Qu’il s’agisse d’universitaires dits émérites, de retraités du renseignement, de politiques retirés des « affaires » ou d’ex-responsables d’entreprise, les « anciens » sont une mine de connaissances sous-exploitée. N’ayant plus rien à prouver, souvent encore en phase avec une réalité professionnelle qu’ils ne quittent jamais tout à fait, ils laissent en général tomber cette langue de bois qu’ils ont parfois dû tant manier qu’ils ne la supportent plus. Tel est le cas de ce professeur canadien – pardon québécois – qui vient aujourd’hui faire une conférence sur le développement local dans un amphithéâtre clairsemé. Sans doute plus à l’aise avec les petits groupes, les trois-quarts de son exposé sont plutôt soporifiques. Fort heureusement, la fin de matinée est plus propice à l’hypoglycémie qu’aux endormissements soudains. D’ailleurs, attirés par l’odeur de la cafétéria (et il ne faut pas être difficile !), certains ont déjà quitté les lieux. Mais ils ne savent pas ce qu’ils perdent. Car il est des anecdotes bien plus instructives que des heures de conférence standardisée.
Se laissant aller, Bernard raconte ses études à la London School of Economics, le soi-disant « saint des saints » de la pensée économique. Fraichement diplômé, il croise l’un des Professeurs vedettes « just retired » dans un Pub de la city. Après quelques pintes de bière, ce dernier lui prend le bras et lui fait cette confidence : « Vous savez Bernard, toutes ces théories néoclassiques que j’ai enseigné pendant plus de trente années. Et bien, je n’y ai jamais vraiment cru ! » Et pour cause. Le monde des affaires est souvent bien loin de cette économie aseptisée où la clé du succès tiendrait dans le meilleur rapport qualité-prix et la libre-concurrence. Non, la société des hommes est toute autre[1]…
« Guerre économique ». Dois-je avouer que le terme m’a un temps gêné ? Pourtant, c’est bien de cela qu’il s’agit. Mais tout se passe alors comme s’il s’agissait, en prononçant cette expression, de se faire violence à soi-même voire de s’automutiler. Parler de guerre économique, c’est un peu comme renoncer au père Noël. C’est laisser sur le bord du chemin ses rêves enfantins (à moins qu’ils ne soient infantiles) d’un monde idéal où chacun recevrait selon son mérite grâce à la main invisible d’un marché ou d’un vieux bonhomme rouge en traineau. Faut-il pour autant cesser de rêver et d’œuvrer pour un monde meilleur ? Sûrement pas ! Mais ce n’est pas en se masquant les yeux qu’on avance dans la bonne direction. Etre dans le déni de réalité ou tomber dans le cynisme : entre ces deux voies communément empruntées, il en existe une troisième, plus difficile à voir et plus risquée à rejoindre. Celle qui consiste à emprunter les sentiers de la guerre économique.
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[1] Bien entendu, il ne faudrait pas jeter le bébé avec l’eau du bain et les sciences économiques sont essentielles quand elles n’oublient pas d’être des sciences humaines. Ce qui est à dénoncer, c’est l’idéologie qui pilote le courant dominant et empêche les autres de se développer. Voir à ce sujet l’excellent documentaire d’Arte Capitalisme qui montre notamment comment a été construit le mythe de la main invisible du marché.
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