Des métropoles plus performantes ? Petit bilan du monde d’avant

Je suis régulièrement interrogé sur la dynamique des territoires avant crise et après-crise, la question de la dynamique comparée des métropoles, des villes moyennes et du rural revenant régulièrement sur la table. Dans l’esprit de beaucoup des personnes qui m’interrogent, le monde d’avant était celui du triomphe des métropoles, la question étant de savoir si ce sera toujours le cas dans le monde d’après, ou bien si l’on va assister à la revanche des villes moyennes, ou du rural, etc.

Ce faisant, je commence souvent par rappeler que non, le monde d’avant n’était pas synonyme de triomphe des métropoles, que c’était plus compliqué que cela, et que cela devrait continuer à être plus compliqué que ce que certains voudraient, qu’il convient de rejeter les « modèles à une variable » censés tout expliquer du monde qui nous entoure.

Cela m’a donné envie de rédiger un petit billet, pour faire le point sur la situation relative des métropoles juste avant la crise, pour savoir d’où l’on part, sur la base de l’analyse statistique de quelques indicateurs : 1) le taux de croissance de la population, 2) la composante naturelle du taux de croissance de la population, 3) la composante migratoire du taux de croissance de la population, 4) le taux de croissance de l’emploi, 5) le taux de chômage.

J’ai utilisé à chaque fois les données du recensement, les deux derniers comparables disponibles, à savoir le recensement millésime 2018 et le recensement millésime 2013. Pour rappel, le recensement se fait au 1/5 chaque année, donc le recensement millésime 2013 couvre la période 2011-2015 et le recensement millésime 2018 couvre la période 2016-2020 (le début de l’année à chaque fois). C’est donc la période début 2011- début 2020 qui est couverte par ces données.

Chaque observation correspond à un EPCI (un Etablissement Public de Coopération Intercommunal, soit une intercommunalité en langage courant) : les 22 métropoles, les 14 communautés urbaines, les 221 communautés d’agglomération et les 992 communautés de communes, soit 1249 EPCI France entière (hors Mayotte).L’ensemble de ces données est disponible librement au téléchargement, par exemple sur le site de l’observatoire des territoires, à cette adresse.

Comment analyser la situation des métropoles ? La méthode la plus simple consiste à calculer la moyenne des indicateurs pour l’ensemble des métropoles, à la comparer à la moyenne pour l’ensemble des territoires, puis de conclure. Certes mais danger, comme expliqué à maintes reprises : la moyenne d’une catégorie peut masquer des différences fortes au sein de la catégorie, il convient donc de regarder d’une façon ou d’une autre si ces différences de moyenne ont du sens.

Commençons par calculer les moyennes :

moyenne des indicateurs pour les 22 métropoles et pour l’ensemble des EPCI

Il s’avère qu’en moyenne, les métropoles ont une croissance démographique supérieure, qui s’explique par un solde naturel plus grand, qui fait plus que compenser le solde migratoire inférieur (et même négatif). Le taux de croissance de l’emploi est également supérieur, et le taux de chômage inférieur. Tout les indicateurs semblent au vert pour les métropoles, si ce n’est le solde migratoire (ce qui n’est pas rien, soit dit en passant, les métropoles étant censées tirer leur force de leur plus grande attractivité).

Mais ces différences de moyenne ont-elles du sens ? Pour en juger, étant donné que ce qui nous intéresse, ce sont les 22 métropoles, le plus simple est de regarder les données pour chacune d’entre elles, et de voir comment elles se situent par rapport à ces moyennes. : sur les 22 métropoles, 10 ont un taux de croissance inférieur au taux de croissance moyen, 6 un solde naturel inférieur, 10 un solde migratoire inférieur, 7 un taux de croissance de l’emploi inférieur et 8 un taux de chômage supérieur.

nombre de métropoles dont la situation est moins bonne qu’en moyenne

Il ne s’agit pas d’une ou deux exceptions, mais d’un nombre importants de cas, qui font qu’on ne peut pas dire que les métropoles sont plus “performantes” que les autres territoires sur l’un de ces indicateurs. Tout ce que l’on peut dire, c’est que certaines métropoles sont plus “performantes” que la moyenne et d’autres non (et c’est vrai des autres catégories de territoires).

En complément, on peut regarder, dans l’ensemble des 22 métropoles, combien sont plus “performantes” sur tous les indicateurs : elles sont au nombre de 6, il s’agit de Bordeaux, Lyon, Nantes, Rennes, Orléans, Toulouse. Six autres métropoles ont un seul indicateur inférieur à la moyenne (Aix-Marseille, Clermont, Dijon, Montpellier, Strasbourg et Toulon). Deux métropoles sont moins “performantes” pour deux indicateurs (Brest et Paris), deux pour trois indicateurs (Grenoble et Lille), cinq pour quatre indicateurs (Metz, Nancy, Nice, Rouen, Tours) et une métropole pour tous les indicateurs (Saint-Etienne). Très difficile de parler d’avantage économique métropolitain, il n’y a plus que 6 métropoles sur les 22 qui semblent dans les clous.

Une autre façon de juger de l’effet métropolitain consiste à voir ce que cette appartenance explique dans les différences de taux de croissance ou de taux de chômage entre EPCI, en effectuant ce que l’on appelle des tests de comparaison de moyenne. J’ai réalisé ces tests, et j’ai effectué les mêmes pour juger d’un autre élément : l’effet de l’appartenance régionale. Ceci permet de voir si ce qui compte dans les “performances”, c’est plutôt d’être métropole, ou plutôt d’appartenir à telle ou telle région. Ou ni l’un ni l’autre, ou bien les deux.

variance expliquée par le fait d’avoir le statut de métropole et l’appartenance régionale, en % de la variance totale

Résultat des courses ? Le fait d’être métropole plutôt que communauté urbaine, communauté d’agglomération ou communauté de communes explique au mieux 2% des différences territoriales observées, autrement dit pratiquement rien. En revanche, l’appartenance régionale joue : très fortement sur le taux de chômage, fortement sur les soldes naturels et migratoires, et plus faiblement sur le taux de croissance de la population et de l’emploi. Dans tous les cas, les effets régionaux sont très supérieurs aux effets métropoles, comparativement négligeables. Pour le dire autrement, si vous voulez savoir quelque chose de la “performance” d’un territoire, mieux vaut savoir dans quelle région il se trouve, plutôt que de savoir s’il s’agit d’une métropole ou non.

Pour finir je vous propose ci-dessous le tableau complet pour les 22 métropoles, classées de la plus peuplée en 2013 à la moins peuplée. Les cellules surlignées correspondent aux valeurs des indicateurs inférieures à la moyenne pour l’ensemble des territoires, ce qui vous permet de visualiser les variables pour lesquelles les métropoles “sous-performent”.

valeurs de différents indicateurs pour les 22 métropoles instituées et pour l’ensemble des EPCI. En jaune les valeurs inférieures aux moyennes pour les taux de croissance et supérieures à la moyenne pour le taux de chômage

Impact territorial de la crise : la situation à fin décembre 2020

Après une première analyse de la situation par région et zone d’emploi à fin juin 2020 et une deuxième analyse à fin septembre 2020, nous avons réalisé une étude de l’impact territorial de la crise à fin décembre 2020, à partir du même jeu de données, l’emploi privé hors agriculture, et en suivant la même méthodologie : analyse de l’évolution de l’emploi par territoire et par secteur et décomposition de cette évolution pour identifier l’ampleur respective des effets de spécialisation et des effets dits “locaux”.

Cette étude a cette fois été réalisée au sein du groupe “prospective et connaissance territoriales”  de Régions de France. Il s’agit d’une première note, qui a vocation à être suivie par d’autres. Vous pouvez en voir la synthèse et la télécharger ici. Ci-dessous une des cartes du document.

Elle est également disponible sur le portail des territoires, à la rubrique études et prospective, du site de la Région Nouvelle-Aquitaine. Quatre documents relatifs à l’impact économique de la crise sont désormais téléchargeables  :

Nous allons continuer à produire des analyses de cet impact. Prochaine livraison : une analyse à une échelle plus fine, non plus à l’échelle des zones d’emploi mais à celle des EPCI, d’ici fin juin 2021 si tout va bien.

L’impact territorial de la crise : une actualisation

Nous avions produit une première analyse de l’impact territorial de la crise à fin juin 2020, à l’échelle des zones d’emploi,  en exploitant les données de l’Urssaf sur l’emploi privé hors agriculture. Ces données à fin juin étaient disponibles fin septembre. Nous avons actualisé le travail pour évaluer l’impact à fin septembre 2020, à partir des données disponibles fin décembre 2020 sur le site open data de l’Urssaf. Attention dans l’interprétation des résultats  nous travaillons sur le sous-ensemble de l’emploi privé hors agriculture, et le choc sur l’emploi a été fortement atténué par les mesures prises par la puissance publique au sens large, à toutes les échelles territoriales.

Ceci nous a pris un peu de temps, car au-delà de la production de l’analyse, nous souhaitons mettre à disposition des documents de qualité, compréhensible par un public le plus large possible. Un gros travail de définition d’une charte graphique, puis de “traduction” des résultats, d’infographie, …, a donc été réalisé. Le délai pour réaliser la première note a donc été assez long, il fallait que l’on teste différentes choses. Désormais, nous allons être en mesure de produire des documents de ce type rapidement après la production “brute” des notes (merci à Patricia et aux collègues impliqués pour ce qu’ils ont fait, travail remarquable je trouve!).

Trois documents sont désormais disponibles sur le portail des territoires, à la rubrique études et prospective :

S’agissant du fond, sur la dernière note relative à l’impact de la crise à fin septembre, l’idée était de s’interroger sur l’impact de la reprise de l’été. en voici le résumé :

Le troisième trimestre 2020 s’est traduit par une forte reprise, de +1,77% France entière, soit 323 109 emplois privés hors agriculture supplémentaires. Cette reprise ne com-pense pas les pertes des deux premiers trimestres, de plus de 620 000 emplois. Le solde reste donc négatif sur l’ensemble de la période (297 307 emplois en moins), soit un taux de croissance trimestriel moyen de -0,53%, équivalent au taux observé lors de la crise de 2008-2009,

Toutes les régions sans exception ont bénéficié de la reprise, à commencer par les deux les plus touchées au premier semestre, la Corse et PACA. En dehors de ces deux cas, on n’observe cependant pas de relation très forte pour l’ensemble des régions entre la dynamique des deux premiers trimestres et celle du troisième trimestre. La Nouvelle-Aquitaine se situe en 8ème position au T3, alors qu’elle était au troisième rang des régions les moins touchées au premier semestre. Ces évolutions en T3 n’ont pas modifié le classement global des régions lorsqu’on compare le classement des deux premiers trimestres et celui des trois premiers trimestres, la Nouvelle-Aquitaine restant la 3ème région la moins touchée,

A l’échelle des secteurs, on retrouve la même idée : les secteurs ayant le plus souffert au premier semestre ont connu des dynamiques très fortes, notamment l’intérim, l’hébergement-restauration et les « Arts, spectacles et activités récréatives ». En dehors de ces secteurs, on n’observe cependant pas de relation générale très forte entre les évolutions du premier semestre et celle du troisième trimestre. Comme pour les régions, la reprise n’a pas modifié le classement des secteurs sur l’ensemble de la période,

A l’échelle des zones d’emploi, on observe une relation négative plus forte, pour un plus large ensemble de territoires, entre la période 2019T4-2020T2 et 2020T2-2020T3 : les zones d’emploi ayant le plus souffert ont le plus bénéficié de la reprise, les zones d’emploi ayant le moins souffert en ont le moins bénéficié. Ceci est vrai, avec une intensité plus forte, en Nouvelle Aquitaine,

Parmi les zones d’emploi de notre région, Sarlat-la-Canéda demeure une de celles qui a le plus souffert sur l’ensemble de la période, mais Parthenay présente désormais un score plus faible. Marmande reste la zone la moins touchée. Certains territoires (Bayonne, Pauillac, Bressuire et Périgueux) ont connu des dynamiques très favorables, elles se situent désormais parmi les zones les moins touchées. A l’inverse, Parthenay, Pau et Rochefort sont impactées très fortement et reculent nettement dans le classement des zones.

Les analyses structurelle-résiduelle que nous avons menées, à l’échelle des régions comme à l’échelle des zones d’emploi, montrent que les effets locaux dominent toujours les effets structurels. L’effet local positif de la Nouvelle-Aquitaine s’explique pour une bonne part par une dynamique moins défavorable de l’intérim, du commerce et par une dynamique plus favorable de l’industrie agro-alimentaire.

N’hésitez pas à nous faire part de tout retour, sur la forme et sur le fond, à l’adresse suivante : ditp(at)nouvelle-aquitaine(dot)fr

L’impact économique de la crise sur les territoires de Nouvelle-Aquitaine

C’est le titre du premier document produit par le service que je pilote, au sein du Pôle Datar de la Région Nouvelle-Aquitaine. En voici le résumé :

Nous analysons dans ce document l’impact de la crise en nous appuyant sur les données les plus récentes disponibles, relatives à l’évolution de l’emploi privé hors agriculture entre le dernier trimestre 2019 et le deuxième trimestre 2020.

Les points à retenir sont les suivants :

  • France entière, le choc actuel a conduit à la destruction de 638 019 emplois entre fin décembre 2019 et fin juin 2020, soit un rythme trimestriel moyen de  ‑1,71%,  plus de trois fois supérieur au rythme observé lors de la crise de 2008-2009 (-0,54% par trimestre à l’époque),
  • Plus de la moitié des destructions d’emploi est concentrée dans trois secteurs : l’intérim (32,6% des destructions), la restauration (14,1%) et l’hébergement (7,0%). D’autres secteurs, qui pèsent moins dans l’économie mais qui sont particulièrement impactés, relèvent des activités de la culture et des loisirs,
  • La Nouvelle-Aquitaine fait partie des régions relativement moins touchées (2ème région de France métropolitaine la moins impactée), avec une baisse trimestrielle moyenne de 1,54% (44 673 emplois détruits),
  • Les zones d’emploi de Nouvelle-Aquitaine sont touchées de manière différenciée, la baisse trimestrielle moyenne variant de -0,73% pour la zone de Marmande à -4,96% pour celle de Sarlat-la-Canéda, soit un rapport de près de 7 pour 1,
  • La baisse légèrement moins forte en Nouvelle-Aquitaine que France entière s’explique pour partie (pour 13%) par un positionnement sectoriel plus favorable, mais surtout (pour 87%) par des effets dits « locaux » ou « résiduels » positifs,
  • On retrouve l’importance de ces effets locaux, plus que des effets de spécialisation, dans les différences de trajectoire observées à l’échelle des zones d’emploi.

Vous pouvez télécharger le document complet ici. Nous mettons également à la disposition de tout un chacun un fichier excel qui reprend les résultats par secteur, par région et par zones d’emploi.

Nous travaillons actuellement sur d’autres jeux de données pour mesurer l’impact territorial de la crise. Nous travaillons également sur d’autres thématiques, dont je vous ferai part au fur et à mesure. Un espace dédié sur le site de la Région Nouvelle-Aquitaine est en cours de construction, sur lequel nous mettrons à disposition l’ensemble des documents, ainsi que des outils de datavisualisation. Plein de choses passionnantes à venir, donc, en 2021.

L’Université n’est pas en crise

C’est le titre d’un ouvrage co-écrit par deux sociologues, Romuald Bodin et Sophie Orange, qui a vocation à chasser les idées reçues qui circulent sur l’Université et sous-tendent certaines des politiques qui lui sont appliquées. Rue89 résume les six idées démontées par ces chercheurs :

  1. On va à l’Université faute de mieux
  2. Les étudiants n’ont pas de projet professionnel précis
  3. Les bacs pro et techno envahissent la fac
  4. L’Université ne forme que des chômeurs
  5. Les abandons en fin de première année sont un fléau
  6. Une sélection à l’entrée serait préférable

Je vais m’empresser d’acheter l’ouvrage qui me semble particulièrement intéressant et bien documenté (gros travail empirique). Les éléments présentés dans l’article de Rue89 me semblent convaincants, j’émettrai juste une réserve sur le point 3 : certes, les bacs pro et techno n’envahissent pas la fac, ils restent largement minoritaires, mais ceux qui y vont ont des taux de réussite très faibles et côté bac pro, plus de la moitié de ceux ayant demandé un BTS en 1er voeu n’ont pu y accéder, voir le billet que j’avais écrit sur ce sujet, il y a donc une vraie problématique à traiter.

Je vais regarder plus précisément ce qu’ils en disent, note de lecture à suivre!