[Article publié dans le cadre de la semaine thématique sur le cerveau organisée par le c@fé des sciences]. Quatre cartes sont posées devant vous: 3 – 8 – Rouge – Marron. Ces cartes sont bizarres, un nombre sur une face et une couleur sur l’autre. La dame en blouse blanche avec son petit air de “vous-allez-tomber-dans-le-panneau” vous demande à nouveau: “ne vous inquiétez pas et répondez juste à ma question, quelle carte devez-vous retourner pour tester mon affirmation?” Il faut dire qu’ils ont le chic pour rendre tout compliqué ces scientifiques. Son affirmation est tordue, “si une carte possède un nombre pair alors l’autre face est rouge”. Quelle carte retourner? La 8 et la Rouge, probablement?
Ce petit jeu décrit la tâche de sélection de Wason qui a mis en évidence, entre autres, une caractéristique de notre cerveau communément appelée biais de confirmation. Derrière ce terme se cache la tendance à rechercher des informations qui confirment nos croyances. Dans son expérience, Wason a montré qu’une très large majorité des personnes interrogées se trompent. Les lecteurs du café des sciences étant un échantillon un peu plus aguerri à ces petits jeux auront peut-être trouvé la bonne réponse: ici il faut retourner les cartes 8 et Marron! Retourner 8 permet de confirmer l’affirmation énoncée et retourner Marron permet de la réfuter.
Confus? Reprenons! Dans un contexte moins abstrait, le problème devient un jeu d’enfant. Imaginez-vous en inspecteur Gadget dans un bar. Vous devez vérifier la règle que le barman prétend suivre: pas d’alcool à ceux qui ont moins de 18 ans. Vous avez seulement des bribes d’informations à votre disposition. 4 personnes ont bu dans ce bar et parmi elles, une personne a 23 ans, une autre 17, une bière et un coca ont été bus.
Le barman est-il en règle? Pour cela, il suffit de vérifier qui a bu la bière et que boit le jeune de 17 ans! Dans un cas, on cherche à confirmer la règle (qu’est-ce que la personne de 17 ans a bu?), dans l’autre on cherche à voir si on peut falsifier la règle (qui a bu la bière?).
Mais entrons dans le vif du sujet: croyances et cerveau. Cette question est tellement vaste qu’en faire le tour tiendrait dans plusieurs livres…eh bien justement, je vais vous présenter un court résumé de plusieurs livres sur le sujet!
Approche psychologique
Les croyances étant apparemment présentes dans toutes les sociétés, certains scientifiques ne sont pas loin de penser que la manière dont notre cerveau fonctionne les favorise largement. Ils avancent que les biais de raisonnements confortant les croyances pourraient avoir un avantage sélectif. Par exemple, chercher à créer un lien de causalité entre deux effets: si un bruit provient du buisson, inutile de vérifier qu’un fauve s’y cache, autant détaler rapidement! De là à penser que l’évolution a façonné le cerveau pour croire, il y a un pas que j’hésiterais à franchir. Mais détaillons rapidement quelques biais révélateurs des mécanismes de notre cerveau.
Ce que l’on nomme le conditionnement a initialement été mis en évidence chez les animaux, notamment par le chien de Pavlov, du nom du scientifique qui a exploré cet effet. Pavlov annonçait la nourriture de son chien par le son d’une clochette et observa qu’au bout d’un certain temps, le chien salivait au seul son de la clochette, même s’il n’apportait pas la nourriture. Une autre expérience célèbre, sur les pigeons cette fois, montre notre capacité à faire des liens entre des évènements non reliés et donne une nouvelle dimension à ce que l’on nomme la superstition. L’expérience vaut le coup d’être décrite, les pigeons reçoivent de la nourriture de manière aléatoire. Ils finissent par repérer ce qu’ils pensent être des mécanismes faisant tomber la nourriture, et répètent le mécanisme désespérément. Imaginez que vous tournez la tête à gauche, que la nourriture tombe au même moment et que cette coïncidence se répète une ou deux fois, vous serez alors convaincus du lien entre ces deux évènements et vous répèterez ce comportement “superstitieux”. C’est le classique “slip porte-bonheur” de certains sportifs!
Sur cette thématique, je vous invite à lire ces deux articles du Webinet des curiosités qui explorent le sujet de manière fort agréable: 1 et 2.
Approche sociologique
La question soulevée par certains sociologues est celle de déterminer les mécanismes dans la société qui favorisent les croyances. Gérald Bronner en particulier mène une réflexion intéressante sur la généralisation des sources d’informations et notamment internet. Il ne s’agit même plus de parler des croyances “extraordinaires” mais tout simplement du problème de savoir ce qui est vrai ou faux, comment faire la part des choses et comment se faire une idée “juste” sur un problème donné.
La masse d’informations sur internet devient alors un “dédale mental”, pour reprendre son expression, dans lequel, si on ne dispose pas des outils adéquats, il est très difficile de se déplacer. Chacun peut donc à loisir renforcer ses croyances sur la toile, il est facile de trouver une autorité pour conforter n’importe quel point de vue. L’éclatement du marché de l’information renforce donc les phénomènes de biais de confirmation exposés en introduction. Le problème se pose alors: si vous avez deux opinions contradictoires sur un même sujet, qui croire? Le récent échange sur mon dernier article concernant la vaccination en fournit un exemple vivant. Vous avez d’une part des articles justifiant une position et de l’autre, des articles justifiant la position inverse! Cela donne l’impression qu’il existe une controverse (par exemple sur la vaccination) alors que le consensus règne parmi la communauté scientifique.
Évidemment le rôle des médias, à la recherche de l’audimat -question de survie- est un facteur aggravant. L’information circule de plus en plus vite, il n’est plus possible de prendre le temps de la vérifier; ne pas relayer une information “chaude” signifie perdre l’exclusivité et donc, des parts de marchés. Les “lanceurs d’alertes” sont d’ailleurs les grands vainqueurs de ces failles.
Approche historique
Dire que les croyances ont évolué dans l’histoire est certes une évidence, l’analyser en détail est plus difficile. Peter Lamont dans son nouveau livre replace dans une perspective historique les croyances et en propose d’abord une définition: ce qui ne peut être expliqué par des justifications ordinaires. Cette définition, en apparence innocente, implique néanmoins une dichotomie intéressante. Puisque l’évènement est inexpliqué, chaque individu possède finalement deux possibilités: croire qu’une explication rationnelle explique l’évènement ou croire que l’évènement ne peut être expliqué par la science ordinaire.
Nous sommes en quelque sorte tous dans la croyance, bien que la première position soit plus probable mais, paradoxalement, plus difficile à tenir. De ce fait, à la question pourquoi les gens croient? la réponse devient intéressante: parce qu’ils estiment que les explications rationnelles proposées ne sont pas suffisantes pour rendre compte du phénomène observé. On retombe d’ailleurs sur les problématiques soulevés par Bronner, puisque dans ce cadre, la question de l’autorité (à qui faire confiance) devient centrale. L’approche historique en se focalisant sur l’importance du contexte social prend alors tout son sens. Mais pas seulement: Lamont considère qu’il est intéressant de s’intéresser aussi aux justifications avancées par les individus. Certains scientifiques, pour prendre un exemple parlant, pensent que les perceptions extra sensoriels sont une réalité mise en évidence par leurs expériences. Peut-on les classer parmi les croyants? Les mettre sur le même plan que des religieux par exemple?
Envie d’en savoir plus?
Je voudrais signaler plusieurs livres qui ont largement inspiré cet article, les deux premiers You are not so smart et How risky it is really, très agréables à lire grâce aux nombreux exemples développés. Ensuite, le dernier livre de Gérald Bronner que je n’ai pas encore lu mais que j’ai régulièrement entendu en interview La démocratie des crédules. Enfin, Extraordinary Beliefs, abordé seulement ici, est un livre extrêmement enrichissant que je vous invite à découvrir au plus vite!
La première illustration proposée est d’Alain Prunier.
Merci. Effectivement ton article très intéressant donne l’envie d’en lire plus.
Pour visualiser le jeu des 4 cartes mentionné au début de l’article : http://www.maths-et-physique.net/article-verifier-n-est-pas-confirmer-57741318.html
Ce qui est drôle c’est que wikipedia français parle de 80% d’échecs à ce test et wikipedia anglais parle de plus de 90% d’échecs. il faut remonter à la source 🙂
Article sympa, je vais moi-même essayer de faire prochainement quelques articles sur les biais cognitifs, toujours passionnants !
Mais sinon, le biais de confirmation pour expliquer les erreurs de la tâche de Wason, mais confirmation de quoi ? Quelles croyances peut-on confirmer en soulevant 8 et rouge ?
A ma connaissance, les deux explications principales pour expliquer les erreurs de la tâche de Wason sont le module de détection des tricheurs de Tooby et Cosmides, et la recherche de la pertinence de Sperber (le débat ardent dans les années 90 s’est éteint aujourd’hui, j’ai l’impression en faveur de Sperber).
Le biais de confirmation mis en évidence ici, c’est le fait de vouloir toujours chercher à confirmer une théorie, ne pas penser à chercher ce qui pourrait la désavouer. Plus clair comme ça?
Mais sinon, tu as aussi raison Homo Fabulus (des liens pour nos lecteurs sur les deux explications que tu mentionnes? ou peut-être dans ton futur article!)
Je suis d’accord sur le point “ne pas vraiment réfléchir à ce qui pourrait la désavouer” mais je n’irai pas jusqu’à parler de “théorie” derrière ça, et donc pas de “confirmation” de cette théorie non plus. Les gens ne font pas un travail sérieux “rationnel” pour résoudre cette tâche et c’est tout l’intérêt de la tâche de Wason et ce qu’il faut expliquer, maintenant je ne pense pas qu’on puisse parler de biais de confirmation derrière.
Pour les refs je peux toujours les donner mais c’est un peu compliqué et étalé sur plusieurs publis, donc oui je ferai un article-résumé dessus je pense (mais par exemple là http://www.cep.ucsb.edu/papers/Cogadapt.pdf à partir page 180 et là http://www.dan.sperber.fr/wp-content/uploads/2009/09/SperberCaraGirotto.pdf )
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