Organiser les JO : retour sur une victoire aux accents de révolution culturelle

Depuis plus de trente ans que je navigue dans les mers agitées de l’intelligence économique, j’entends dire au sujet de nos carences en termes de renseignement, de sécurité et d’influence que ce n’est pas dans notre culture. Cette remarque est un moyen de dire que rien ne peut changer et qu’il faut bien se faire une raison. Comme si la culture d’une nation était figée et ne pouvait évoluer, se remettre en question, se sublimer. Non bien sûr ! Et ces Jeux Olympiques et Paralympiques que nous accueillons le prouvent car on oublie un peu vite les batailles qu’il a fallu mener pour remporter leur organisation. Et la première d’entre elles fut contre nous-mêmes. En voici donc un petit rappel.

 

« La défaite de l’arrogance » : C’est par ce titre que débutait une de mes tribunes écrite en 2005 dans un grand quotidien national. Une tribune dont je sus plus tard qu’elle avait été fort commentée à la Mairie de Paris. Et, de fait, de nombreux lecteurs m’écrivirent pour abonder dans mon sens et m’offrir de multiples exemples de l’arrogance française. Mais qui aime bien châtie bien. Et il est vrai que perdre pour la troisième fois d’affilée l’organisation des Jeux Olympiques avait de quoi énerver, non ?

Chassez le naturel et il revient au galop ! Pourtant, face à Londres, Paris 2012 avait misé sur la modestie, consciente de l’arrogance dont nous gratifient systématiquement les autres pays. Car nous autres, Français, sommes arrogants. C’est un fait indéniable, un trait culturel érigé en système de pensée et d’action. Enfermés dans un pays que nous identifions d’ailleurs à une figure géométrique, l’hexagone – comme si celle-ci avait le pouvoir magique de nous protéger de l’extérieur – nous ne nous en rendons pas toujours compte. Pourtant, nous en sommes persuadés : nous formons les plus beaux cerveaux du monde, développons les technologies les plus avancées et avons le meilleur modèle social qui soit. Oui, mais voilà, nous sommes seuls au monde, victimes d’une fuite des cerveaux doublée d’un manque de reconnaissance internationale (peu de prix Nobel, mauvais classements internationaux), victimes de pratiques commerciales inqualifiables, victimes enfin d’un monde hypocrite qui nous envie notre modèle social sans oser pour autant l’importer. « Étonnant », « incompréhensible », « injuste », … autant de qualificatifs une nouvelle fois entendus après la défaite de Paris face à Londres en finale, victime, une fois encore, de la perfide Albion. Et ce, bien que nous ayons présenté le « meilleur dossier », fait « l’une des meilleures présentations » et donné le « meilleur de nous-même ».

Face à Londres, Paris avait misé sur la modestie donc. Mais la modestie marque-t-elle la fin de l’arrogance ? Non. Il s’agit là d’un artifice de communication qui traite le problème en surface… mais pas en profondeur. D’ailleurs, s’autoproclamer modeste, est-ce réellement faire preuve de modestie ? Ne confondons pas modestie et humilité. Si les battants peuvent afficher une certaine modestie de façade, seuls les combattants peuvent faire preuve d’une réelle humilité. Modestie – Humilité, Battant – Combattant, Paris – Londres, voilà bien ce qui a fait la différence. Car finalement, avions-nous le meilleur dossier ? Non, a alors répondu le CIO. Et même si nous avons tous cru en la victoire finale (victimes d’une communication qui n’a eu aucun mal à flatter notre ego et prendre inconsciemment appui sur notre arrogance), force est de constater que le dossier de Londres valait bien le nôtre. Avec le « fighting spirit » en plus.

La veille du vote du CIO, Bertrand Delanoë alors maire de Paris confiait : « Nous n’avons pas la culture du lobbying anglo-saxon » (Le Monde du 6 Juillet). Et de poursuivre à ce sujet : « Il ne faut pas interpréter une musique pour laquelle nous n’avons pas de talent. » La messe était dite. Car dans un monde globalisé, suivre les règles du jeu ne permet plus d’être le meilleur. Il faut aussi les influencer. Rebelote le lendemain du résultat. « Si c’est le lobbying qui a fait la différence, il est certains domaines où il vaut mieux perdre sans se perdre soi-même » explique Arnaud Lagardère (Le Monde du 8 Juillet). Et de préciser : « Mais même si la capacité de lobbying direct de Londres a pesé (…), je ne crois pas que la différence s’est faite là. Si nous, Français, en avions fait autant, cela n’aurait pas modifié le cours des choses. C’est le fait que Londres paraît plus “dans le coup” que Paris qui a fait la différence. » Mais comment est-il possible de dissocier les deux logiques ? L’intelligence stratégique est comme l’intelligence : elle a besoin de ses deux hémisphères.

Chassez le naturel et il revient au galop ! Être dans le coup, c’était effectivement présenter une candidature en phase avec les valeurs de l’Olympisme et surtout les attentes du CIO : la jeunesse, l’espoir, le dynamisme. Ici, la candidature de Londres la jeune a finalement devancé celle de Paris la vieille. Mais être dans le coup, c’était aussi s’assurer de la majorité des voix en n’oubliant pas les réseaux réellement influents (ceux de Juan Antonio Samaranch) et en jouant sur les véritables ressorts de l’influence. Certes, la France a fait du lobbying. Mais un lobbying à la française qui mise tout sur la persuasion. Rencontrer les membres du CIO pour les convaincre de la qualité du dossier était certes nécessaire. Mais cela s’est révélé insuffisant. Était-ce prévisible ? Oui lorsque l’on a déjà été recalé deux fois à l’examen et que de nombreux experts ont planché sur les raisons des défaites antérieures. De plus, un an avant le vote du CIO, les jeunes professionnels de l’École de Guerre Économique et du Master Intelligence Économique de l’IAE de Poitiers avaient réalisé un rapport qui plaçait Londres parmi les candidats les plus dangereux. Citons leur travail. « L’État britannique devrait mener, par sa place au sein des diverses institutions mondiales et ses relais au sein du Commonwealth, une politique offensive pour influencer les États membres du CIO. Le Commonwealth dispose de 25 voix au sein du CIO et un vote de groupe pourrait avoir une influence déterminante sur la candidature de Londres. » Concernant les leçons à tirer des précédents échecs français (1992 et 2008 pour Paris, 2004 pour Lille), l’analyse était la suivante : « L’échec de la candidature française tient avant tout à la redéfinition par le CIO des critères de sélection des candidatures. Désormais, la qualité technique du dossier pèse moins que la stratégie de séduction à destination des membres du Comité, et moins que les enjeux politiques et économiques offerts par les pays étrangers. L’attribution des JO à une ville doit en effet conforter l’importance du CIO aux yeux de ses propres membres et dans le monde. » Approchée, l’équipe de Paris 2012 n’avait pas souhaité en savoir davantage. La France n’avait alors rien à apprendre de ses jeunes comme elle n’avait rien à apprendre de la victoire de Londres. Et il faudra dix ans pour changer la donne.

Mal français, l’arrogance est un cocktail composé de gallocentrisme et d’autosatisfaction. Même après la défaite, Paris reste « la plus belle ville du monde » et le dossier de candidature « le meilleur de tous les dossiers ». Inutile donc de tirer des enseignements de ce nouvel échec. Pourquoi représenter une candidature puisque le système est perverti ? Mais ce statut d’éternelle victime aux mains blanches n’est-il pas finalement plus agréable ? Une lueur d’espoir. Dans ce flot d’arrogance, Jean-Claude Killy détonne lorsqu’au sortir du scrutin, conscient depuis longtemps que le CIO est un carrefour d’intérêts particuliers, il explique : « Sebastian Coe, je le connais depuis vingt-cinq ans. Les Anglais sont restés dans les clous. Ils ont une meilleure façon de faire du lobbying » (Cité par Frédéric Potet in « Abattus, les délégués de Paris jugent la défaite “incompréhensible” », Le Monde, 8 juillet 2005). Et de conclure : « Quand on veut prendre, il faut savoir donner. Nous, Français, nous ne savons pas donner. ». À une exception près. Londres n’a pas volé sa victoire, nous la lui avons donnée.

Insolence méprisante ou agressive, l’arrogance renvoie également aux idées de fierté, hauteur, ou suffisance. Et à une imposture stratégique, car avant d’être mépris envers les autres, l’arrogance est, en effet, une méprise sur soi et sur sa réelle position dans le jeu. D’où cet appel de l’éditorialiste des Échos après la défaite de Paris 2012 : « Il faut donc, aujourd’hui, fort sérieusement s’interroger sur l’image que nous donnons à l’extérieur. Sur cette arrogance qui nous fait donner des leçons au monde extérieur et que ne manquent pas de mettre en exergue et sans être contredits nombre de nos concurrents (…) Sur nos contradictions qui font que nous fermons les portes de notre pays tout en réclamant la possibilité d’organiser des événements universels.  » (Gilles Sengès, « Pris à notre propre jeu », Les Échos, jeudi 7 juillet 2005, p. 14).

Car reconnaître l’autre dans sa différence et le comprendre réellement (empathie) ne va pas de soi. Ainsi, lorsqu’Armand de Rendinger prend en charge l’« intelligence olympique » pour la candidature de Paris 2012, il demande que deux études préalables à toute décision soient réalisées : Pourquoi Paris veut-elle les jeux ? Quelles seraient les raisons pour que le CIO ne les lui attribue pas ? Après les échecs de 1992 (Lille), 2004 et 2008 (Paris), ces questions semblent fondamentales. « Je n’ai rien inventé en la matière, explique l’ancien associé du cabinet Andersen Consulting, conseil en stratégie et organisation. Pékin, après son échec de 1993, a procédé ainsi. Malheureusement, les décideurs et futurs responsables du dossier parisien de 2012 privilégient surtout les questions de nature hexagonale et parfois personnelles. Jamais la deuxième étude relative aux raisons qui feraient que le CIO ne voterait pas pour Paris n’a été lancée […] Essuyer quatre échecs dans des circonstances différentes en moins de quarante ans mériterait pourtant qu’on se demande si la France, en fait, n’a pas un problème avec l’olympisme. Et si oui, comment le résoudre ? » (Armand de Rendinger, Jeux perdus, Fayard, 2006, p. 51).

Paris 2024. Douze ans plus tard, je me retrouve sur le plateau où travaille l’équipe de la candidature française aux JO. Un seul concurrent, mais de taille reste cette fois-ci en course : Los Angeles. Devant moi, Guy Drut, un homme dont le profil n’est pas sans rappeler celui de Sebastian Coe. À la tête de la candidature, un duo de choc avec le kayakiste, triple champion olympique et membre du CIO, Tony Estanguet et Bernard Lapasset, ex-président de la Fédération Internationale de Rugby. Les ingrédients de la réussite sont là : des leaders sportifs et de fins connaisseurs des règles du jeu. Et tout un collectif dont une jeune équipe de communicants particulièrement dynamique qui a intégré les méthodes de l’Intelligence Économique. Cette fois-ci, un dispositif d’influence digne de ce nom a été mis en place et, cerise sur le gâteau, Paris n’a pas hésité à s’offrir les services du fameux lobbyiste anglais Mike Lee qui conseillait notamment Londres 2012. Quelle meilleure preuve d’intelligence et d’humilité ?

Plutôt réservé au départ sur les chances françaises après, il est vrai, tant de désillusions, je comprends alors que Paris va remporter la candidature aux JO, une victoire dont a assurément besoin le pays pour rebondir et démontrer l’efficience du « Soft Power » à la française. « Là où il y a une volonté, il y a un chemin ».

Alors ne boudons pas notre plaisir et poursuivons cette mutation culturelle en faisant de ces JO une fête. Dans un monde incertain, ces moments de concorde sont essentiels pour ne pas dire vitaux.

 

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