Covid 19, épisode 15 : la mal-nommée “distanciation sociale”

Une des choses qui m’a surpris au début de l’épidémie, c’est l’emploi de l’expression “distanciation sociale”. Je trouve l’expression un peu pédante et obscure pour le commun des mortels, je me demande bien qui l’a proposée initialement.

Twitter me dit qu’on utilise pourtant l’équivalent en anglais (social distancing), en allemand (Soziale Distanzierung), en espagnol (distancia social), en polonais (Dystansowanie społeczne), en russe (социальная дистанция), …, mais en italien on fait plus simple avec l’expression distanza di sicurezza. Puisque l’idée est de dire qu’il faut respecter une distance d’un mètre cinquante entre les individus, parler de “distance (ou distanciation) physique”, ou de “distance de sécurité” m’aurait semblé plus simple et plus clair.

Il y a une autre raison plus fondamentale (déjà relevée par mes collègues et amis Jérôme Vicente sur twitter et Michel Grossetti sur Facebook) qui plaide pour une autre formulation : distinguer la distance physique de la distance sociale permet de mieux qualifier notre rapport aux autres et de mieux raconter ce qui se joue en ce moment. On peut ainsi considérer que nous sommes plus ou moins proches physiquement de certaines personnes : je suis proche de mon voisin de pallier en ce sens, et loin de ma fille qui habite à Bologne.  C’est l’inverse en revanche en termes de distance sociale : je suis proche de ma fille socialement (un lien familial nous unit) et loin de mon voisin de pallier à qui je me contente de dire bonjour quand nous nous croisons.

A ce titre, on observe plusieurs phénomènes intéressants en ce moment. Le confinement nous pousse d’abord, me semble-t-il, à prendre plus souvent des nouvelles des gens qui nous sont les plus proches socialement (liens familiaux, liens amicaux), plus souvent que lors des périodes hors confinement. Autrement dit nous cultivons nos liens forts. A l’inverse, nous n’entretenons pas ou peu nos liens plus faibles, avec nos voisins de bureau par exemple.  Il fait aussi que des voisins qui initialement s’ignoraient (ils n’étaient proches qu’en termes de distance physique) se mettent à interagir  : un individu propose à ses voisins d’acheter le pain, on discute de balcon à balcon, on joue ensemble, …, bref, ils se rapprochent du point de vue social. Une des questions intéressantes à ce titre est de savoir si ce nouveau lien social va survivre ou non à la fin du confinement. Dans d’autres cas encore, quand une personne demande à son voisin infirmier d’aller habiter plus loin, c’est la défiance qui s’installe (va-t-elle également perdurer ?).

Au final, le mot d’ordre aurait dû être de garder ses distances physiques mais de se rapprocher socialement pour affronter de manière mieux coordonnée l’épidémie…