Petit cours d’économie à l’attention des journalistes du Figaro et du Point qui disent n’importe quoi…

Le Figaro s’est fendu récemment du titre d’article le plus bête du monde : « Selon le FMI, neuf chômeurs français sur dix n’ont aucune chance de retrouver un emploi ». Le Point l’a repris immédiatement. La note du FMI sur laquelle s’est appuyée le Figaro est disponible ici. Elle ne dit pas du tout cela, comme l’explique bien Libération dans cet article.

Comme l’économie est une matière un brin complexe, je vous propose un petit cours, le plus simple possible, pour vous expliquer ce que dit la note, pourquoi le Figaro se trompe, et ce que l’on peut en déduire en matière de lutte contre le chômage.

L’économie française dispose d’un ensemble de ressources potentiellement mobilisables pour produire des biens et services vendus sur les marchés (nationaux et/ou mondiaux) : ressources naturelles, ressources en travail, ressources en capital, connaissances, … Elle se caractérise également par un certain degré de concurrence sur le marché des biens et des services, par certaines règles en matière de fonctionnement du marché du travail et des marchés financiers, par son système de formation, de recherche, par un système juridique, fiscal, social, …, qui influent bien sûr sur les comportements des acteurs. Tout ceci définit les contours de ce que l’on peut appeler les structures de l’économie française.

Compte-tenu de ces structures, on peut calculer la production nationale que l’on pourrait atteindre. Notons-là Y*. Compte-tenu de ce niveau de production potentielle, on peut en déduire un niveau d’emploi L* nécessaire pour l’atteindre, qui, ramené à la population active, permet de calculer un taux de chômage u*. Ce taux de chômage, on peut l’appeler le taux de chômage structurel.

Chaque entreprise ne s’amuse évidemment pas à calculer ce niveau macroéconomique de production pour savoir ce qu’elle va faire : elle s’en moque. Elle cherche plutôt à anticiper ses ventes et décide en fonction de son niveau de production, et donc d’investir ou pas, d’embaucher ou pas, etc. L’agrégation de ces décisions individuelles, les échanges réalisés ensuite sur les marchés, conduisent à la formation de la production non plus potentielle, mais effective. Notons-là Y. On peut déduire de ce niveau de production Y un niveau d’emploi L nécessaire pour l’atteindre, qui, ramené à la population active, permet de calculer un taux de chômage effectif u.

Rien ne garantit que le taux de chômage effectif soit égal taux de chômage structurel. Dans tout un ensemble de cas, en effet, les entreprises se trompent dans leurs anticipations, par exemple suite à une crise, elles ont tendance à se méfier de l’avenir, à investir moins qu’elles ne pourraient, ne serait-ce que par qu’elles « sentent » (ou pensent sentir) que les consommateurs eux-mêmes ont peur de l’avenir et qu’ils consomment moins qu’ils ne pourraient. On observe donc potentiellement un Y<Y* et donc un u>u*. La différence entre u et u* est le chômage que l’on peut qualifier de conjoncturel, résultant de ces inévitables erreurs d’anticipation.

Que dit la note du FMI, alors ?

Que le taux de chômage en France, qui est d’environ 10%, est pour une très large part structurel : le u* de la France serait de 9%. Dit autrement, 90% du chômage français serait d’origine structurelle, 10% d’origine conjoncturelle. C’est pour cela que le Figaro croit pouvoir dire que « 9 chômeurs sur 10 ne pourront jamais retrouver d’emploi ». Mais c’est faux. Éventuellement, on pourrait plutôt dire, si l’on en croit l’analyse du FMI : « 9 chômeurs sur 10 sont au chômage en raison des problèmes structurels de l’économie française ». Le titre du Figaro est sexy et faux, le titre que je propose est moins sexy mais juste. A vous de choisir.

Dire que 90% du chômage est d’origine structurelle, cela signifie que, si on veut le réduire, il faut mettre en place des politiques structurelles afin de faire monter Y* et donc de réduire u*, la note du FMI en listant quelques unes. Si, à l’inverse, le chômage est massivement d’origine conjoncturelle, il faut mettre en place des politiques conjoncturelles afin de rapprocher u de u*.

Prenons l’exemple de la loi El Khomri pour montrer que ces quelques éléments permettent de mieux comprendre les débats entre économistes.

Dans la tribune signée par Piketty et al., défavorable à la loi, le premier argument consiste à dire que la composante conjoncturelle du chômage est importante : la crise a fait passer le chômage en France de 7% à 10%, l’Europe aurait dû mettre en place une politique conjoncturelle (faire de la dépense publique par exemple) pour compenser le faible investissement et la faible consommation privés, ce qu’elle n’a pas fait.

Les autres arguments avancés dans le cadre du débat, ensuite, montrent que les économistes, s’ils reconnaissent tous la nécessité de mettre en place des politiques structurelles, ne sont pas d’accord sur les priorités. La tribune d’Aghion et al. considère que la loi va dans le bon sens en se focalisant sur certaines « règles du jeu » sur le marché du travail, l’autre tribune considère que non, qu’empiriquement il n’y a pas de lien entre protection des salariés et chômage, que le problème se situe plutôt côté système de formation et marché du logement. L’essentiel des débats entre économistes se situent là, d’ailleurs, quels que soient les sujets : quelles sont les politiques structurelles à mettre en œuvre en priorité ?

Je préconise une autre réforme structurelle, qui ne changera pas la face du monde, certes, mais qui ne serait pas inutile : renforcer l’enseignement de l’économie dans les formations suivies par notre élite politique et médiatique…