CSM : Contexte, système et modalités. Une nouvelle ontologie pour la mécanique quantique.

Mis en avant

Deux chercheurs français, Alexia Auffèves et Philippe Grangier proposent un nouveau cadre conceptuel pour la mécanique quantique permettant de mieux l’appréhender. Ces deux chercheurs ont fait l’objet d’un entretien dans le numéro Hiver 2016 du Journal du CNRS. Leurs travaux ont été publiés dans Foundations of Physics et peuvent être trouvés sur Arxiv ici et .

A propos de la mécanique quantique, Richard Feynman disait « Je pense qu’il vaut mieux dire tout de suite que personne ne comprend la mécanique quantique. Si vous le pouvez, évitez de vous dire : mais comment peut-il en être ainsi ? Sinon vous serez submergés, noyés en entraînés vers un gouffre dont personne n’a réussi à s’échapper. Personne ne sait comment il peut en être ainsi. »

La mécanique quantique heurte, il est vrai, le sens commun. Le 9 octobre 2012 au JT de France 2 alors que David Pujadas lui demandait s’il y avait une manière simple de présenter ses travaux qui venait de lui valoir le prix nobel, Serge Haroche avait répondu au journaliste estomaqué que non, il n’y avait pas de manière simple d’appréhender cette discipline qu’est la mécanique quantique.

Pourtant, depuis plus d’un siècle, cette théorie physique n’a reçu aucune contradiction expérimentale et décrit parfaitement tous les phénomènes à l’échelle nanométrique comme les atomes, les molécules… Dit comme cela, cette théorie semble donc rendre compte parfaitement de la réalité. Le problème est justement de savoir de quelle réalité il s’agit.

En physique classique, on cherche à étudier un système. Si l’on connaît les caractéristiques de ce système c’est-à-dire l’état du système (par exemple sa position et sa vitesse), les équations de la physique permettront de prédire son évolution future. L’état du système peut être déterminé par des dispositifs expérimentaux qui peuvent être utilisés en complément afin d’obtenir le plus d’informations sur le système à étudier. Si le système est un personne, une toise permettra de connaître sa taille, une balance son poids, une photo du visage permettra d’obtenir la couleur des yeux et celle des cheveux. Peu importe l’ordre dans lequel sont faites les mesures, les résultats qui constitueront en quelque sorte la carte d’identité de la personne seront toujours les mêmes. De plus, en physique classique, l’état du système préexiste à la mesure qui est faite. Une personne d’1m80, 70 kg aux cheveux blonds et aux yeux bleus avait toutes ces caractéristiques avant même que les mesures soient faites. La réalité est donc l’état du système

Aussi incroyable que cela puisse paraître, tel n’est pas le cas en physique quantique. Par exemple, les grains de lumière, appelés photons sont caractérisés par une quantité appelée polarisation. La polarisation peut être établie par un polariseur. Lorsque qu’un faisceau lumineux est envoyé sur un polariseur d’une certaine orientation (par exemple verticale), une partie des photons est transmise par le polariseur et ces photons ont tous la polarisation du polariseur (verticale). Si l’on met sur les trajets des photons, un second polariseur orienté verticalement, tous les photons transmis par le premier polariseur seront transmis par le second. Si l’on met un polariseur orienté à 45°, alors les photons auront 50% de chances d’être transmis, ces derniers auront alors une polarisation orientée à 45°. Le fait que l’on ne puisse par prédire avec certitude, mais seulement avec des probabilités, si le photon polarisé verticalement sera transmis par le polariseur incliné à 45° a choqué beaucoup de physiciens. De plus, l’état « photon polarisé à 45° » n’existe pas tant que la mesure n’a pas été faite donc ne prééxiste pas à la mesure. Ces deux points, perte de l’objectivité classique (l’état ne prééxiste pas à la mesure) et les probabilités sont au cœur de l’étrangeté quantique.

Le but de l’article d’A. Auffèves et P. Grangier est de faire correspondre le formalisme quantique qui n’a jamais été mis en défaut avec une réalité physique qu’ils définissent et qui va être fondamentalement différent de la réalité classique. La réalité quantique qu’ils posent s’appuie sur ce sur quoi on peut être certain lorsque l’on fait une mesure en mécanique quantique. Par exemple, un photon déjà passé dans un polariseur vertical sera à coup sûr transmis par un second polariseur vertical. Il convient donc d’associer les états quantiques non seulement à un système mais aussi à un dispositif de mesure. La nouvelle ontologie proposée est ainsi basée sur deux principes :

1/ Un état est toujours lié conjointement à un système mais aussi un contexte qui peut être vu comme un appareil de mesure.

2/ En mécanique quantique, pour un couple système-contexte, il est postulé qu’il existe un nombre fini N de modalités (résultats de mesure) mutuellement exclusifs (le résultat ne peut être que l’une de ces modalités et en aucun cas une combinaison).

Lorsque le contexte est changé, les modalités le sont aussi et restent au nombre de N. Il n’est pas possible en faisant deux mesures sur deux contextes différents d’augmenter le nombre de modalités à 2N car cela contredirait le principe précédent. Lorsque l’on change de contexte, on ne peut donc que déduire les probabilités d’obtenir les modalités du nouveau contexte connaissant le résultat du premier contexte. Les probabilités, qui relient donc les modalités issues de différents contextes sont donc introduites naturellement à partir de la réalité. C’est l’une des conséquences les plus belles de cette nouvelle ontologie. Evidemment, il faut abandonner l’idée que les états puissent être attachés à un système indépendamment d’un contexte. Mais est-ce si choquant ? Même en physique classique, le résultat peut dépendre fortement du contexte expérimental. Ainsi, l’image d’un objet éclairé par une onde électromagnétique est très différente selon la longueur d’onde utilisée. Une personne éclairée en lumière visible apparaît comme on la voit. Mais si cette personne est éclairée en rayons X, elle apparaitra comme un squelette alors qu’elle apparaitra dévêtue si on utilise un scanner corporel à ondes millimétriques.

 

A l’heure d’internet, a t on toujours besoin de revues à comité de lecture ?

L’essentiel de la production scientifique des chercheurs est publié dans des revues scientifiques à comité de lecture. Lorsqu’un chercheur veut publier son travail, il l’envoie à un éditeur de revue scientifique qui envoie à son tour ce travail à des experts anonymes. Ces derniers valident la démarche et le travail effectuant et demande souvent des compléments afin d’éclaircir et d’enrichir le travail. Ce processus d’examen du travail scientifique par les pairs est essentiel car les travaux publiés sont toujours validés par la communauté. Cette démarche est donc indispensable.

Cependant, plusieurs problèmes sont apparus et se sont amplifiés ces dernières années. D’une part, les abonnements aux revues sont devenues une charge importante pour les universités et les organismes. D’autre part, certaines revues, les plus prestigieuses, effectuent leur sélection de plus en plus au niveau de l’éditeur et non au niveau des experts scientifiques. Publier dans ces revues est devenu le sésame pour obtenir bon nombre de financement sur projet. Ce processus est dangereux pour la science et pour les idées nouvelles. Il encourage les effets de mode et risque de nuire à l’indépendance scientifique.

Depuis une vingtaine d’années, un certain nombre de sites internet ont proposé l’hébergement de publications en preprint c’est-à-dire de publications écrites avant qu’elles ne soient envoyées aux revues scientifiques. Ces sites de dépôts pourraient facilement remplacer les revues à condition d’adapter leur fonctionnement. Il faudrait ainsi que les scientifiques puissent en toute liberté commenter les articles déposés, les critiquer et proposer de nouveaux tests ou des enrichissement. Ceci pourrait être simplement fait en ajoutant une page de commentaires à la page de dépôts. Un tel processus permettrait autant voire mieux que les revues actuelle la publication et la reconnaissance des travaux de recherche. Le nombre de commentaires pourrait attester de l’intérêt ou non d’un article. Le contage des citations dans les revues pourrait se faire de la même façon qu’il se fait à l’heure actuelle dans les revues.

Cela nécessiterait cependant une adhésion massive de la communauté ce qui est loin d’être acquis. En effet, les revues, en distribuant des fonctions prestigieuses comme celle d’éditeurs de revues ont un moyen de pression sur les « meilleurs » éléments de la communauté. Un des moyens serait sans doute que les institutions comme les universités et les organismes encourage les chercheurs dans cette voie.