Présidentielles 2022 : quelle(s) géographie(s) du vote ?

Les résultats du premier tour de l’élection présidentielle à peine tombés, des cartes sur la géographie du vote commencent à circuler. La tendance dominante consiste à proposer des cartes des candidats arrivés en tête, à l’échelle des communes (France Info par exemple) ou des départements (Huffigton Post, France Bleu), façon très réductrice de présenter les choses. C’est que cartographier les résultats du vote est un exercice périlleux et tout sauf anodin. Sur le sujet, je recommande particulièrement la lecture de cet article d’Aurélien Delpirou, joliment titré « l’élection, la carte et le territoire : la victoire en trompe l’œil de la géographie », qui date des dernières élections mais qui reste d’actualité.

Pour ma part, j’ai décidé de ne pas faire de carte, mais de me livrer à de petits exercices statistiques, avec en tête les interrogations suivantes : le score au premier tour d’Emmanuel Macron, de Marine Le Pen ou de Jean-Luc Mélenchon est-il plus important dans les communes rurales ou dans les communes urbaines ? En Ile-de-France, en Nouvelle-Aquitaine ou dans le Grand Est ? Dans les communautés de communes ou dans les communautés d’agglomération ? Parmi ces différents effets (effet rural/urbain, effet d’appartenance régionale ou effet d’inclusion dans tel ou tel type d’intercommunalité), quel est le plus déterminant ?

Pour commencer à apporter des réponses, j’ai exploité les résultats du premier tour des présidentielles 2022 à l’échelle des communes de France métropolitaine. Or, il s’avère que si on trouve bien des effets géographiques, ils sont variables selon les candidats, et ils n’expliquent pas tout.

Prenons l’exemple du caractère rural ou urbain des communes. Pour le mesurer, je me suis appuyé sur la grille communale de densité, qui permet de distinguer les communes dites rurales, qui sont très peu denses ou peu denses, et les communes dites urbaines, qui sont de densité intermédiaire ou très denses. Pour le vote Macron, il s’avère que le degré de densité « n’explique » que 4% des différences de score : ceci signifie que Macron fait des scores élevés, moyens et faibles sur les communes des différentes catégories de densité. Pour les votes le Pen et Mélenchon, en revanche, le degré de densité est plus déterminant, il « explique » 36% des différences de scores chez le Pen, et 38% chez Mélenchon, mais dans un sens opposé : le score de Marine le Pen diminue, et celui de Jean-Luc Mélenchon augmente, avec la densité. Autrement dit encore, le vote Le Pen est surreprésenté en milieu rural, le vote Mélenchon est surreprésenté en milieu urbain. Mais attention, cela n’explique pas tout : le degré de densité explique moins de 40% des différences observées, pour l’un comme pour l’autre.

On peut faire le même type d’analyse pour d’autres effets : à côté de la densité, j’ai testé l’effet de l’appartenance régionale (13 régions de France métropolitaine) et celui de l’appartenance à tel ou tel type d’intercommunalité (en distinguant communautés de communes, communautés d’agglomération, communautés urbaines et métropoles). J’ai alors calculé, pour chaque candidat (ainsi que pour le taux d’abstention), ce que ces typologies des communes expliquaient des différences de scores. Les résultats sont repris dans le tableau ci-dessous.

Lecture : le degré de densité explique 17% des différences de taux d’abstention entre communes, l’appartenance régionale en explique 16% et le type d’EPCI 5%. Pour le vote Macron, ces trois effets expliquent respectivement 4%, 22% et 4% des différences de scores entre communes.

Il s’avère que les trois candidats pour lesquels les effets géographiques sont relativement marqués sont Le Pen, Mélenchon et Lassalle (sans surprise un effet rural pour ce dernier). Pour les autres candidats, ces effets géographiques n’expliquent qu’une petite partie des différences observées, avec quelques différences intéressantes entre effets géographiques : aucun effet rural/urbain pour Zemmour, Macron et Hidalgo, mais quelques effets régionaux, notamment pour le premier.

Je me concentre maintenant sur les candidats arrivés aux trois premières places. J’ai estimé un modèle des différences de vote avec comme variables explicatives le degré de densité des communes et leur région d’appartenance. Le tableau ci-dessous présente les résultats obtenus, voici comment il se lit : la commune de référence est une commune très dense d’Auvergne-Rhône-Alpes. Le fait d’être une commune de densité intermédiaire plutôt que d’être une commune très dense réduit le score d’Emmanuel Macron de 0,8 points de pourcentage. Le fait d’être en Bretagne plutôt qu’en Auvergne-Rhône-Alpes l’augmente de 5,3 points de pourcentage.

Ce modèle n’explique que 25% des différences de vote pour Emmanuel Macron, mais 43% pour Jean-Luc Mélenchon et jusqu’à 58% pour Marine Le Pen, candidate pour laquelle la géographie est la plus marquée.

S’agissant des effets de densité, on constate qu’ils jouent fortement dès qu’on sort des communes très denses, pour Le Pen comme pour Mélenchon, avec une variation de plus de 8 points de pourcentage entre communes très denses et communes de densité intermédiaire, à la hausse pour Le Pen, à la baisse pour Mélenchon.

S’agissant des effets régionaux, on observe un effet positif pour Macron en Bretagne et en Pays de la Loire et des effets négatifs principalement en Corse, en PACA et en Occitanie. Pour Le Pen, des effets très positifs en Hauts-de-France, PACA et Grand Est (à noter que le vote Zemmour bénéficie d’effets régionaux positifs en Corse et PACA seulement). Pour Mélenchon, enfin, les effets régionaux sont moins marqués, l’effet positif le plus important se retrouve en Ile-de-France, l’effet négatif le plus important se situe en Corse et en PACA.

Je me suis enfin amusé à analyser l’évolution de la géographie des votes pour les trois mêmes, entre le premier tour 2017 et le premier tour 2022, en me concentrant sur les effets densité et les effets régionaux.

Lecture : la densité des communes “explique” 18% des différences de vote Macron en 2017, et 4% en 2022.

Pour Macron, les effets densité et régionaux jouent encore moins en 2022 qu’en 2017. Pour Le Pen, et surtout pour Mélenchon, ils jouent en revanche sensiblement plus. En 2017, en dépit des propos avancés par certains, on n’avait pas un vote des villes pour Macron et un vote des campagnes pour Le Pen. En 2022, on n’a toujours pas de vote des villes ni des campagnes pour Macron, on a un peu plus un vote des campagnes pour Le Pen, et un peu plus un vote des villes pour Mélenchon.

8 commentaires sur “Présidentielles 2022 : quelle(s) géographie(s) du vote ?

    • oui, on peut dire cela, avec l’idée de mesurer précisément ce que la distinction villes/campagnes explique des différences de vote, et de dire que les effets géographiques peuvent relever d’autres choses (effets régionaux notamment).

  1. Merci pour cette analyse très intéressante. Il me semble toutefois que les deux phrases suivantes se contredisent, et que c’est la deuxième qui exprime votre pensée:
    “le score de Marine le Pen augmente, et celui de Jean-Luc Mélenchon diminue, avec la densité. Autrement dit encore, le vote Le Pen est surreprésenté en milieu rural, le vote Mélenchon est surreprésenté en milieu urbain.”

  2. Bonjour, merci pour cette analyse très fine. Comment expliquez vous cet effet propre de la variable spatiale sur le vote? Ou plus précisément sa force inégale selon les candidat.e.s? Et existe-t-il des travaux comparant les effets propres des variables spatiales par rapport aux autres variables ( comme le revenu, la CSP, le diplôme, etc.)? Merci

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