Quelles perspectives pour les agences de développement économique ?

Le CNER, qui tenait son congrès les 20 & 21 septembre derniers à Vichy, a présenté une étude sur les perspectives des agences de développement économique. Face au contexte de crise et d’incertitude sur les réformes institutionnelles à venir, les agences s’interrogent sur leur avenir et plus particulièrement les agences de développement économique départementales, en raison de la suppression annoncée de la clause générale de compétence pour les départements. Les restrictions des budgets publics constituent un autre défi. L’étude montre clairement que, pour un grand nombre d’agences, les budgets alloués par les collectivités de tutelle sont en baisse. Cette diminution atteint parfois 30 %. Le budget annuel moyen de ces agences est de 1,5 million d’euros.

Des situations contrastées apparaissent pour les Agences de Développement : hétérogénéités de situations (périmètre d’intervention, gouvernance, métiers, moyens d’intervention, relations avec les autres acteurs du développement économique, …). On note aussi des facteurs intrinsèques qui les rassemblent : un objectif commun de développement économique des territoires et des outils souples et collaboratifs.

L’étude construit ainsi une typologie des agences de développement sur 2 axes : le champ technique (exogène, endogène spécialiste, endogène généraliste, endogène aux fonctions élargies) et le champ géographique (< 300 000 hab, > 300 000 hab, Région). En conséquence 4 catégories d’agences apparaissent :

  1. Spécialistes < 300 000 hab
  2. Spécialistes > 300 000 hab (exogène,
    innovation, …)
  3. Généralistes hors région (le plus grand nombre)
  4. Généralistes régionales (actions endogènes
    essentiellement)

Les enjeux pour ces agences sont alors :

  • Evolutions institutionnelles : compétences entre collectivités, contraction des budgets publics, accroissement du nombre d’acteurs et réorganisation des métiers et périmètres (CCI par ex, Pôle de compétitivité, …) : risque accru de « concurrence » ;
  • Evolutions des métiers, des besoins des entreprises et territoires : complexification des métiers (frontière exogène/endogène, développement durable, intégration du tourisme/ESS/agriculture), capacité à conjuguer des logiques court et long termes (répondre aux besoins des entreprises, anticiper les mutations et évolutions à moyen & long termes.

Donc aucun modèle unique n’est possible. Il faut adapter aux spécificités de chaque territoire même si en termes d’évolutions possibles par catégories, l’étude arrive aux conclusions suivantes :

  • Elargissement du périmètre d’action et des compétences techniques pour la catégorie 1 ;
  • Articulations renforcées, voire fusion entre agences avec élargissement des compétences techniques pour la catégorie 2 ;
  • Diversification des financements, élargissement du champ d’intervention et élargissement des compétences (fusion avec les CDT …) pour la catégorie 3 ;
  • Une tête de réseau d’antennes locales et un accroissement des collaborations pour la catégorie 4.

Le CNER énonce également plusieurs propositions, voire recommandations dont celle de ne pas enfermer l’économie territoriale dans un modèle unique : « La diversité des organisations territoriales en matière de développement économique montre bien que le nouvel acte de décentralisation ne devra pas imposer un moule territorial rigide et
uniforme à tous les territoires. Il devra au contraire permettre une grande souplesse afin que les élus locaux puissent développer la configuration territoriale la plus adaptée à leurs spécificités ».

Le CNER prône aussi « la contractualisation entre les différents niveaux de collectivités qui devra organiser les mutualisations de moyens, les partages de compétences et l’application du principe de subsidiarité ».
Si le besoin d’un Etat Stratège est reconnu, la la décentralisation à encore un bel avenir devant elle ! Dans la compétition mondiale, la France souffre de son trop grand jacobinisme et en conséquence sa centralisation exacerbée.

Le territoire ne se fait pas seulement par des questions techniques traitées par des ingénieurs et donc des infrastructures. On parle désormais du Projet de territoire, de Sociologie Urbaine et des territoires et de Politiques publiques qui posent la question de la mise en œuvre d’une vision commune et donc en conséquence de la Gouvernance.

En conclusion, les agences sont des outils adaptés et l’échelon départemental est un niveau intermédiaire essentiel. Il n’y a pas de recettes applicables à tous (stratégie au cas par cas, réflexion conjointe) et l’intégration des entreprises dans la gouvernance est importante. Il y a du travail à faire sur la coordination à renforcer pour gagner en efficience « mieux avec moins » et éviter ainsi les redondances.

Guide de l’Intelligence Economique pour la Recherche

La Délégation Interministérielle à l’Intelligence Economique (D2IE), sous la direction d’ Olivier Buquen (Délégué interministériel à l’Intelligence Economique) vient de publier un 1er Guide de l’Intelligence Economique pour la Recherche (télécharger ici).

Depuis de nombreuses années, le monde de l’entreprise intègre l’IE dans sa stratégie de développement (les grands groupes principalement et  moins les PME reconnaissons le), celui de la recherche publique y restait relativement peu ou pas sensibilisée.

Ce guide part du constat que si l’innovation est source de croissance et si on admet que la Recherche est à la source de l’innovation (ce qui reste à démontrer mais n’engageons pas le débat ici !), le patrimoine intellectuel produit par nos chercheurs doit être protégé et valorisé comme toute autre patrimoine économique et au bénéfice du développement économique et du tissu industriel national.

Ce guide incite les responsables des établissements d’enseignement supérieur et de recherche à s’appuyer sur les recommandations proposées dans 5 fiches thématiques. Après un rappel des fondamentaux de mise en oeuvre d’une politique d’intelligence économique, les différentes propositions sont illustrées d’exemples qui visent à contribuer à la mise en place d’une politique réfléchie, cohérente et concrète  de valorisation de la recherche publique :

  • Veille Stratégique : types de besoins en information, les sources, les outils de veille, la structure organisationnelle de la veille stratégique au sein de l’établissement ;
  • Gestion du Patrimoine Immatériel : gestion et protection des informations, politique de propriété intellectuelle, normalisation ;
  • Politique de sécurité des systèmes d’information : les référentiels, les spécificités du monde de la recherche, les éléments à intégrer dans un établissement de recherche ;
  • Développement de l’interface entre la recherche et le milieu socioéconomique : les modes de coopération recherche-industrie, la valorisation des applications dormantes ;
  • Politique internationale : stratégie internationale, le chercheur français à l’international, conseils pratiques.

Cette première démarche ne sera pleinement efficace que si tous les acteurs du système d’enseignement supérieur et de recherche se l’approprient et que si les réflexions qui se lanceront aboutissent à une véritable stratégie, y compris dans l’orientation de la recherche publique, afin de vivre une « Intelligence Scientifique » en France, pilier des futurs succés économiques, sociaux et sociétaux.

Une Villa Médicis de la Science … en Inde !

C’est à Bangalore, capitale de l’état du Karnataka en Inde, où nous étions en mission début avril avec les Directeurs de l’ISAE ENSMA et de PPRIME, que nous avons découvert une petite pépite de la Recherche (avec un grand R) : le Jawaharlal Nehru Centre for Advanced Research JNCASR.

Et le moins que l’on puisse dire c’est que ce centre de recherche pluridisciplinaire qui vient de fêter son 23ème anniversaire échappe quelque peu à tous les standards d’organisation de la Recherche publique que l’on voudrait nous imposer et auxquels il faudrait croire pour atteindre l’excellence scientifique et la reconnaissance mondiale, non sans être en interactions avec le monde économique.

3 domaines scientifiques sont explorés (les sciences des matériaux, la mécanique des fluides et la biologie) mais en collaborations, interactions et croisement disciplinaires permanents aux différentes échelles d’études de la matière et du vivant, du nano au macro, de la théorie à la pratique, de la science théorique et fondamentale à l’ingénierie.

Ici, ce n’est pas la masse critique du nombre de chercheurs qui compte, mais la qualité et l’excellence scientifique ! Au maximum 50 chercheurs auront le droit de cité dans un
environnement protégé sur plus de 40 ha et un cadre de vie à l’abri des tumultes des villes indiennes. Le temps est laissé au résident pour approfondir leur recherche, développer les collaborations avec les autres centres d’excellence indiens et mondiaux et aussi transmettre leur savoir aux étudiants en Master et Doctorat qui au terme d’un processus de sélection drastique ne seront qu’au maximum 200 à fréquenter le campus, soit donc un ratio Professeur/étudiants de 1 pour 4 qui laissera rêveur bon nombre de chercheurs dans de nombreux pays. Cerise sur le gâteau : une résidence permet l’accueil de visiteurs étrangers permettant ainsi de nombreuses collaborations internationales.

Ainsi on trouvera au NCASR le meilleur des chercheurs indiens en Chimie Physique des Matériaux, Sciences pour l’Ingénieur, Biologie, Chimie, Biologie Moléculaire, Génétique, Théorie de la matière condensée, Nanoscience, … Mais ces thématique de recherche ne sont pas figées dans le marbre : elles peuvent changer au gré des découvertes, des centres d’intérêts des chercheurs et des opportunités de collaboration. La créativité semble être une valeur, voire un art de vivre, dans ces lieux …

Outre la participation à de nombreuses conférences internationales cette véritable Villa Médicis de la Recherche affiche plus de 600 publications dans des revues scientifiques internationales sur la période 2009-2010 et 65 demandes de brevets sur la même période dont 12 sont d’ores et déjà acceptées et quelques une font déjà l’objet de valorisation économique au travers de collaborations industrielles avec les entreprises indiennes, américaines ou suisses.

Nous avons la preuve par l’exemple que « small can be beautiful » pour autant que le projet de départ soit respecté, que les cloisonnements n’existent pas et que les échanges interdisciplinaires soit valorisés. Un exemple à suivre à n’en pas douter : alors pourquoi pas une telle expérience en France ? Et puisque Poitiers n’apparaît pas dans la carte des « Campus d’excellence » où la concentration est érigée en exemple pour la qualité, pourquoi ne pas proposer de bâtir un tel centre à Poitiers ?

Note : cet article a été co-écrit avec Francis COTTET, Directeur de l’ISAE-ENSMA

Les investissements étrangers en France : Bilan 2011

L’AFII a rendu public le bilan 2011 des investissements étrangers créateurs d’emplois (rapport complet ici). Si on attend avec impatience le bilan Europe produit chaque année par Ernst & Young (il sera rendu public le 20 juin prochain à la World Investment Conférence de la Baule) afin d’évaluer le positionnement de la France dans cette compétition mondialisée, on peut tout de même tenter une première analyse des résultats de « l’équipe France ».

La crise financière européenne a eu des conséquences sur les investissements internationaux : le nombre de projets a diminué (passant de 782 à 698 entre 2010 et 2011) tout comme le nombre d’emplois créés (27 958 en 2011 contre 31 815 en 2010) avec une taille moyenne des projets en diminution (création ou sauvegarde de 60 emplois en moyenne en 2006 pour 41 en 2011).

Premier constat : les territoires ne sont pas égaux ! Les 5 premières régions d’accueil (Ile-de-France, Rhône-Alpes, Alsace, Midi-Pyrénées, PACA) concentrent 67 % des nouveaux projets d’investissement comme le montre la carte ci-dessous :

source AFII (mars 2011)

Deuxième constat : les Etats-Unis (21,7 % des emplois) retrouvent la 1ère place des pays investisseurs suivis de près par l’Allemagne (15,9 % des emplois). Les entreprises concernées se répartissent de façon relativement équilibrée entre grands groupes (39 %), ETI (34 %) et PME (28 %).

Troisième constat : coté secteur d’investissement, le tableau suivant nous informe, ô surprise, que le secteur manufacturier est celui qui génère le plus d’emploi loin devant celui des services (histoires de remettre en cause quelques idées reçues …) :

source AFII (mars 2011)

Le tableau suivant donnant la répartition par grande fonction desservie et confirmant la dernière remarque :

Fonction

Projets

Emplois

Centre de décision

151

2 518

Primo implantation

120

1 842

QG Monde / Europe

20

371

QG national

11

305

Logistique

37

2 241

Point de vente

23

1 703

Production / Réalisation

220

13 723

R&D, Ingénierie, Design

51

1 456

Ingénierie, Design

11

283

R&D

40

1 173

Services aux entreprises

177

4 516

Services aux particuliers

39

1 801

Total général

698

27 958

Le bilan complet et détaillé (y compris par pays) est riche d’enseignements pour comprendre les flux (faibles) annoncés d’une année sur l’autre, mais il faut le mettre en perspective au stock à savoir au poids des entreprises à capitaux étrangers dans l’économie française. En effet, selon l’INSEE, les filiales sous contrôle de groupes étrangers :

  • emploient 13% de l’effectif salarié dans l’ensemble de l’économie
    française ;
  • contribuent à hauteur de 19% au chiffre d’affaires de l’économie
    française ;
  • assurent 31% des exportations de l’économie française ;
  • réalisent 12% de l’investissement corporel de l’économie française.

Cette ouverture est plus marquée dans le secteur industriel, où, selon l’INSEE, les filiales industrielles de groupes étrangers :

  • emploient le quart de l’effectif salarié du secteur de l’industrie en France ;
  • contribuent à hauteur de 31% au chiffre d’affaires de l’industrie française ;
  • assurent 34% des exportations de l’industrie manufacturière ;
  • réalisent 27% de l’investissement corporel de l’industrie française.

D’ou l’importance pour les pouvoirs publics (Etat, Collectivités Territoriales, …) de bien connaître la structure des IDE (Investissements Directs Etrangers) de leur territoire afin d’anticiper des changements éventuels dans un souci de véritable Intelligence Territoriale respectant les piliers fondamentaux que sont la surveillance de l’environnement pertinent, le management des connaissances collectives, la protection du patrimoine et surtout la capacité d’influence sur cet environnement économique mondialisé. J’aurai l’occasion de faire un focus sur la région Poitou-Charentes dans les semaines à venir.

Produire en France : quel rôle pour les collectivités territoriales ?

Le CNER organisait le 20 mars dernier un colloque sur ce thème d’actualité nationale et tentait ainsi d’apporter des réponses locales afin de résoudre les problèmes de la réindustrialisation, de l’amélioration de la balance commerciale et de la résorbtion du chômage (vaste programme !). L’idée sous-jacente pour ce faire serait alors de plaider pour une plus grande décentralisation de la politique économique (en s’inspirant là-encore du modèle allemand) afin d’améliorer la compétitivité nationale.

Outre Jean-Louis LEVET (Economiste et Conseiller auprès du CGI) qui a plaidé pour une nouvelle fiscalité de l’investissement et de la transition écologique, de nombreux exemples ont été présentés mettant en exergue les réussites locales : la Cosmétic Valley (qui existait bien avant la création de la politique des Pôles de Compétitivité), le cluster aéronautique autour de TURBOMECA prés de Pau ou bien encore le « modèle » Vendéen de développement économique principalement basé sur des réussites de PME/PMI fortement densifiées sur un territoire rural où l’emploi agricole représente encore 7 % du total.

On a pû entendre aussi lors de ce colloque Alain ROUSSET (Président de la Région Aquitaine et Président de l’ARF) plaider pour une suppression des départements et des sous-préfecture ainsi que pour un renforcement du pouvoir des régions et des Agglomérations et Métropoles.

Mais c’est sans conteste l’intervention de Pierre VELTZ (Economiste et PDG de l’Etablissement public de Paris-Saclay) qui fût la plus remarquable. En effet, non sans une légère ironie il relevait quelques élèments du paradoxe français : la morosité ambiante de notre pays vivant une mutation profonde de relève générationnelle impliquant pourtant une forte activité, une société Unitaire (versus l’Allemagne) par nature jacobine mais fortement décentralisée et dotée d’un système Métropolitain dont Paris serait le Hub, une classe politique à la fois nationale et locale, et enfin une économie fondée sur les grands groupes mais composée à plus de 90 % de PME/PMI.

Pour Pierre VELTZ le maintien d’une industrie manufacturière en France est vitale et se fera par une transition du modèle national colbertiste vers un modèle territoriale darwinien. Les enjeux généraux de l’économie seront tournés vers l’innovation et la qualité par une différenciation au niveau mondial induit par un bon positionnement dans la chaîne de valeur (ce qui veut dire d’accepter de « délocaliser » parfois …) et donc par l’acception de la nécessaire concentration d’activités. Dès lors le « jeu » territorial sera d’accepter d’être à la fois Unitaire et Décentralisé !

Il terminait son intervention par 4 raisons de jouer la décentralisation :

  1. nous évoluons dans un contexte de restructuration et de transition permanente ou tout territoire, tout acteur, est placé dans un processus extrêmement mouvant ou l’anticipation serait le maître-mot.
  2. on note de plus en plus l’importance cruciale du cadre de vie et de la qualité de vie des activités nomades pour … « bien vivre » et donc se pose la question de l’économie résidentielle versus le développement économique.
  3. l’économie n’est pas que de l’économie : c’est aussi de la sociologie, de la politique, ce sont aussi des externalités. Afin de maximiser la performance collective et la capacité de projet du territoire il faut prendre en compte 2 types d’écologie :
    • l’écologie des savoirs qui circulent au milieu des territoires
    • l’écologie des relations à l’interieur et entre les firmes
  4. les territoires sont les grands laboratoires de l’économie redoublée ou les secteurs qui « montent » sont anthropocentrés : mobilité, santé, habitat, éducation, …

Si la croissance des 30 glorieuses était fortement liée à l’urbanisation, notre croissance future passera trés certainement par le couple Métropole/Région. Sans dénier la structure Unitaire de notre pays, Pierre VELTZ plaide pour la fin des oppositions stériles entre le national et les territoires. Chiche !

A lire : la Fondation Jean Jaurès vient de publier  un ouvrage collectif coordonnée par Jean-Louis LEVET et qui est disponible depuis le 25 mars : Réindustrialisation, j’écris ton nom