Le bruit du public

Le bruit dans la société

Vienne, samedi 5 septembre 1772,
Charles Burney rend visite au poète Métastase à son domicile.
« Comme bien d’autres poètes avant lui, Métastase habite en un lieu fort élevé, puisque ses appartements sont au quatrième étage. Je ne saurais dire si les bardes modernes cherchent à être à la même hauteur que le mont Parnasse, au plus près de leur maître Apollon, ou s’ils aspirent au voisinage des dieux en général. »

Ces deux personnages s’entendent très bien et Burney nous énumère les sujets qu’ils abordent. Il se trouve que le bruit dans la société est un fait qui semble être particulièrement gênant à leurs yeux.
« Notre conversation roula sur les sujets suivants : les échelles musicales, la mélodie, le chœur, les modes et la déclamation des Grecs anciens; l’origine de l’harmonie moderne et des opéras; la prédilection pour les fugues au siècle dernier, et pour le bruit dans le nôtre, etc., etc. »


Le bruit pour rappeler

Milan, vendredi 17 juillet 1770,
« Il se fit pendant la représentation un bruit abominable qui ne cessa que pour entendre chanter deux ou trois airs et un duo qui ravirent l’auditoire; à la fin du duo, les applaudissements continuèrent avec une violence soutenue jusqu’à ce que les chanteurs revinssent pour le recommencer : c’est ainsi que l’on s’y prend à Milan pour redemander un air favori. »


Rome, mercredi 21 novembre 1770,
« On estime en général qu’un compositeur ou un exécutant qui a du succès à Rome n’a rien à craindre de la sévérité des critiques en d’autres endroits. Au début d’un opéra, les cris et les acclamations de l’auditoire se prolongent souvent pendant un temps considérable avant que l’on se décide à entendre la première note. Un auteur favori est reçu aux cris de Bravo Signor maestro ou Viva Signor maestro.


Le bruit pour se faire entendre

Paris, mercredi 13 juin 1770,
Charles Burney relate sa soirée au Théâtre-Italien de Paris (Opéra Comique) où il entendit deux pièces en musique : Les Gondoliers vénitiens (1747) d’Antoine-François Riccoboni et la première représentation d’Alvar et Mancia de Louis-Joseph Saint-Amans. Il parle de la deuxième pièce qui était un opéra-comique nouveau, dans le style français moderne.

« Aux sifflets se mêlaient des éclats de rire chevalins, tel qu’on en entend aux théâtres de Covent Garden ou de Drury Lane. En un mot, la pièce fut huée selon toutes les formes de la procédure anglaise, si ce n’est que l’on s’abstint de casser les bancs et la tête des acteurs, et qu’au bruit continuel de hiss on substitua celui de chchch. »

Covent_Garden_Theatre_1815

Joshua Gleadah, « The old Theatre – Covent Garden », Gravure représentant l’intérieur, la scène et le public du théâtre Covent Garden à Londres, 1815.


Milan, vendredi 17 juillet 1770,
Burney se rend au théâtre Regio Ducal Teatro. Ce dernier brûla en 1776 et fut remplacé en 1778 par le Teatro alla Scala.
« Il y a au milieu du théâtre une très grande loge, de la taille d’une salle à manger ordinaire à Londres, réservée au duc de Modène, gouverneur de Milan, qui s’y trouvait avec sa fille, la principessa Ereditaria. Il se fit pendant la représentation un bruit abominable. »


Bologne, vendredi 24 août 1770,
« Il y a beaucoup à faire pour perfectionner le goût national, qui est à présent dépravé par la farce, la bouffonnerie et la chanson; de même, l’inattention, le bruit, l’indécence du public sont d’une intolérable barbarie. »
« Le silence qui règne à Londres et à Paris pendant les représentations théâtrales est un encouragement pour l’acteur, aussi bien qu’un besoin pour le spectateur intelligent et sensible. Les théâtres italiens sont immenses, et les acteurs semblent réduits à une perpétuelle criaillerie pour se faire entendre à travers l’espace et le bruit. »


Naples, dimanche 4 novembre 1770,
« Pour revenir au théâtre San Carlo qui, comme spectacle, surpasse tout ce que la poésie ou les romans ont jamais pu imaginer, il faut avouer que la grandeur du bâtiment et le bruit de l’auditoire sont tels que l’on ne peut entendre distinctement ni les voix ni les instruments. On me dit toutefois qu’en raison de la présence du roi et de la reine, le public avait fait beaucoup moins de bruit que lors des représentations ordinaires. »

Théâtre San Carlo Naples

Giorgio Sommer, « Théâtre San Carlo à Naples » ; Intérieur du théâtre au milieu du 19e siècle ; Peinture

Théâtre San Carlo article de Robinson

B. Croce, ‘I teatri di Napoli’, Intérieur du théâtre San Carlo à Naples – Archivio storico per le Province Napoletane, 1891


Le bruit de l’orchestre

Milan, dimanche 22 juillet 1770,
« Tout le monde se plaint, en Angleterre, que les accompagnements soient bruyants, mais ce n’est rien en comparaison de l’Italie. A l’opéra, on n’entend que les instruments, avec lesquels il n’y a plus que les barytons et les basses qui soient en état de lutter. Autrement, on ne perçoit que du bruit à travers du bruit, et les voix délicates y sont complètement étouffées; dans le cas présent, il me semblait que non seulement l’orchestre jouait trop fort, mais qu’il avait trop à faire. »


Bibliographie spécifique à l’article :
BODEKER, Hans Erich, Espaces et lieux de concert en Europe 1700 – 1920, Bödeker, Hans Erich, Veit, Patrice; Werner, Michael (éds.), Berlin, BWV Berliner Wissenschafts-Verlag GmbH, 2008.

ROBINSON, Michael F., « A Late 18th-Century Account Book of the San Carlo Theatre, Naples », in Early Music, Vol. 18, No. 1, The Baroque Stage II (Feb., 1990), Oxford University Press, pp. 73-81.

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