. Ils inventent alors une écriture chorégraphique particulière, emprunte de véhémence, de passion, mais aussi de tendresse tourmentée aux gestes vifs et acérés, comme ils le définissent eux-mêmes ; caractéristiques qui imprègnent toutes leurs créations de Texane (créée en 1988 et primée au concours de Bagnolet) à Phobos.
La pièce Phobos a été conçue en 2007 et pensée pour dix-huit danseurs. Elle est le contre-pied de la chorégraphie intitulée Festin, réalisée en 2004, qui exprimait le désir charnel, amoureux, procuré autour d’un banquet aux allures dionysiaques. Dans Phobos, Claude Brumachon souhaite révéler les actes de l’homme poussé par ses peurs les plus tenaces. Le corps est parfois dénudé sans aucune sensualité, dans un parti pris de montrer le corps à l’état brut, animal, décharné, blessé et honteux. On retrouve des mouvements saccadés, virulents presque violents exprimant ainsi les peurs phobiques, irréelles et les vraies blessures que l’homme peut s’infliger dans les pires moments de terreurs, de paranoïa. Les corps sont projetés les uns contres les autres, ou au sol, ils sont par moment aériens comme lorsqu’ils se suspendent aux crochets de boucher qui rythment l’espace scénique, qui le fractionnent. Tous ces sentiments sont révélés par la création de mouvements et de déplacements du corps qui composent l’un des rythmes de la danse : le rythme mécanique, fonctionnel, musculaire, cardiaque.
Ce rythme mécanique est une composante constante de la danse car les mouvements du corps forment l’acte même de danser. La particularité de la pièce Phobos réside dans un choix scénographique singulier. En effet, cette chorégraphie a été pensée en deux temps : un prélude nous présente les dix-huit danseurs dans une étreinte animée de secousses et de spasmes. Puis certains spectateurs sont invités à s’installer sur la scène aux endroits désignés par des chaises. Ils sont alors sollicités par les danseurs qui se meuvent tout autour d’eux, puis redeviennent de simples spectateurs lorsque des groupes se forment révélant une autre altérité.
[vimeo]https://vimeo.com/109586328[/vimeo]
Mais la confrontation entre spectateurs et danseurs fait partie du jeu scénique. Les danseurs se lèvent, tombent, roulent, regardent le spectateur et l’entraînent dans les tourments qui animent leurs corps. Cette proximité est inédite pour le spectateur qui est totalement immergé dans la chorégraphie. On lui offre la possibilité de voir et d’entendre bien plus que la musique, les gestes, les mouvements : il est alors confronté au souffle des danseurs, au rythme de la respiration. Cette dernière devient râles, essoufflements, sifflements, elle est un langage exprimant l’effort puis la douleur, le combat du corps mais aussi son accomplissement dans l’acte de la danse. Le rythme du souffle est bien évidemment l’une des composantes de la danse, qui est ici démultiplié jusqu’à devenir un cri, une sensation, un sentiment : la peur.
Pour les curieux voici le lien de la pièce intégralement filmée :
http://www.numeridanse.tv/fr/video/3142_phobos
Maguy Marin et le rythme des « Salves »
Salves est une pièce chorégraphique créée en septembre 2010 à Villeurbanne dans le cadre de la Biennale de la danse de Lyon, par la danseuse et chorégraphe Maguy Marin. Lorsque l’on présente son travail et celui de sa compagnie, on le caractérise d’engagé, de théâtral, où s’entremêle les arts plastiques, scéniques et musicaux.
Dans Salves on s’étonne de la mise en scène qui apparaît très théâtrale, avec un décor simple mais très présent dans la création d’un espace, d’un lieu imaginaire, celui de la scène, du temps de l’action. Entre ces murs et cloisons noirs qui se dressent, évoluent sept interprètes dans une atmosphère inquiétante, aux lumières tantôt tamisées, tantôt crues d’un blanc éclatant. Tout commence avec un homme anonyme tirant un fil invisible, il le déroule, le dénoue. Petit à petit, les six autres comédiens le rejoignent et entament ces gestes incessants à l’image des parques tissant, filant et coupant les fils de la destiné des hommes. Ainsi, le ton de la danse est donné : la répétition du geste devient l’âme de cette pièce.
Changement de tempo, après ces gestes millimétrés place à l’action des corps qui courent, se bousculent et traversent sans relâche la scène, emprunts d’une frénésie de plus en plus forte. Chaque tableau, chaque scène est construite sur le geste de la répétition, caractéristique que l’on associe naturellement au rythme. La répétition offre et définit un ordre dans le mouvement que les personnages pensent devoir respecter. Ainsi, lors de la scène de l’installation du banquet, ils ont formé une chaîne humaine, se lançant les assiettes et les décors de la table, où les râles de l’effort viennent rythmer le chantier. Les gestes sont mécaniques, répétitifs puis ils s’accélèrent exprimant une course frénétique, une angoisse des personnages. Mais dans cet enthousiasme de la course, un maillon se fragilise, s’affaiblit, une assiette tombe, elle se casse : le mouvement est interrompu, le rythme est cassé, les personnages désorientés, désordonnés.
[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=bjVaMMNJ3BU[/youtube]
Ces répétitions rythmiques des gestes ne sont pas les seuls Salves qui composent la pièce. Les musiques composées par Denis Mariotte accompagnent et apportent des atmosphères particulières. Elles rendent les scènes angoissantes, mystérieuses avec les grésillements des vieux enregistrements et des explosions sonores – coups de feu, moteurs, chutes – venant les interrompre. Véritables tirs répétés, la lumière s’invite également dans la danse effrénée du rythme scandé, répétitif avec des apparitions flashées, symbolisant la force d’irruption des cauchemars.
La répétition, l’ordre, le désordre du rythme s’invitent et composent la pièce Salves. La danse, la musique et les lumières se complètent, créent des émotions et narrent un discours sur le pessimisme de l’homme, ses peurs auxquelles il tente de s’échapper pour embrasser la liberté mais en vain.
Présentation du spectacle par France 3 lors de sa représentation en 2011 au Théâtre Garonne à Toulouse:
[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=CWUEbx64T-s[/youtube]
Pour découvrir la Compagnie de Claude Brumachon et de Benjamin Lamarche :
http://www.ccnn-brumachonlamarche.com/le-ccnn/la-compagnie-brumachon-lamarche/
http://www.liberation.fr/theatre/2008/11/15/phobos-densite-de-la-peur_257115
Pour s’informer sur la Compagnie Maguy Marin et sur la pièce « Salves » :
http://www.compagnie-maguy-marin.fr/
http://www.paris-art.com/spectacle-danse-contemporaine/salves/marin-maguy/7323.html
http://www.liberation.fr/culture/2010/10/28/salves-de-bravoure_689647
http://www.telerama.fr/art/salves,60600.php
Camille