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Les derniers combats

Nous nous intéresserons dans cet article à la mise en scène des dernière heures de la Commune de Paris. Cet épisode, connu sous le nom de Semaine Sanglante, commence le 21 mai avec l’entrée dans Paris de l’armée de Versailles et s’achève avec la défaite des dernières poches de résistance communardes le 28 mai. Pour Robert Tombs, cette dernière phase de l’histoire de la Commune pris les traits « d’une répression atroce et démesurée[1]« .  La majorité des témoignages rédigés quelque temps après les évènements font l’état de véritables massacres : « Ce jour-là, le massacre prit ce vol furieux qui distança en quelques heures la Saint-Barthélémy. On n’a tué jusque-là que des fédérés ou des personnes dénoncées; maintenant lorsqu’un soldat vous a fixé il faut mourir; quand il fouille une maison, tout y passe. « Ce ne sont plus des soldats accomplissant un devoir, écrivait, épouvanté, un journal conservateur, La France; ce sont des êtres retournés à la nature des fauves. Impossible d’aller aux provisions sans risquer d’être massacré. Ils crèvent à coups de crosse le crâne des blessés, fouillent les cadavres[2].« 

L’historiographie donne à penser la fin de la Commune de Paris comme un véritable massacre, un châtiment donné par Versailles au peuple insurgé. De cette manière, le traitement de l’évènement dans La Nouvelle Babylone doit nous intéresser. Quelle place est attribuée à la répression versaillaise? Et quelle visage est donné à la résistance communarde?

Les premiers combats de la Semaine Sanglante interviennent à la 45ème minute. Pour la première fois, les réalisateurs vont mettre en scène les affrontements armés de la Commune. La représentation de la guerre que l’on retrouve dans le film est plutôt novatrice pour l’époque. Les réalisateurs des années 1910 et 1920 préfèrent filmer la guerre de façon monumentale, privilégiant l’utilisation de chevaux, de décors fastueux ou de nombreux figurants. Dans le cas de la Nouvelle Babylone, l’issue et le déroulement de la Semaine Sanglante sont suggérés autour du combat d’une seule barricade.

La fin de la Commune est annoncée dès la première séquence, des membres de la Commune sont réunis autour d’une table, l’air résigné quand un soldat vient leur annoncer que : « Les Versaillais ont percé ! ». La mise en scène ne laisse pas penser que les communards ont le moindre espoir concernant l’issue finale du combat. Cela renforce encore une fois leur courage et leur bravoure. Résignés, sûrs de la défaite, ces hommes ne pensent pas à abandonner la lutte et la séquence suivante s’ouvre sur l’image d’un communard en train de briser des pavés pour construire une barricade. Cette image renvoie à L’Insurgé de Jules Vallès :

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La construction de cette barricade est comme le dit Robert Tombs, un amas de « Matelas, omnibus, fiacres, rouleaux de papier d’imprimerie, grands fortins en papier et petites murailles de pavés[3]. » La fondation à la hâte d’une barricade alors que les Versaillais sont déjà rentrés dans Paris est rigoureuse d’un point de vue historique. La défense intérieure de Paris n’a peu ou pas du tout été pensée ou organisée par les responsables militaires de la Commune. De ce fait, le peuple doit improviser la défense des quartiers envahis par l’armée de Versailles. Charles Delescluze, ministre de la guerre du gouvernement insurrectionnel, fait placarder des affiches : « Assez de militarisme… Place au peuple, aux combattants aux bras nus… Le peuple ne connait rien aux manoeuvres savantes[4] » Ce même Charles Delescluze est le personnage qui reçoit la nouvelle de la percée versaillaise dans Paris :

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Finalement, les combats s’engagent sur la barricade et c’est le peuple, jeunes et vieux, hommes et femmes qui s’enjoignent tous pour la bataille finale. Les élus de la Commune prennent aussi part au combat, le jeune homme assistant à la première réunion, représenté comme Eugène Varlin déclare : « Vos élus aussi mourront avec vous. » C’est cet aspect du combat qui est largement mis en avant par les deux réalisateurs. Les communards se sacrifient pour leur cause. Une série de portraits composent la scène de la barricade, entrecoupés par des tirs versaillais, des communards qui ripostent, des images de façades d’où émane de la fumée. Ces portraits, mettant en scène la mort d’un jeune homme devant les yeux de sa compagne et celle d’un vieux communard abattu puis remplacé au combat par une femme, donne un aspect dramatique à la scène. C’est seulement la violence de l’attaque versaillaise qui est retranscrite durant cette séquence, et non la force de la riposte communarde. Pour appuyer cet aspect, les réalisateurs figurent l’armée de la réaction de façon particulière. Les soldats ne sont pas individualisés, ils restent en groupe, le visage caché derrière la fumée qui émane des fusils :

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Ces représentations quasi fantomatiques tranchent avec la présentation des forces communardes. Les valeurs exaltées dans ces figurations donnent à ces hommes et à ces femmes un caractère humain. Les réalisateurs insistent sur les visages et les expressions du peuple derrière la barricade. Les images d’une jeune fille en pleurs, d’un vieil homme à l’agonie insistent sur cet aspect et sont propices à l’identification par le spectateur :

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On assiste, comme nous l’avons montré dans d’autres articles à une opposition induite par des procédés esthétiques et cinématographiques entre les forces de répression et les forces communardes. Les premières semblent animées par une brutalité impitoyable et innarêtable tandis que les secondes, broyées par la violence, brillent par leur humanité et leur sens du sacrifice.

Ce deuxième point est largement abordé dans les représentations de la barricade données par les deux réalisateurs. Les figures, comme nous l’avons vu plus tôt, de la mort d’un jeune soldat devant son amie et d’un vieux communard abattu et remplacé par sa femme, donnent un caractère quasi lyrique à la scène. Cet aspect est relayé par les témoignages des contemporains de l’époque. Citons, par exemple, Lissagaray : « Derrière leurs fragiles abris, les fédérés reçoivent vaillamment cette avalanche. Que de gens l’histoire a consacrés héros qui n’ont jamais montré la centième partie de ce courage simple, sans effet de théâtre, sans témoins, qui surgit en mille endroits pendant ces journées. Sur cette fameuse barricade du Château-d’Eau, clef du boulevard Voltaire, un garçon de dix-huit ans, qui agite un guidon, tombe mort. Un autre saisit le guidon, monte sur les pavés, montre le poing à l’ennemi invisible, lui reproche d’avoir tué son père. Vermorel, Theisz, Jaclard, Lisbonne veulent qu’il descende; il refuse, continue jusqu’à ce qu’une balle le renverse. Il semble que cette barricade fascine; une jeune fille de 19 ans, Marie M…, habillée en fusilier-marin, rose et charmante, aux cheveux noirs bouclés, s’y bat tout un jour. Une balle au front tue son rêve. Un lieutenant est tué en avant la barricade. Un enfant de 15 ans, Dauteuille, franchit les pavés, va ramasser sous les balles le képi du mort et le rapporte à ses compagnons[5].« 

On exalte le courage, une sorte de fascination mêlée de fantasmes entoure la barricade. L’image d’un pianiste jouant devant à la suite du retrait des troupes versaillaises donne encore plus de teneur à cet aspect :

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Finalement, l’armée versaillaise qui avait reculé lors du premier assaut, assiège de nouveau la barricade, cette fois-ci en utilisant des canons et réduit à néant la résistance communarde. La scène se conclue sur l’image des cadavres fédérés et sur la joie des bourgeois qui peuvent regagner Paris.



[1] TOMBS, Robert, La guerre contre Paris 1871, Flammarion, 2009, p. 281.

[2] LISSAGARAY, Prosper-Olivier, Histoire de la Commune de 1871, Bruxelles, Henri Kistemaeckers, 1876. Edition augmentée, Paris, librairie E. Dentu, 1896. Petite collection Maspero, 1969, p. 355.

[3] TOMBS, Robert, op. cit., p. 266.

[4] ROL-TANGUY, Henry, « Les aspects militaires de la Commune », publié dans Le bulletin de l’association des amis de la Commune de Paris, deuxième trimestre 2003, n°18, consulté le 11 avril 2014, http://www.commune1871.org/?Les-aspects-militaires-de-la

[5] LISSAGARAY, Prosper-Olivier, op. cit., p. 355.

Le 18 mars, à l’origine de la Commune de Paris

Un des évènements marquants de la Commune de Paris est mis en scène dans le film. Il s’agit du soulèvement du 18 mars. Cette séquence apparait de la 27ème à la 37ème minute du film. Le traitement historique de cet épisode de la Commune doit nous interroger car il est le déclencheur de l’insurrection parisienne. Tout d’abord, il convient de rappeler le contexte historique entourant ce soulèvement populaire. Depuis les premières journées de mars, l’agitation règne à Paris. Dans les quartiers ouvriers de l’est parisien, notamment Belleville et Ménilmontant, l’armée régulière doit se retirer devant la menace, de plus en plus précise, d’une action insurrectionnelle. Le climat général s’était détérioré suite aux décisions de l’Assemblée Nationale, élue depuis le 8 février 1871, de demander le paiement immédiat des échéances commerciales et des loyers prorogés depuis la guerre, mettant de cette manière en faillite les petits commerces et poussant à la rue le petit peuple, ruiné par le siège de Paris. Six journaux républicains, dont le Cri du peuple et le Père Duchêne, sont supprimés et la réunion des clubs politiques suspendue par le général Vinoy, gouverneur militaire de Paris. Pendant ce temps, dans Paris, la Garde nationale dont la mission était de défendre le Paris assiégé, se substitue au pouvoir régulier dans la gestion des affaires courantes des arrondissements parisiens. En effet, dans la capitale livrée à elle même et coupée du reste du pays par le siège prussien, les délégués des bataillons de la Garde nationale se sont formés, pour chaque arrondissement, en comités politiques au-dessus desquels trône le Comité central de la Garde nationale, qui fait office de véritable contre-pouvoir au gouvernement régulièrement élu. La Garde nationale a subi durant le siège par la Prusse un changement radical dans sa composition sociale. Gambetta a renforcé ses effectifs durant la guerre : en augmentant le salaire des gardes, il a attiré de nombreux chômeurs parisiens. La Garde nationale a un fonctionnement particulier. En effet, les troupes doivent élire leurs chefs. De cette manière, devant l’afflux de gardes nationaux de condition modeste dans les bataillons, on observe que les cadres élus reflètent largement les tendances politiques du petit peuple de Paris. C’est à dire, un penchant révolutionnaire, socialiste et républicain. Ainsi, face à la radicalité de plus en plus palpable des forces vives parisiennes, Thiers et son gouvernement prennent la décision de confisquer les armes et les canons laissés aux mains des parisiens. Prosper-Olivier Lissagaray, dans son Histoire de la Commune de 1871,  dresse les faits qui ont marqué la journée du 18 mars 1871 : « Le 18 mars, à trois heures du matin, ces troupes de rencontre, sans vivres, sans leur sac, s’éparpillent dans toutes les directions, aux buttes Chaumont, à Belleville, au faubourg du Temple, à la Bastille, à l’Hôtel-de-Ville, place Saint-Michel, au Luxembourg, dans le XIIIème, aux Invalides. Le général Susbielle, qui marche sur Montmartre, commande à deux brigades, six mille hommes environ. Le quartier dort. La brigade Paturel occupe sans coup tirer le moulin de la Galette. La brigade Lecomte gagne la tour de Solferino et ne rencontre qu’un factionnaire : Turpin. Il croise la baïonnette : les gendarmes l’abattent, courent au poste de la rue des Rosiers, l’enlèvent et jettent les gardes dans les caves de la tour. Aux buttes Chaumont, à Belleville, les canons sont pareillement surpris. Le Gouvernement triomphe sur toute la ligne, d’Aurelles envoie aux journaux une proclamation de vainqueur ; elle parut quelques feuilles du soir[1]. »

Dans la séquence du film dédiée à cet événement, on retrouve des similitudes avec le récit de Lissagaray. Les troupes approchent d’une butte au sommet de laquelle sont stationnés les canons de la garde nationale :

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Au petit matin, toutes les places fortes où sont entreposés les canons sont occupées par l’armée. Dans le film, il s’agit sans aucun doute de la prise des canons de la butte Montmartre. Le soldat de la Garde nationale en faction, chargé de protéger le parc est abattu sans sommation comme cela est raconté par Lissagaray : « La brigade Lecomte gagne la tour de Solferino et ne rencontre qu’un factionnaire : Turpin. Il croise la baïonnette : les gendarmes l’abattent[2]. » Ainsi, le régiment mis en scène ici est celui commandé par le général Claude-Martin Lecomte. Ce choix est loin d’être un hasard et laisse entrevoir une certaine volonté de coller à la réalité historique de l’évènement. Nous verrons ce point plus loin dans l’article.

Le soldats occupent les postes de la Garde nationale et peuvent commencer l’évacuation des pièces d’artillerie. Ils leur manquent cependant des chevaux pour atteler les canons. On note une référence à cet aspect de l’évènement dans le film. Lissagaray, aussi, y fait allusion : « Il ne manquait que des chevaux et du temps pour déménager cette victoire. Vinoy l’avait à peu près oublié. A huit heures seulement, on commença d’atteler quelques pièces; beaucoup étaient enchevêtrées, n’avaient pas d’avant-train[3]. » :

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Cette erreur stratégique enraya la bonne marche de l’opération militaire. Paris s’éveille, les premières boutiques ouvrent leur porte, les cafés accueillent les premiers clients. Les affiches placardées par Thiers donnent la teneur de ce qui est train de se jouer : « Habitants de Paris, dans votre intérêt, le Gouvernement est résolu d’agir. Que les bons citoyens se séparent des mauvais; qu’ils aident la force publique. Ils rendront service à la République elle-même. (…) Les coupables seront livrés à la justice. Il faut à tout prix que l’ordre renaisse, entier, immédiat, inaltérable[4]« 

Dès lors, la réaction du peuple s’engage : « Les femmes partirent les premières comme dans les journées de Révolution. Celles du 18 mars, bronzées par le siège – elles avaient eu double ration de misère – n’attendirent pas leurs hommes[5]. » Dans la Nouvelle Babylone, cette séquence est reprise fidèlement, ce sont en premier lieu des femmes qui arrivent au compte-goutte en bas de la butte :

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Elles interpellent les soldats aux cris de « Que faites-vous ici ? » et montent sur la butte où elles donnent à boire du lait aux soldats qui paraissent exténués. Les réalisateurs insistent ainsi sur la bienveillance de ces femmes. Elles maternent les hommes, leur donne du lait comme elles donneraient le sein. Les soldats, représentés comme des miséreux, appartiennent à la même classe sociale que ces femmes, l’une d’elle tombe même sous le charme d’un vieux garde. L’arrivée des chevaux tant attendus sonnent la fin de la fraternisation du peuple et des soldats. Les femmes tentent de s’interposer, et de faire front. Les communards arrivent enfin, armes à la main. Le général de brigade crie alors à ses hommes : « Fusillez cette canaille !« . Les soldats, mêlés au peuple refuse et un vieux garde jette même son arme à terre :

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Cette séquence est extrêmement intéressante d’un point de vue historique et dénote d’un véritable travail de recherches de la part des réalisateurs. En effet, la brigade représenté est la 88ème brigade d’infanterie, on peut ainsi voir le chiffre 88 représenté sur les képis des soldats :

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C’est bien la brigade commandé par le général Lecomte et chargé d’enlever les canons de Montmartre. C’est aussi une des premières section à s’être débandé et à avoir fraternisé avec le peuple : « A huit heures, ils sont trois cents officiers et gardes qui remontent le boulevard Ornano. Un poste de soldats du 88ème sort, on leur crie : Vive la République ! Ils suivent. Le poste de la rue Dejean les rallie et, crosse en l’air, soldats et gardes confondus gravissent la rue Muller qui mène aux buttes tenues de ce côté par les soldats du 88ème. Ceux-ci, voyant leurs camarades mêlés aux gardes, font signe de venir, qu’ils livreront passage. (…) Lecomte cerné commande trois fois le feu. Ses hommes restent l’arme au pied. La foule se joint, fraternise, arrête Lecomte et ses officiers[6].« 

L’arrestation de Lecomte et de ses officiers n’est pas représentée dans le film. On voit le général prendre la route de Versailles avec ses troupes. Le traitement de l’évènement n’est pas ici fidèle au fait historique. Lecomte fut exécuté quelques temps après par les communards, c’est la première victime de la Commune. S’il ne fait pas de doute que l’homme à la tête de cette brigade est le général Lecomte, pourquoi les réalisateurs n’ont-ils pas voulu mettre en scène fidèlement son arrestation et sa condamnation? Le représentation toujours idéalisée des hommes de la Commune semble en être la principale raison. Tout au long du film, Trauberg et Kozintsev laissent le monopole de la violence aux Versaillais, laissant ainsi comme éléments constitutifs de l’imagerie communarde, l’aspect pacifique, dénué d’agressivité et de brutalité de l’insurrection.

Lors de cette séquence, les bourgeois sont aussi mis en scène. Le patron de La Nouvelle Babylone assiste dans un cabaret à la répétition d’une opérette. Personne ne semble au fait des évènements qui se trament alors dans Paris, comme au début du film, les bourgeois vivent leur aisance déconnectés de la réalité parisienne. La représentation se termine au moment où le soldat de la butte Montmartre jette son arme à ses pieds. La mise en scène du début du soulèvement est ainsi extrêmement intéressante. Au garde refusant de respecter l’ordre de tirer sur la foule, répond le bourgeois :

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Cette réplique laisse à penser aux écrits de Lissagaray :  » M. Thiers et son Gouvernement s’étaient réfugiés aux Affaires étrangères. Quand il sut la débandade des troupes, il donna l’ordre de les faire replier sur le Champ de Mars. Abandonné par les bataillons bourgeois, il parla d’évacuer Paris, d’aller refaire une armée à Versailles[7].« 

Finalement, la séquence se conclut habilement sur la séparation des hommes et des femmes qui ont fraternisé. Les soldats de l’armée régulière évacuent Paris sous les ordres de leur commandant afin de constituer la future armée de la réaction, l’armée de Versailles, tandis que les gardes nationaux et le peuple se ruent vers la mairie afin de prendre le pouvoir de Paris et de constituer la Commune. La scène de fraternisation des deux camps donne encore plus de poids à cette séparation. C’est cette même armée qui fraternisa avec le peuple le 18 mars et en assura la victoire qui se retournera ensuite contre Paris lors des dernières journées de mai, et soumis définitivement la Commune. L’affrontement qui semble irrémédiable apparait comme d’autant plus tragique et dramatique.

Le traitement historique de l’épisode déclencheur de la Commune est extrêmement intéressant. Il apparait comme pertinent dans la mise en scène des faits historiques et dans l’utilisation des symboles et des acteurs de l’évènement.



[1] LISSAGARAY, Prosper-Olivier, Histoire de la Commune de 1871, Bruxelles, Henri Kistemaeckers, 1876. Edition augmentée, Paris, librairie E. Dentu, 1896. Rééd. Petite collection Maspero, 1969, p. 111.

[2] LISSAGARAY, Prosper-Olivier, op. cit., p. 111.

[3] LISSAGARAY, Prosper-Olivier, op. cit., p. 111.

[4] LISSAGARAY, Prosper-Olivier, op. cit., p. 112.

[5] LISSAGARAY, Prosper-Olivier, op. cit., p. 112.

[6] LISSAGARAY, Prosper-Olivier, op. cit., p. 112.

[7] LISSAGARAY, Prosper-Olivier, op. cit., p. 114.

Paris scindé en deux

La trame narrative de La Nouvelle Babylone s’articule autour de l’opposition symbolique entre la bourgeoisie parisienne et le petit peuple de Paris. Nous avons vu dans notre blog, aux sous-rubriques « Références littéraires » et « Références picturales » de la Rubrique « Analyse du film », que les procédés filmiques et artistiques utilisés par l’équipe de tournage tendent à retranscrire cette opposition. Nous verrons dans cet article la représentation du prolétariat et de la bourgeoisie donnée par les deux réalisateurs et nous l’analyserons d’un point de vue historique.

Il est notoire d’un premier abord, que le récit de La Nouvelle Babylone scinde Paris en deux. Les séquences nous offrent, de la première jusqu’à la dernière scène, l’image d’une capitale ou s’opposent fondamentalement deux corps inconciliables. Cette image tend, d’une part à légitimer l’insurrection prolétaire et d’autre part, à condamner l’impitoyable réaction de Versailles. Pourtant, ce parti-pris manichéen se heurte à une certaine réalité historique. Si, comme le dit Marx dans La Guerre civile en France : « La misère des masses faisait un contraste criant avec l’étalage éhonté d’un luxe somptueux, factice et crapuleux[1]. », la révolution et l’insurrection communarde ne peuvent être réduites au seul prolétariat ouvrier, pas plus que ses adversaires ne sauraient être assimilés dans leur totalité à la réaction bourgeoise.

Ceci étant dit, il convient de donner la répartition démographique et sociale du Paris de 1871. Approximativement deux millions de personnes sont Parisiens à l’époque, ce qui en fait la ville la plus peuplée de France. Pierre Milza nous informe qu’ « Avec un demi-million d’emplois industriels à la fin du régime impérial, la capitale totalise plus de 15% de la main d’oeuvre employée dans cette catégorie à l’échelle de l’hexagone. Si l’on regroupe industrie et commerce, ce sont 70% des Parisiens actifs qui vivent de ces deux activités[2]. » Ainsi, l’essentiel du peuple de Paris est composé par les classes populaires : on estime à près de 900000 personnes le monde ouvrier dans son ensemble.

Quant à la grande et à la moyenne bourgeoisie, elles représentent moins de 200000 personnes, regroupant banquiers, industriels, grands propriétaires, hauts fonctionnaires, rentiers…

Le Second Empire a permis à quelques nantis et autres négociants avisés d’amasser de grosses sommes d’argent, parfois même des fortunes. Ces nouveaux rentiers fondent leurs revenus sur la spéculation financière et sur des relations ambiguës entretenues entre les milieux politiques et financiers. Ce nouveau monde, cette nouvelle « classe », s’oppose aux anciennes fortunes fondées sur la propriété et le travail industriel ou commercial. Ainsi, on assiste à l’avènement d’une classe, qui base ses activités et son nouveau statut sur l’abstraction. A cet égard, Christophe Charle, dans Histoire sociale de la France au XIXème siècle signale que « Ce qui choque les contemporains, ce sont les bases pour partie fictives et immatérielles de leur pouvoir. Les millions qu’ils possèdent ne viennent pas de la vente de produits industriels ou d’une activité commerciale visible (…) mais du rassemblement de capitaux placés surtout dans des activités de service, de finance, de transport ou dans des industries qu’ils ne gèrent pas eux-mêmes ou qui sont situés à l’étranger[3]»

Dans La Nouvelle Babylone, cette opposition entre des bourgeois oisifs, au goût immodéré du luxe et profitant de leur rente dans les cabarets et les bals et le petit peuple besogneux est marquée par les nombreuses images d’ouvriers au travail :

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L’image d’un Paris divisé de façon radicale entre une classe dominante immensément riche et un prolétariat souffreteux semble être la base idéologique assumée du film. Ce parti-pris doit être largement tempéré par les faits. Il existe ce que l’on peut considérer comme une « classe moyenne », composée de près de 400000 personnes : petits patrons de commerce et d’artisanat, petits propriétaires rentiers, fonctionnaires, professeurs des écoles[4]

La ligne de césure entre une petite bourgeoisie qui fréquente les mêmes cercles, le même environnement et parfois les mêmes difficultés que les classes populaires est loin d’être nette. Aussi, la confrontation de deux blocs homogènes présentée comme telle dans La Nouvelle Babylone ne s’inscrit pas dans la réalité sociale du Paris de l’époque.

Ainsi, l’opposition tranchée bourgeois-ouvriers apparait comme largement factice dans ses représentations. Les réalisateurs idéalisent un imaginaire sociale et fantasme une lutte des classes presque romanesque. La narrativité du film en est ainsi renforcée.

Cette opposition se retrouve aussi dans la façon de représenter les deux camps. Les bourgeois sont généralement filmés dans l’ombre, dans des espaces nocturnes et festifs. De cette manière, les deux réalisateurs insistent sur le fait que la bourgeoisie incarne un monde ancien, passé et révolu auquel s’oppose la Commune et le petit peuple. Au contraire, les communards sont tous filmés dans la lumière, apparaissent comme jeunes, vivants, actifs. Tandis que les acteurs incarnant les bourgeois sont pour la grande majorité les mêmes, les figurants du camp populaire sont suppléés par d’autres. De cette façon, la classe populaire apparait dans un perpétuel changement, un perpétuel renouvellement qui se confronte avec l’impression d’immobilisme des bourgeois.

Comme nous l’avons vu, la Commune de Paris nourrit l’imaginaire des deux réalisateurs. On peut parler d’un véritable mythe français. Cette épisode politique et historique a alimenté les instrumentalisations les plus variées et encore aujourd’hui les grandes aspirations communardes (droit des femmes, justice sociale, égalité) paraissent d’actualité. Notons, à cet égard, l’organisation d’un colloque le 30 avril 2011 commémorant les 140 ans de la Commune et intitulé La Commune est toujours vivante ! De la même manière, l’ouvrage d’Eric Fournier intitulé La Commune n’est pas morte (2013) renseigne sur les usages politiques de l’épisode communard. Il montre ainsi que dès les années 1880, on assiste à des rituels politiques, comme la montée au Mur des fédérés, qui vont perdurer jusqu’à la deuxième moitié du XXème siècle. Dans les années 1920, les usages mémoriels sont à mettre à l’actif des communistes et des anarchistes qui utilisent la Commune comme la source, comme l’essence même de leur histoire politique et militante.

Dans La Nouvelle Babylone, l’épisode historique est exalté et s’articule une véritable mythologie autour du personnage du communard. Il est présenté à l’image de l’héroine, Louise. C’est un travailleur implacable, solidaire des ses semblables, brave et prêt au sacrifice. Pourtant, comme le souligne Robert Tombs dans La Guerre contre Paris 1871, la grande majorité du petit peuple parisien qui prend les armes refusent de monter au combat et se réfugient dans Paris où l’ivrognerie prend des proportions effarantes. Robert Tombs écrit à ce sujet que, lors de la première sortie militaire des communards le 2 avril, « Tout ne fut que désordre, bavardages, ivrognerie, et peur panique[5] »« . De la même façon, William Serman insiste sur le fait que « Chacun, en somme, agit comme il veut. Les uns obéissent, les autres non. Les uns combattent, les autres regardent et commentent. Tout dépend des choix et des tempéraments individuels. Les plus dévoués, les plus convaincus, les plus courageux ou les plus désespérés assurent un véritable service de guerre. Les tièdes, les fatigués, les couards ne consentent à se plier qu’aux servitudes légères d’un service sédentaire[6].« 

Il faut ainsi raisonner la fougue révolutionnaire des masses et le courage des hommes tel qu’il est présenté dans le film. L’interprétation de l’événement par les deux réalisateurs se fait l’écho d’une certaine lecture de l’histoire. Celle de Marx dans La Guerre civile en France, ouvrage qui a notamment servi de référence à l’élaboration du film. Pierre Milza note à cet égard que « Le mythe de la Commune « gouvernement de la classe ouvrière » et première incarnation de la « dictature du prolétariat » a perduré jusqu’à l’effondrement de la citadelle communiste. Porté aux nues par plusieurs générations d’historiens marxistes de stricte obédience et de doctrinaires staliniens, il s’est nourri d’un ouvriérisme sommaire auquel Marx lui-même n’avait pas échappé, mais qui a fini par prendre un visage caricatural[7].« 

A ce propos, notons que si la figure bourgeoise est traitée de façon caricaturale à dessein, on peut se demander quel sort est réservé au fédéré finalement tout aussi caricaturé dans ses représentations. On peut imaginer que dans le dernier cas les réalisateurs, en exaltant un courage et une bravoure sans-limite, ont pensé coller à une certaine réalité historique. Une réalité historique imagée ou fantasmée par des esprits et des mentalités habitués à penser la Commune comme la source et le socle de leur propre histoire.



[1] MARX, Karl, La Guerre civile en France, Paris, Editions sociales, 1968.

[2] MILZA, Pierre, L’année terrible. La Commune, mars-juin 1871, Paris, Perrin, 2009, p. 68.

[3] CHARLE, Christophe, Histoire sociale de la France au XIXème siècle, Paris, Le Seuil, 1991.

[4] MILZA, Pierre, op. cit., p. 69.

[5] TOMBS, Robert, La guerre contre Paris 1871, Flammarion, 2009, p. 138.

[6] SERMAN, William, La Commune de Paris (1871), Paris Fayard, 1986, p. 474.

[7] MILZA, Pierre, op. cit., p. 462.

L’entrée en guerre et la fin de l’Empire

L’ouverture du film La Nouvelle Babylone met en scène l’entrée en guerre de la France contre la Prusse le 19 juillet 1870. Le traitement de cet évènement par les deux réalisateurs Russes doit nous interroger. En effet, la tonalité donnée dans la mise en scène donne à penser une certaine euphorie, une certitude quant à la victoire finale et une envie d’en découdre. Cette scène de liesse populaire entourant le départ à la guerre se traduit aussi dans la presse de l’époque. Ainsi, le Figaro du 19 juillet rapporte que des « Dames offrent bouquet ont prononcé chaud discours en gare[1]» Les déclarations d’allégresse et de ferveur caractérisent les opinions quant à l’entrée en guerre. Le journal Le Gaulois, prisé par le milieu mondain parisien déclare dans une rubrique intitulée « Le départ des troupes » : « On acclamait les grenadiers, qui répondaient aux cris de la foule par des chants patriotiques, la Marseillaise surtout[2]» L’élan patriotique et l’engouement peint dans la première scène du film traduisent ainsi de façon fidèle l’état et la perception de l’opinion le 19 juillet 1870.

L’image du peuple acclamant les troupes partant au combat appelle à d’autres interrogations. La foule amassée est faite en totalité de bourgeois, affublés de chapeaux, de bijoux et de vêtements permettant de reconnaître aisément leur classe sociale. Une majorité de femmes composent la foule, on observe aussi la présence de deux hommes et d’un enfant. Cet assemblage particulier répond à plusieurs nécessités. D’une part, il est logique que les femmes, ne prenant pas part au combat, constituent la majorité de la foule haranguant les soldats. D’autre part, la présence de ces deux hommes de la haute bourgeoisie peut être mise en lien avec la rubrique « Ouvrier et soldat » du Figaro du 19 juillet. L’auteur de cet article écrit :

« La scène change à mesure que ces braves enfants du pays traversent les différents quartiers de cette immense ruche d’hommes ; mais, éclatant ou contenu, le sentiment qu’on éprouve à regarder passer l’honneur de la France est, au fond, toujours et partout le même : qu’il se traduise par des vivats ou une émotion muette, c’est partout et toujours l’admiration et la reconnaissance de ceux qui restent faisant cortège à ceux qui partent. Il s’y mêle chez les riches et les heureux de ce monde, un peu de confusion involontaire, en se voyant moins utiles à la patrie commune que ces intrépides cohortes d’ouvriers et de paysans, en s’avouant tout bas que, spectateurs sympathiques dans la lutte qui va commencer, ils n’ont qu’un rôle, en définitive, celui d’applaudir à la gloire de nos armes, tandis que leurs frères obscurs ont un devoir, celui de faire triompher la cause de la justice et de la civilisation[3]»

On peut faire le lien entre la description du Figaro et la mise en scène de la première scène de la Nouvelle Babylone. La bourgeoisie qui se doit « d’applaudir à la gloire de nos armes, tandis que leurs frères obscurs ont un devoir » est présentée en ce sens de façon caricaturale. Regroupée derrière une barrière qui les sépare des soldats tant physiquement que symboliquement, la foule s’agite frénétiquement et de façon quasi-mécanique. Les visages sont contractés, serrés et figés dans des expressions de haine et de cri. Ces techniques et procédés filmiques utilisés par la FEKS depuis 1926, année de leur maturation artistique, et tendant à exprimer la narrativité du film par l’esthétisme, donnent pour la première scène, la tonalité artistique des scènes suivantes. L’image des bourgeois vociférant leur donne une image de carnassier, ponctuée par les cris et les appels : « Morts aux Prussiens ! Saignez-les à Berlin ! Saignez-les ! La guerre ! »

Si l’on revient aux procédés cinématographiques utilisés, la première image du film représentant le train est marquante. L’avant du train, affublé de drapeaux français et de couronnes de fleur illustre cet élan patriotique. Le tableau idyllique est néanmoins tempéré par le flux de fumée émanant de la cheminée et par l’arrière plan obscur qui rappelle l’image d’un champ de bataille. Cette image annonce l’issue du conflit, l’engouement guerrier et la fièvre patriotique française se heurtant finalement à la force de l’armée prussienne.

Si l’image de la bourgeoisie est largement mise en avant, les soldats ne sont représentés que de façon rapide et évasive à la fin de scène. Ils apparaissent en arrière plan sans être clairement figurés. De cette manière, ils sont dépeints tels des fantômes sans figure.

Finalement, la scène du départ à la guerre est traité de façon fidèle historiquement parlé. Les témoignages tirés des journaux de l’époque évoquent de la même manière un fort engouement et un élan patriotique important. Cependant, les deux réalisateurs traitent l’évènement en insistant, en mettant en exergue la différence entre l’excitation de la foule et l’indifférence des soldats montant dans le train. De cette façon, tout se passe comme si la guerre était l’affaire des bourgeois. A cet égard, l’image de l’enfant, qui, à la manière des autres bourgeois composant l’assistance, vocifère et crie, montre cet attrait pour la guerre qui est, par essence, caractéristique de la bourgeoisie et qu’a contrario, le petit peuple en est toujours la première victime.

La séquence suivante s’ouvre sur un spectacle dans un cabaret bourgeois. Les clients boivent au succès de l’armée française et une représentation théâtrale est même donnée à ce sujet. Cette épisode est intéressant car il laisse entrevoir le traitement allégorique d’un fait historique. Sur la scène, une actrice porte un casque à pointe, elle symbolise l’armée prussienne et est allongé par terre. Au dessus-d’elle, une chanteuse, portant un bouclier et un drapeau français incarne la victoire prochaine de la France :

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Finalement, durant la fête, un homme vient annoncer la défaite de l’Empereur à Sedan et le rideau tombe sur la France vaincue :
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Les deux réalisateurs suggèrent par l’allégorie la défaite de la France et la fin de l’Empire. Ce traitement particulier donne de la force à l’esthétisme et à la narrativité du film.

[1] Le Figaro – 19 juillet 1870

[2] Le Gaulois – 19 juillet 1870

[3] Le Figaro – 19 juillet 1870

Comme précédemment dit, la séquence se déroule dans un cabaret bourgeois. Les clients célèbrent l’armée française, et la représentation théâtrale met en scène l’armée prussienne dominée par la France. La caméra alternent plans larges et plans moyens sur les différents protagonistes du film.

La partie musicale est interprétée au piano. Celui-ci joue une sorte de valse. La main gauche exécute une basse alternée, entre Fa et Sib , puis entre Sib et Mi. La main droite interprète un thème en deux parties, sur l’harmonie des accords employés. La musique est entraînante, et donne le sentiment de faire partie intégrante du spectacle. Le piano – au fur et à mesure de la séquence – se fait de plus en plus présent. La musique de cette séquence retranscrit l’ambiance de cabaret et de festivités, mais également – par son aspect frénétique – le côté humoristique et burlesque du spectacle. La cadence finale est simultanée à la fin de la représentation. Le pianiste prolonge l’accord final comme s’il était totalement intégré à la séquence.

La pièce musicale suivante se déroule sur trois séquences. Elle débute sur les images du grand magasin « La Nouvelle Babylone », puis sur celles des prolétaires besognant, et à nouveau sur celles du magasin. La première des trois séquences met en scène les ventes et la frénésie des clients, incarnés par les bourgeois. La caméra filme les ombrelles fixées sur un mat qui tourne, puis fait un plan large sur la clientèle largement constituée de femmes. La caméra effectue ensuite un gros plan sur un tambour, et enfin un plan moyen sur le patron du magasin. La séquence suivante met en scène les prolétaires peinant au travail. On peut ainsi voir représentés différents corps de métiers : des couturières, un cordonnier, et des blanchisseuses. Les ouvriers ont le visage fermé et travaillent de manière mécanique. La dernière séquence se déroule à nouveau au grand magasin. La clientèle grouille, tout le monde semble frénétique. Les femmes s’arrachent les différents articles. La caméra effectue un plan sur la vendeuse Louise. Elle annonce que les prix sont très bas, et ne semble pas avoir une minutes pour elle.

Cette partie du film met en opposition la vie des prolétaires et celle des bourgeois. Les bourgeois sont représentés faisant leurs achats dans une hystérie généralisée. La séquence met en scène leur goût pour le luxe. Les prolétaires peinent au travaille, et exécutent leur tâche de manière automatique et abrutissante. L’opposition mise en scène par les réalisateurs, est retranscrite de manière fidèle par le pianiste. Celui-ci débute sa pièce par un ostinato, joué à la main droite. L’aspect circulaire de cet ostinato, peut faire référence au présentoir des ombrelles qui tourne en continu. Le piano exécute ensuite une sorte de french cancan. Le pianiste joue de manière très vive. Cette interprétation peut traduire la frénésie de la clientèle. L’air très gaie, presque frivole, est représentatif de l’état d’esprit des bourgeois. Dans la seconde séquence, le pianiste refait appel à son ostinato, mais cette fois-ci, sur les images de la machine à coudre. La circularité, fait ici référence à la roue de la machine qui tourne, et à la cadence de tâche effectuée par les ouvrières. La musique est cette fois, beaucoup plus en retrait. L’ostinato est remplacé par un balancement joué à la main gauche, dans les graves. La main droite est beaucoup moins volubile. Le pianiste, par son interprétation tente de retranscrire la morosité de la vie des prolétaires. Le sentiment de lassitude est accentué par le visage fermé, et inexpressif des travailleurs. La dernière séquence se déroule à nouveau dans le grand magasin, et exhale les mêmes sentiments que précédemment.