Nous nous intéresserons dans cet article à la mise en scène des dernière heures de la Commune de Paris. Cet épisode, connu sous le nom de Semaine Sanglante, commence le 21 mai avec l’entrée dans Paris de l’armée de Versailles et s’achève avec la défaite des dernières poches de résistance communardes le 28 mai. Pour Robert Tombs, cette dernière phase de l’histoire de la Commune pris les traits « d’une répression atroce et démesurée[1]« . La majorité des témoignages rédigés quelque temps après les évènements font l’état de véritables massacres : « Ce jour-là, le massacre prit ce vol furieux qui distança en quelques heures la Saint-Barthélémy. On n’a tué jusque-là que des fédérés ou des personnes dénoncées; maintenant lorsqu’un soldat vous a fixé il faut mourir; quand il fouille une maison, tout y passe. « Ce ne sont plus des soldats accomplissant un devoir, écrivait, épouvanté, un journal conservateur, La France; ce sont des êtres retournés à la nature des fauves. Impossible d’aller aux provisions sans risquer d’être massacré. Ils crèvent à coups de crosse le crâne des blessés, fouillent les cadavres[2].«
L’historiographie donne à penser la fin de la Commune de Paris comme un véritable massacre, un châtiment donné par Versailles au peuple insurgé. De cette manière, le traitement de l’évènement dans La Nouvelle Babylone doit nous intéresser. Quelle place est attribuée à la répression versaillaise? Et quelle visage est donné à la résistance communarde?
Les premiers combats de la Semaine Sanglante interviennent à la 45ème minute. Pour la première fois, les réalisateurs vont mettre en scène les affrontements armés de la Commune. La représentation de la guerre que l’on retrouve dans le film est plutôt novatrice pour l’époque. Les réalisateurs des années 1910 et 1920 préfèrent filmer la guerre de façon monumentale, privilégiant l’utilisation de chevaux, de décors fastueux ou de nombreux figurants. Dans le cas de la Nouvelle Babylone, l’issue et le déroulement de la Semaine Sanglante sont suggérés autour du combat d’une seule barricade.
La fin de la Commune est annoncée dès la première séquence, des membres de la Commune sont réunis autour d’une table, l’air résigné quand un soldat vient leur annoncer que : « Les Versaillais ont percé ! ». La mise en scène ne laisse pas penser que les communards ont le moindre espoir concernant l’issue finale du combat. Cela renforce encore une fois leur courage et leur bravoure. Résignés, sûrs de la défaite, ces hommes ne pensent pas à abandonner la lutte et la séquence suivante s’ouvre sur l’image d’un communard en train de briser des pavés pour construire une barricade. Cette image renvoie à L’Insurgé de Jules Vallès :
La construction de cette barricade est comme le dit Robert Tombs, un amas de « Matelas, omnibus, fiacres, rouleaux de papier d’imprimerie, grands fortins en papier et petites murailles de pavés[3]. » La fondation à la hâte d’une barricade alors que les Versaillais sont déjà rentrés dans Paris est rigoureuse d’un point de vue historique. La défense intérieure de Paris n’a peu ou pas du tout été pensée ou organisée par les responsables militaires de la Commune. De ce fait, le peuple doit improviser la défense des quartiers envahis par l’armée de Versailles. Charles Delescluze, ministre de la guerre du gouvernement insurrectionnel, fait placarder des affiches : « Assez de militarisme… Place au peuple, aux combattants aux bras nus… Le peuple ne connait rien aux manoeuvres savantes[4]… » Ce même Charles Delescluze est le personnage qui reçoit la nouvelle de la percée versaillaise dans Paris :
Finalement, les combats s’engagent sur la barricade et c’est le peuple, jeunes et vieux, hommes et femmes qui s’enjoignent tous pour la bataille finale. Les élus de la Commune prennent aussi part au combat, le jeune homme assistant à la première réunion, représenté comme Eugène Varlin déclare : « Vos élus aussi mourront avec vous. » C’est cet aspect du combat qui est largement mis en avant par les deux réalisateurs. Les communards se sacrifient pour leur cause. Une série de portraits composent la scène de la barricade, entrecoupés par des tirs versaillais, des communards qui ripostent, des images de façades d’où émane de la fumée. Ces portraits, mettant en scène la mort d’un jeune homme devant les yeux de sa compagne et celle d’un vieux communard abattu puis remplacé au combat par une femme, donne un aspect dramatique à la scène. C’est seulement la violence de l’attaque versaillaise qui est retranscrite durant cette séquence, et non la force de la riposte communarde. Pour appuyer cet aspect, les réalisateurs figurent l’armée de la réaction de façon particulière. Les soldats ne sont pas individualisés, ils restent en groupe, le visage caché derrière la fumée qui émane des fusils :
Ces représentations quasi fantomatiques tranchent avec la présentation des forces communardes. Les valeurs exaltées dans ces figurations donnent à ces hommes et à ces femmes un caractère humain. Les réalisateurs insistent sur les visages et les expressions du peuple derrière la barricade. Les images d’une jeune fille en pleurs, d’un vieil homme à l’agonie insistent sur cet aspect et sont propices à l’identification par le spectateur :
On assiste, comme nous l’avons montré dans d’autres articles à une opposition induite par des procédés esthétiques et cinématographiques entre les forces de répression et les forces communardes. Les premières semblent animées par une brutalité impitoyable et innarêtable tandis que les secondes, broyées par la violence, brillent par leur humanité et leur sens du sacrifice.
Ce deuxième point est largement abordé dans les représentations de la barricade données par les deux réalisateurs. Les figures, comme nous l’avons vu plus tôt, de la mort d’un jeune soldat devant son amie et d’un vieux communard abattu et remplacé par sa femme, donnent un caractère quasi lyrique à la scène. Cet aspect est relayé par les témoignages des contemporains de l’époque. Citons, par exemple, Lissagaray : « Derrière leurs fragiles abris, les fédérés reçoivent vaillamment cette avalanche. Que de gens l’histoire a consacrés héros qui n’ont jamais montré la centième partie de ce courage simple, sans effet de théâtre, sans témoins, qui surgit en mille endroits pendant ces journées. Sur cette fameuse barricade du Château-d’Eau, clef du boulevard Voltaire, un garçon de dix-huit ans, qui agite un guidon, tombe mort. Un autre saisit le guidon, monte sur les pavés, montre le poing à l’ennemi invisible, lui reproche d’avoir tué son père. Vermorel, Theisz, Jaclard, Lisbonne veulent qu’il descende; il refuse, continue jusqu’à ce qu’une balle le renverse. Il semble que cette barricade fascine; une jeune fille de 19 ans, Marie M…, habillée en fusilier-marin, rose et charmante, aux cheveux noirs bouclés, s’y bat tout un jour. Une balle au front tue son rêve. Un lieutenant est tué en avant la barricade. Un enfant de 15 ans, Dauteuille, franchit les pavés, va ramasser sous les balles le képi du mort et le rapporte à ses compagnons[5].«
On exalte le courage, une sorte de fascination mêlée de fantasmes entoure la barricade. L’image d’un pianiste jouant devant à la suite du retrait des troupes versaillaises donne encore plus de teneur à cet aspect :
Finalement, l’armée versaillaise qui avait reculé lors du premier assaut, assiège de nouveau la barricade, cette fois-ci en utilisant des canons et réduit à néant la résistance communarde. La scène se conclue sur l’image des cadavres fédérés et sur la joie des bourgeois qui peuvent regagner Paris.
[1] TOMBS, Robert, La guerre contre Paris 1871, Flammarion, 2009, p. 281.
[2] LISSAGARAY, Prosper-Olivier, Histoire de la Commune de 1871, Bruxelles, Henri Kistemaeckers, 1876. Edition augmentée, Paris, librairie E. Dentu, 1896. Petite collection Maspero, 1969, p. 355.
[3] TOMBS, Robert, op. cit., p. 266.
[4] ROL-TANGUY, Henry, « Les aspects militaires de la Commune », publié dans Le bulletin de l’association des amis de la Commune de Paris, deuxième trimestre 2003, n°18, consulté le 11 avril 2014, http://www.commune1871.org/?Les-aspects-militaires-de-la
[5] LISSAGARAY, Prosper-Olivier, op. cit., p. 355.