La renaissance des campagnes

Vincent Grimault livre un ouvrage bienvenu et particulièrement stimulant intitulé « la renaissance des campagnes ». Loin des discours binaires opposant la France des métropoles à la France périphérique, il propose une enquête approfondie au sein des campagnes françaises, pour en montrer leurs fragilités mais aussi leurs forces.

Après un premier chapitre qui montre la difficulté à définir le monde rural, sa diversité, ainsi que la nécessité de le penser en articulation avec le monde urbain, trois chapitres s’organisent autour de l’histoire singulière d’un ou de plusieurs terrain d’études : le chapitre deux se focalise sur les campagnes fragiles et les exemples de Saint Flour, Saales et Brioude, le chapitre trois sur la renaissance des campagnes et l’exemple de la vallée de la Drôme, le chapitre quatre sur les campagnes productives et les exemples des Herbiers et d’Albi. Le chapitre cinq cherche enfin à identifier les ingrédients de la réussite des territoires, l’auteur insistant notamment sur la qualité de la gouvernance locale, la capacité des acteurs à valoriser des ressources locales spécifiques, ou encore la qualité de l’accompagnement public.

L’une des forces indéniables de l’ouvrage tient au fait que Vincent Grimault appuie son argumentation sur un ensemble large de matériaux complémentaires :  les statistiques disponibles, les résultats des travaux académiques des économistes, géographes ou urbanistes, complétés par des entretiens auprès de chercheurs spécialistes du sujet, des enquêtes approfondies sur les différents terrains choisis nourries là encore d’entretiens auprès d’acteurs, le tout restitué dans un style clair et efficace.

L’un des autres intérêts de l’ouvrage tient au fait qu’il fourmille de mille « petites histoires », d’entreprises, d’individus, de territoires, que l’auteur met en perspective pour monter en généralité. A la lecture, on découvrira notamment les secrets de la renaissance de la lentille blonde à Saint-Flour, les raisons du succès plus probant du Comté par rapport à celui du Cantal, les ressorts du miracle vendéen, et bien d’autres choses encore.

L’ouvrage est résolument optimiste et il est vrai que son contenu nous y invite : y compris dans les campagnes fragiles, il se passe des choses passionnantes, initiées par des acteurs créatifs. Nul doute qu’il passionnera les personnes intéressées par le monde rural, plus généralement par la vie économique des territoires.

Jean Viard, nouveau revendeur de Came

Je sillonne actuellement les territoires français (prochaine date à Bordeaux le 16 octobre), pour présenter l’analyse de ce que nous avons appelé la mythologie CAME (acronyme de Compétitivité, Attractivité, Métropolisation, Excellence) dans le texte co-écrit avec Michel Grossetti.

Dans la partie consacrée au recensement des “revendeurs de Came”, j’ai ajouté une diapositive sur Jean Viard, suite à la lecture du texte publié par la Fondation Jean Jaurès en mai dernier, intitulé “Pour une politique disruptive du territoire : vers un nouveau pacte territorial national”. Il faut dire qu’on y trouve plusieurs formules savoureuses.

Pour rappel, dans notre texte, nous expliquons que différents chercheurs et think tank considèrent que l’avenir de la création de richesses et d’emplois se trouve désormais dans quelques métropoles, qui attirent les “talents”, les “créatifs”, les “startups”,  à la base des innovations de demain. Il convient donc de soutenir ces métropoles et, en leur sein, les personnes ou organisations “excellentes”, afin de renforcer la compétitivité de notre pays.

L’analyse diffère sur ce que peuvent bien devenir les territoires hors métropoles : pour certains, ce n’est pas un problème, le supplément de croissance obtenu grâce aux métropoles permettra de collecter plus d’impôts et donc de solvabiliser les transferts sociaux à destination des “immobiles” de la périphérie (Cf. Askenazy et Martin dans leur note pour le CAE ou la tribune de Geoffard dans Libération qui appelle l’élite métropolitaine à consentir à l’impôt – les références précises sont dans notre texte). Pour d’autres, les territoires non métropolitains doivent se spécialiser dans l’activité dite présentielle pour servir l’élite qui vient se reposer le week-end, pendant leurs vacances, ou lors de son passage à la retraite (Davezies et Pech dans leur analyse des systèmes productivo-résidentiels). Pour d’autres encore, il conviendrait de mieux connecter la périphérie aux métropoles pour assurer leur ruissellement (c’est ce qu’aimerait France Stratégie, même si le ruissellement n’est pas au rendez-vous, comme le montre l’étude commandée à Nadine Levratto et ses collègues).

Jean Viard s’inscrit plutôt dans le deuxième courant, et il n’y va pas par quatre chemins. Il affirme d’abord :

Notre société est entraînée par une révolution numérique, collaborative et culturelle qui regroupe l’innovation, la mobilité, la liberté individuelle et la richesse dans une classe créative souvent concentrée au cœur des très grandes métropoles. Là sont produits 61 % du PIB français.

Je ne sais pas où il a trouvé ce chiffre de 61% du PIB français concentré au cœur des très grandes métropoles : au mieux, on dispose du PIB à l’échelle des régions (Eurostat le publie aussi à l’échelle des départements, ce que l’Insee refuse de faire en France car cela pose de sérieux problèmes méthodologiques). Et même la régionalisation du PIB, opérée sur la base des salaires versés, interdit d’en faire un indicateur de performance économique, comme expliqué ici ou .

Il poursuit ensuite sur le rôle dévolu aux autres territoires :

La lumière a basculé vers les métropoles, et le hors-métropoles est au bord de la révolte politique populiste (sic). (…) Le fait d’être délaissés va favoriser le rôle de ces territoires dans la production de forêt, d’air et d’eau purs, de produits agricoles de qualité et de modes de vie « paisibles »

Sur l’interprétation du vote suite aux différentes élections, nous avions expliqué dans une tribune pour le Monde l’importance des effets de composition dans les résultats obtenus, qui mettent à mal cette prétendue opposition entre urbain et rural. Dans une autre tribune pour le Monde, Frédéric Gilli a montré que les résultats étaient beaucoup moins marqués qu’on l’imagine. Sur la suite, on retrouve en sous-jacent l’analyse productivo-résidentielle : territoires périphériques, bossez sur un joli cadre de vie, que l’élite métropolitaine vienne se reposer chez vous.

Jean Viard innove cependant sur un point, car je n’avais encore jamais vu passer une telle proposition. Soucieux que tous les territoires aient un “droit à la métropole”, il préconise notamment en fin de texte :

Les départements sans métropole pourraient construire des cités universitaires dans les métropoles pour leurs jeunes.

C’est bien connu : étudier dans une université située dans une grande métropole fait que l’on est beaucoup mieux formé que dans des universités hors métropole. Universités de Poitiers, Pau, Limoges (pour ne parler que de la Nouvelle-Aquitaine), vous qui n’êtes pas situées dans une métropole, fermez vos portes et investissez dans Bordeaux, si vous voulez sauver vos jeunes.

Un nouveau revendeur de Came, donc, avec, point essentiel, aucun élément de preuve en appui à ses affirmations.

Les métropoles ruissellent moyen…

France Stratégie et le CGET viennent de publier une note intitulée « Dynamique de l’emploi dans les métropoles et les territoires avoisinants », coécrite par Boris le Hir et Cécile Altaber, issue d’un travail de recherche mené par Marc Brunetto, Denis Carré, Nadine Levratto et Luc Tessier du laboratoire EconomiX (rapport complet disponible ici).

Le sujet est d’actualité : face aux contestations du discours pro-métropolitain, certains nuancent le propos et aimeraient bien montrer que soutenir les métropoles ne serait pas en défaveur des autres territoires.

Davezies et Pech (2014) en parlaient déjà dans leur note, avec leur notion de système productivo-résidentiel : en gros, le productif dans les métropoles, le résidentiel dans leur hinterland pour que les actifs des grandes villes aillent passer leur week-end, faire du tourisme et/ou se reposer lors du passage à la retraite. Pour Askenazy et Martin (2015), les autres territoires ne seraient pas lésés par un soutien accru à quelques métropoles, la croissance supplémentaire obtenue grâce à ce type de politique permettant de solvabiliser les transferts sociaux qu’on leur accorderait. D’autres enfin se disent que, même côté productif, les autres territoires peuvent en profiter, s’ils font l’effort de se connecter aux métropoles, afin de bénéficier de leur ruissellement.

C’est bien gentil tout ça, mais on manque d’éléments de preuve, d’où l’étude commanditée à Economix. Et les résultats montrent que ça dégouline ruisselle moyen.

Premier résultat, qui ne vous surprendra pas, fidèles lecteurs : si en moyenne le paquet des 13 métropoles étudiées bénéficie d’une croissance de l’emploi supérieure à la moyenne (1,4% contre 0,8% sur 2009-2014), cette moyenne masque de fortes disparités. Quelques métropoles sont très dynamiques, d’autres ont une croissance moyenne, d’autres sous-performent (ce qui rend cocasse en passant la formule des auteurs de la note de France Stratégie et du CGET, qui indiquent que « la dynamique métropolitaine est évidente » pour signaler immédiatement après que en fait non. Ce n’est pas dit comme cela dans le rapport des chercheurs. On résout comme on peut ses problèmes de dissonance cognitive…).

Deuxième résultat, le plus important : sur les effets d’entrainement, c’est un peu le bazar… La dynamique de Lyon, Nantes et Aix-Marseille semble profiter aux territoires voisins ; pas d’effet sur Lille, Toulouse et Montpellier ; dynamique inversée (les territoires voisins croissent plus vite que la zone métropolitaine) sur Grenoble et Strasbourg ; mauvaise dynamique partout sur Rouen et Nice. Je veux bien qu’on parle de modèle métropolitain après ça…

J’ai souligné le mot « semble » dans le point ci-dessus, car l’analyse menée par les chercheurs est une analyse statistique/économétrique qui teste l’existence de corrélations spatiales. En gros, il s’agit de voir si la croissance d’un territoire est significativement liée, du point de vue statistique, à la croissance des territoires voisins. On a vu le résultat : ça dépend.

Mais au-delà, comme toujours, corrélation ne veut pas dire causalité (ce sur quoi les auteurs alertent, d’ailleurs, mais j’imagine que certains vont lire trop vite). Une relation même positive peut indiquer qu’un territoire non métropolitain tire sa croissance de la métropole voisine, ou bien que c’est la métropole qui tire une partie de sa croissance des territoires voisins, ou bien encore qu’une variable cachée (le contexte macro-régional par exemple, comme signalé par les auteurs) agit favorablement sur les deux, ou bien que la dynamique des deux territoires considérés va dans le même sens mais pour des raisons différentes (Nantes et le bocage vendéen vont tous les deux biens, je ne pense pas que ce soit en raison d’une quelconque interdépendance).

Bref, une étude bien faite, aux résultats conforment à ce que j’observe (il n’y a pas de modèle), qui appelle surtout à d’autres recherches plus qualitatives pour identifier la nature des interdépendances territoriales et leur diversité. Si elle peut permettre d’éviter de tomber dans une nouvelle mode, c’est bien…

En dehors des Métropoles, point de salut ? Une analyse critique de la note de France Stratégie

France stratégie vient de publier une note intitulée “Dynamiques de l’emploi et des métiers : quelles fractures territoriales?”, sous la plume de Frédéric Lainé. L’auteur exploite des données sur l’emploi des 25-54 ans sur longue période et montre que sur la période la plus récente (2006-2013), les “métropoles”, c’est à dire Paris et le paquet des 12 plus grandes villes de province, connaissent une croissance positive, alors que les autres tranches de taille d’aires urbaines régressent. D’où la première phrase de la note : “Le début du XXIe siècle est marqué par un mouvement de concentration de l’emploi dans une douzaine de métropoles françaises”. La messe est dite, la presse s’en est emparée, titrant en gros qu’en dehors de cette douzaine de métropoles, point de salut.

Le contenu est pourtant plus nuancé que ce que la presse en a retenu, mais encore fallait-il lire jusqu’au bout : Frédéric Lainé montre notamment l’importance des effets de structure dans ces évolutions (les métropoles sont tirées par la croissance plus rapide des métiers de cadre, plus présents en leur sein), il explique aussi que les métropoles sont un ensemble hétérogène, et que d’autres effets comptent, notamment l’existence d’effets macro-régionaux.

Passons sur cela, revenons à l’affirmation initiale : en dehors d’une douzaine de métropoles, point de salut ? Non, je vous propose de le montrer en quelques chiffres.

J’ai récupéré sur le site de l’Insee l’emploi total par commune pour 2008 et 2013, ainsi que l’emploi correspondant aux fonctions dites métropolitaines (conception-recherche, culture-loisir, gestion, commerce inter-entreprises, prestations intellectuelles) et parmi elles les emplois de cadre. J’ai agrégé cela par Aire Urbaine (771 aires urbaines), puis j’ai fait quelques calculs.

Si l’on raisonne par paquets d’Aires Urbaines comme le fait l’auteur, effectivement, Paris et les 12 aires les plus grandes ont une croissance positive, les autres une croissance négative ou nulle. Je n’ai pas tout à fait les mêmes résultats car je ne suis pas sur la même période (2008-2013 contre 2006-2013) et pas tout à fait la même population (ensemble des actifs pour moi, 25-54 ans pour lui), mais c’est qualitativement similaire : la croissance de l’emploi France entière a été de 0,8%, elle a été de 1,3% pour Paris, 3,2% pour les 12 métropoles, 0,02% pour les Aires de 50 000 à 200 000 emplois et -1,6% pour les Aires de moins de 50 000 emplois.

Sauf que ce sont des moyennes et que raisonner sur des moyennes conduit à dire beaucoup de bêtises : certaines des 12 métropoles sont dynamiques, d’autres moins. Certaines des aires de taille inférieure sont dynamiques, plus que nombre de métropoles, d’autres moins.

Regardons le sous-ensemble des aires de plus de 50 000 emplois, soit les 68 aires urbaines les plus grandes, et voyons quelles sont les vingt plus dynamiques (les “métropoles” sont indiquées par une *) :

Aire urbaine emploi 2008-2013
Douai – Lens* 8.1%
Limoges 7.4%
Toulouse* 6.8%
Montbéliard 6.8%
Nantes* 6.6%
Alès 5.8%
Bordeaux* 5.8%
Lorient 5.4%
Mulhouse 5.3%
Chambéry 4.6%
Lyon* 4.5%
Grenoble* 4.0%
Poitiers 3.7%
Quimper 3.3%
Beauvais 3.2%
Valence 3.0%
Périgueux 2.9%
Lille (partie française)* 2.7%
Saint-Quentin 2.6%
Annecy 2.4%

Ce n’est pas parce que en moyenne les aires comprises entre 50 000 et 200 000 emplois ont une croissance nulle que chacune connaît une croissance nulle, comme on le voit…

A contrario, comme indiqué dans la note, la croissance moyenne des 12 métropoles masque des disparités : baisse de l’emploi de 0,8% sur Nice et de 0,7% sur Rouen ; croissance inférieure à la moyenne pour Strasbourg (+0,1%) et pour Toulon (+0,2%), juste au dessus de la moyenne pour Tours (+0,9%). Cinq métropoles sur douze patinent, on a fait mieux comme modèle générique de développement…

Idem si l’on restreint l’analyse aux cadres des fonctions métropolitaines. Leur croissance a été France entière de 10,6%, 9,3% sur Paris, 15,9% sur les 12 métropoles et 8,6% sur les aires de 50 à 200 000 emplois. Mais de 26,1% à Niort, qui truste la première place, ou 22,4% à Lorient, troisième derrière Douai-Lens, tandis qu’elle n’est que de 6,7% à Nice, 7,2% à Rouen ou 7,6% à Strasbourg.

Pour identifier plus rigoureusement l’existence éventuelle d’un effet taille des métropoles, il convient de passer à l’économétrie. Résultat des courses : pas d’effet taille significatif si l’on raisonne sur l’ensemble de l’emploi ou sur l’emploi des fonctions métropolitaines. Effet faiblement significatif (au seuil de 5% mais pas au seuil de 1%) pour le sous-ensemble des cadres des fonctions métropolitaines, mais les différences de taille n’expliquent alors que moins de 5% des différences de taux de croissance. Résultats conformes à ceux obtenus sur la croissance de l’emploi privé, voir cet article pour des détails.

Bref, il y a un salut en dehors des métropoles, et évitez de raisonner sur les moyennes pour ne pas dire trop de bêtises…

Taille des villes et performances économiques : une légende urbaine

city-35002_960_720Mondes Sociaux vient de mettre en ligne un article co-écrit par Michel Grossetti, Benoît Tudoux et moi-même, qui synthétise certains de nos travaux récents sur la question. Vous pouvez le lire en cliquant ici, allez y jeter un œil ne serait-ce que pour les illustrations !

J’aurai l’occasion d’en parler et d’en débattre au Printemps de l’Economie, lors d’une table ronde organisée par l’OFCE, jeudi 14 avril prochain, à laquelle participeront Guillaume Allègre, Xavier Timbeau et Laurent Davezies. Tous les détails sont ici. (Je participe également à deux autres tables rondes : mardi 12 matin sur le thème “quel territoire économique en dehors des périmètres institutionnels?” et mardi 12 après-midi sur le thème “comment favoriser l’innovation sur les territoires?”).

On voit des métropoles partout, sauf dans les statistiques

Nouvelle livraison pour alimenter le débat sur la métropolisation ! L’article co-écrit avec Michel Grossetti a en effet plutôt bien diffusé, il nous semble que notre critique de l’indicateur PIB régional par habitant est globalement acceptée, mais certains chercheurs nous opposent d’autres arguments. Pierre Veltz, par exemple, dans un entretien pour la revue L’Economie Politique (€), reconnaît dans un premier temps le problème :

le PIB régional est un concept qui soulève de nombreux problèmes, qui s’ajoutent à ceux du PIB en général. Où situer, par exemple, la valeur ajoutée produite par une entreprise comme Renault ? Le Technocentre, avec ses salaires élevés, contribue évidemment au PIB de l’Ile-de-France ; mais cette valeur ajoutée n’existerait pas sans les usines de production situées en province ou à l’étranger. La notion de PIB local, dans une économie aussi interconnectée que la nôtre, est artificielle. Par ailleurs, PIB élevé veut dire surtout, en pratique, salaires élevés. Les économistes orthodoxes diront que le salaire élevé récompense une productivité marginale élevée ! Mais le raisonnement est circulaire. On sait bien que la formation des salaires obéit à des normes et des rapports sociaux autres qu’une « productivité marginale » impossible à mesurer. Au total, la valeur ajoutée n’est pas localisable : elle est dans le réseau (pp. 17-18).

Il renvoie cependant, dans le même entretien, à d’autres arguments avancés par Davezies et Pech (2014) résultant de l’exploitation des données sur l’emploi salarié de l’Acoss, pour la période 2008-2012, par Aire Urbaine et par commune et affirme :

Cela dit, et c’est l’essentiel, il y a bien d’autres indicateurs de la force et des effets positifs de la métropolisation que le PIB : la concentration de la qualification, celle de l’emploi… La dynamique récente est à la concentration des créations d’emplois dans les zones métropolitaines (p. 18)

Dans une interview pour Xerfi Canal, il reprend le même argument.

Nous avions pour notre part montré l’absence d’effet taille à l’échelle des zones d’emploi, sur la période 1999-2011, mais le problème est que la comparaison de nos résultats avec ceux de Davezies et Pech (2014) est rendu difficile pour trois raisons : i) le zonage géographique n’est pas le même (zones d’emploi vs. aires urbaines), ii) la variable retenue n’est pas la même (ensemble des actifs occupés vs. emplois salariés privés), iii) la période d’étude n’est pas la même (1999-2011 vs. 2008-2012).

Nous avons donc décidé de mobiliser les mêmes données que ces auteurs, sur la période la plus récente disponible (2009-2014) pour éprouver la validité de leurs conclusions. Résultat? Leurs conclusions sont invalidées, ce qui s’explique notamment par un sévère problème de méthode dans l’analyse déployée. Une analyse rigoureuse montre qu’on ne peut conclure à un avantage général des métropoles en matière de création d’emplois sur la période d’étude.

Notre article vient d’être publié sur Hal, vous pouvez le télécharger en cliquant sur ce lien. As usual, toute remarque est la bienvenue !

Note CAE de P. Askenazy et P. Martin : les bras m’en tombent…

brasLes économistes me font peur lorsque, sur la base des résultats de quelques articles économétriques, ils en tirent des implications excessives et préconisent des mesures de politique publique contestables. C’est ce que viennent de faire Philippe Askenazy et Philippe Martin dans la note n°20 de février 2015 du Conseil d’Analyse Economique, note intitulée de manière coquasse « Promouvoir l’égalité des chances à travers le territoire ».

Je vous le fais court : la nouvelle économie géographique montre qu’il existe des effets d’agglomération, doubler la densité d’emploi permettrait de gagner de 2 à 10% en termes de productivité. Il faut donc arrêter de vouloir que l’activité économique soit répartie sur le territoire, mais plutôt mettre le paquet sur Paris et éventuellement quelques autres métropoles pour assurer la croissance de la France. Le problème est que ces métropoles souffrent d’effets de congestion conduisant notamment à un foncier trop cher. Il faut donc arrêter de construire des LGV entre les villes ou autres choses du même acabit et investir massivement dans les métropoles pour éviter ces effets de congestion.

Quid des autres territoires ? Pas de problème : en concentrant massivement dans quelques métropoles, je vous dis pas comment on va faire de la croissance, ce qui permettra de solvabiliser les transferts sociaux. On redonnera un peu de sous aux pauvres hors métropoles, quoi. Et puis quand même, pour « promouvoir l’égalité des chances », il faut faire des choses pour que les pauvres hors métropoles puissent s’y rendre et occuper des emplois, en développant notamment des lignes d’autocars et en mettant de la concurrence dans le secteur des auto-écoles.

Les bras m’en sont tombés…

Qu’est-ce qui ne va pas dans leur raisonnement, me direz-vous ? Beaucoup de choses, je fais court, là aussi.

La première partie de leur argumentation reprend très largement les analyses de Davezies, dont nous avons montré ailleurs qu’elles souffrent de nombreuses faiblesses. Les auteurs font « comme si » le PIB par habitant était un bon indicateur de la productivité des régions, reprennent le graphique de Davezies et Pech (2014) en nuançant leur conclusion (ils ne parlent pas de creusement des disparités mais de « l’arrêt de la convergence des PIB par habitant régionaux ») et proposent une histoire longue de la géographie productive.

Le problème est que le PIB par habitant, à l’échelle des régions, est un très mauvais indicateur de productivité. Il dépend certes en partie de la productivité apparente du travail, mais aussi des taux d’emploi, des taux d’activité, de la proportion de travailleurs transfrontaliers ou interrégionaux, des comportements de mobilité, etc. A titre d’illustration, une bonne part de l’écart entre le PIB par habitant de l’Ile-de-France et celui des autres régions tient au fait que les actifs d’Ile-de-France passent leur retraite hors de la région capitale ; une autre part s’explique par le fait que les PIB régionaux sont régionalisés sur la base des masses salariales et que Paris concentre certaines activités à très haut revenu (cadres de la banque et de la finance, cadres des états-majors des grands groupes, artistes, …). Autres exemples, si la Lorraine a un PIB par habitant inférieur à la moyenne, c’est pour une bonne part en raison du poids des travailleurs transfrontaliers ; en Languedoc-Roussillon, c’est notamment en raison du taux de chômage plus élevé qu’ailleurs.  Occulter ces autres déterminants biaise considérablement l’analyse. Les intégrer permet de montrer que, à l’échelle des régions, les écarts de productivité intrinsèque sont statistiquement non significatifs.

La deuxième partie, essentielle pour leur propos puisque c’est d’elle qu’ils tirent l’impérieuse nécessité de tout concentrer dans quelques métropoles, présente les résultats de quelques études empiriques s’inscrivant dans le cadre de la nouvelle économie géographique, études qui mobilisent des données françaises et européennes. Les travaux cités montrent, comme je l’ai dit, l’existence d’effets d’agglomération statistiquement significatifs : il conviendrait de doubler la densité d’emploi pour gagner de 2 à 10% en termes de productivité ou de salaire.

Sauf que si les effets sont significatifs, leur ampleur peut être considérée comme relativement faible. Doubler la densité d’un territoire correspond à une transformation non négligeable de la géographie des activités, ceci pour un gain en terme de productivité relativement modeste. Investir dans la formation des personnes semble une option stratégique beaucoup mieux adaptée.

Sauf que, ensuite, ce que nous disent ces travaux, c’est que oui, il existe des déterminants économiques qui expliquent en partie le fait urbain (il existe bien d’autres déterminants, soit dit en passant, qui expliquent la géographie française…). Mais entre dire « il existe des villes et elles procurent certains avantages économiques aux entreprises qui y sont localisées » et « Paris est l’horizon indépassable de la croissance économique française », vous avouerez qu’il y a un grand pas que je ne préfère pas franchir…

Il y a un autre point particulièrement problématique dans leur argumentation. Ils expliquent dès le premier paragraphe l’importance de distinguer deux échelles d’analyse : une échelle fine, entre et au sein des communes, où l’on observe des inégalités de revenu croissantes, et une échelle macro-territoriale (région, département, aire urbaine), entre lesquelles les inégalités de revenu sont décroissantes. C’est cette dernière qui constituerait l’échelle pertinente pour penser la croissance, c’est donc elle qu’ils retiennent dans leur analyse. Ils pensent ensuite démontrer l’intérêt d’une forte concentration de l’activité économique dans les métropoles, mais à aucun moment n’est posée la question du lien entre concentration géographique de l’activité et évolution des inégalités de revenu au sein de ces agglomérations.

Il me semble pourtant que c’est au sein de grandes métropoles, à commencer par Paris, que l’on observe quelques menus problèmes d’inégalités de revenu, de ségrégation spatiale et autres joyeusetés… Qu’à cela ne tienne : « les questions relatives aux ségrégations urbaines (…) sont renvoyées à des travaux ultérieurs » (sic). Bref, on concentre tout sur Paris et quelques métropoles, on investit pour y éliminer les effets de congestion, on redonne des sous aux pauvres qui ne sont pas dans les métropoles, on leur fait passer le permis ou on les fait monter dans des autocars. Si jamais tout ça accentue les problèmes de ségrégation urbaine et d’inégalités de revenu au sein des métropoles, eh bien… on verra plus tard ! (C’est là que mon premier bras est tombé…).

Le plus curieux, dans l’histoire, c’est que même si l’analyse générale proposée souffre de très sérieuses limites, certaines des recommandations me semblent intéressantes. Sans doute du fait qu’elles sont compatibles avec d’autres schémas d’analyse de la géographie des activités. La recommandation 1, qui propose de réorienter la politique du logement sur les zones en tension (zones très denses) semble ainsi tout à fait recevable. En passant, c’est déjà en partie le cas : la Caisse des Dépôts et Consignation collecte l’épargne sur livret partout en France et investit dans le logement social sur les territoires en tension, l’épargne du Cantal et de la Lozère finance ainsi l’investissement dans le logement social de Seine-Saint-Denis, et c’est très bien. La recommandation 2, qui préconise de réduire les effets de congestion dans les grandes villes, est également tout à fait louable, c’est un problème évident des zones densément peuplées. Mais, j’insiste, proposer de régler ce problème peut se faire sans considérer que la croissance doit passer exclusivement par les métropoles. Une idée à la mode n’est pas nécessairement une bonne idée, c’est même parfois une très mauvaise idée…

Pour finir, je signale à tous ceux qui sont obsédés par cette idée qu’il faut concentrer, tout concentrer, encore plus concentrer géographiquement, que de nombreux pays de niveau de développement comparable à la France (Allemagne, pays du Nord de l’Europe, Espagne, Italie, …) présentent des structures urbaines moins déséquilibrées que la structure française, qui comme le Royaume-Uni, se caractérise par une hypertrophie de la région capitale. C’est le produit d’une histoire longue propre à chaque pays, mais c’est le signe aussi que la géographie de la croissance peut prendre une diversité de forme. Croire que la seule solution pour faire de la croissance en France consiste à renforcer encore l’hypertrophie francilienne est particulièrement désolant et non fondé scientifiquement.

Interview pour la Tribune : la fausse promesse économique des métropoles

Jean-Pierre Gonguet, journaliste à La Tribune, m’a interrogé longuement mardi dernier après avoir lu le texte co-écrit avec Michel Grossetti. Il vient de poster sur le site du journal l’article qu’il en a tiré. Vous y découvrirez quelques éléments empiriques complémentaires sur “l’effet Piketty”, sur lequel nous commençons à travailler pour préciser certaines choses. Cliquez ici pour lire l’article.