Géographie des taux de chômage : entre inertie et mobilités

Je participe lundi après-midi à une table ronde intitulée “Quelles politiques pour favoriser l’activité et l’emploi partout en France ?” dans le cadre du colloque annuel du Conseil d’Orientation pour l’Emploi “Emploi et Territoires”. L’occasion d’échanger côté chercheurs avec Etienne Wasmer et Jacques Levy. Je me rends ensuite sur Lyon, dans le cadre des Journées de l’économie, pour participer à une table ronde intitulée “Métropoles : l’impact sur les territoires”, où j’échangerai notamment avec Eric Charmes.

Beaucoup de choses à dire dans les deux cas. Cela m’a donné envie également de creuser un peu sur la question de la géographie des taux de chômage de manière plus sérieuse que dans mon précédent billet, car on regarde assez peu le problème du chômage à des échelles fines, on se focalise un peu trop sur les analyses macroéconomiques me semble-t-il. Pour cela, j’ai collecté les taux de chômage annuels par zone d’emploi de France métropolitaine (304 zones d’emploi) sur la période 2003-2014. Voici quelques résultats.

On peut d’abord représenter la distribution d’ensemble des taux de chômage en 2003 et en 2014 ; on s’aperçoit d’une part qu’elle se déplace vers la droite, signe de l’accroissement généralisé du chômage entre les deux dates, et d’autre part que la distribution est plus aplatie, signe d’une dispersion plus grande des taux de chômage.

choOn peut ensuite calculer les quartiles ou les déciles de taux de chômage, ce qui permet de vérifier cette évolution d’ensemble et de mesurer plus précisément la forte variation des taux de chômage selon les territoires.

déciles 2003 2014
minimum 4 4.8
d1 5.5 7.3
d2 6.3 8
d3 6.7 8.6
d4 7.1 9.1
d5 7.6 9.75
d6 8.1 10.2
d7 8.6 10.9
d8 9.2 11.8
d9 10.5 13.1
maximum 14.7 17.9

10% des zones d’emploi ont un taux de chômage inférieur à 5,5% en 2003 et à 7,3% en 2014 ; 10% des zones ont un taux de chômage supérieur à 10,5% en 2003 et à 13,1% en 2014. Le rapport d9/d1 baisse un peu, mais il reste élevé, passant de 1,9 à  1,8. En gros, le chômage varie du simple au double selon les territoires.

Au-delà de ces quelques chiffres, je voulais surtout voir si la situation relative des zones avait évolué sur la période : les zones les moins performantes en 2003 sont-elles toujours les moins performantes en 2014 ? Quid pour les zones les plus performantes ?

Pour cela, une façon de faire consiste à ranger les zones d’emploi par quartiles ou déciles en 2003, refaire l’exercice en 2014 et voir si certaines zones passent d’une classe à l’autre entre les deux périodes. Voici ce que cela donne en retenant les quartiles :

q1 q2 q3 q4
q1 63 17 3
q2 14 42 22 1
q3 1 12 39 16
q4 3 15 56

Guide de lecture : 63 zones d’emploi appartenant au premier quartile de taux de chômage en 2003 appartiennent toujours au premier quartile en 2014, 17 sont passées au deuxième quartile, 3 au troisième quartile.

On peut calculer un “indicateur d’inertie”, correspondant à la part des zones restant dans la même classe entre les deux dates : il est de 66%, signe que la géographie des taux de chômage bouge lentement.

Elle bouge malgré tout : 19% des zones voient leur situation relative se dégrader, 15% s’améliorer. Mais attention, on peut avoir des effets de seuil, une zone juste en dessous d’un quartile en 2003 passant juste au-dessus en 2014. Pour éviter ce genre de biais, on peut regarder les zones qui se sont déplacés de plus d’une classe entre les deux dates : elles sont 4 dans chaque sens quand on se focalise sur les quartiles.

Gien, Carhaix-Plougher et Vesoul passe de la classe 1 à la classe 3 ; Digne-les-Bains de la classe 2 à la classe 4. Forte dégradation relative pour ces territoires. A contrario, Ajaccio passe de la classe 3 à la classe 1 ; Autun, Cherbourg-Octeville et Aix-en-Provence de la classe 4 à la classe 2. Forte amélioration pour ces territoires.

J’ai reproduit le même exercice en m’appuyant cette fois sur une typologie plus fine, celle des déciles. 227 zones (75%) restent dans le même décile ou passent dans un décile juste voisin ; 32 zones (10%) voient leur situation relative s’améliorer assez nettement (déplacement de plus de deux classes vers des classes à taux de chômage plus faibles) ; 45 zones (15%) voient leur situation se dégrader assez nettement (déplacement de plus de deux classes vers des classes à taux de chômage plus forts). Voici la carte représentant ces zones (je n’ai pas représenté la zone d’emploi de Paris pour que la carte soit plus lisible, cette zone est une de celles qui voient leur situation s’améliorer nettement, puisqu’elle passe de la classe 8 à la classe 4) :

carte_choLa taille des cercles est proportionnelle au nombre d’emploi en 2012. Les zones en rouge sont celles qui voient leur situation s’améliorer nettement, celles en bleues voient leur situation se dégrader nettement. Attention à ne pas faire de mauvaises interprétations : on ne sait pas dans quel classe initiale étaient ces zones, ce que permet de repérer la carte, ce sont les zones qui ont bougé le plus dans la distribution.

Si on veut repérer les zones qui sont dans la meilleure situation, on peut retenir plutôt celles qui appartiennent à la première classe de taux de chômage en 2014 (taux inférieur à 7,3%). Elles sont au nombre de 33. Parmi elles, 24 étaient déjà dans la première classe en 2003, 8 sont passées de la classe 2 à la classe 1 et une zone est passée de la classe 3 à la classe 1 (Limoux). Voici le tableau puis la carte associée :

code ZE nom ZE taux 2003 taux 2014
1109 Houdan 4.8 4.8
1112 Rambouillet 4.9 5.7
1113 Plaisir 5.6 6.3
1116 Saclay 5.5 6.4
2506 Avranches 5.1 6.8
2510 Saint-Lô 5.3 7.2
4201 Haguenau 5.9 7.2
4202 Molsheim-Obernai 4.6 6.7
4206 Wissembourg 5.5 6.1
4303 Morteau 5.4 6.8
4304 Pontarlier 5.5 6.9
4306 Lons-le-Saunier 5.3 6.5
5201 Ancenis 5.1 6
5206 Cholet 5.6 7.3
5208 Segré 4.4 7.2
5209 Laval 5 6.9
5210 Mayenne 4.6 6.7
5217 Les Herbiers 4 5.7
5304 Loudéac 4.3 6.9
5314 Vitré 4.2 5.4
5412 Bressuire 5.9 7
7213 Oloron-Sainte-Marie 6.3 7.3
7304 Rodez 4.4 6.3
7401 Tulle 4.4 6.4
7402 Ussel 6.5 7.3
8202 Bourg-en-Bresse 4.7 7.2
8213 Villefranche-sur-Saône 5.8 6.9
8218 Annecy 6.1 6.5
8221 Mont Blanc 5 6.2
8304 Aurillac 5.5 6.9
8305 Mauriac 5.7 5.5
8306 Saint-Flour 5.3 6.2
9113 Lozère 4.7 6

La carte :

carte2On observe des effets de proximité géographique plutôt intéressants. Là encore, prudence dans l’interprétation : certaines zones peuvent connaître de très faibles taux de chômage, parce que ces territoires “se vident”, les personnes recherchant un emploi prospectant hors zone. Ce n’est pas le cas de toutes les zones représentées, mais sans doute de certaines d’entre elles.

Pour aller plus loin, il faudrait en fait étudier le lien entre croissance de l’emploi et taux de chômage, toutes les combinaisons étant possibles (forte croissance de l’emploi et faible chômage, forte croissance de l’emploi et fort chômage, etc). Disons que ce sera pour un prochain billet.

5 commentaires sur “Géographie des taux de chômage : entre inertie et mobilités

  1. Bonjour,

    Tout d’abord, je tiens à vous remercier pour vos analyses. Vos billets sont toujours plaisants à lire et vos travaux apportent, de mon point de vue, un éclairage non négligeable en économie géographique (vos travaux avec M. Grosseti sont salutaires pour la vivacité du débat). Encore une fois, votre approche permet de ré-encastrer l’économie dans un cadre plus global, plus systémique. Il est plus que nécessaire de croiser les regards, de faire appel à des approches inter-disciplinaires, de tenter de comprendre le territoire dans sa complexité.

    Sur la conclusion de votre billet, il me semble effectivement important d’approfondir l’analyse en rapprochant notamment croissance de l’emploi et taux de chômage.

    Travaillant à Laval et étant moi-même amener à travailler sur l’économie territoriale, je pense que cette question mérite d’être abordée. L’analyse locale fait d’ailleurs apparaître une combinaison singulière en Mayenne : faible croissance de l’emploi et faible taux de chômage. Bien des facteurs expliquent cette situation : présence de secteurs d’activité moins en difficultés que d’autres, entreprises ancrée localement, bon appariement entre les niveaux de formation et les besoins des entreprises (jusqu’à présent)… et surtout, d’après moi, un aspect démographique important. Il est en effet bien restrictif d’analyser le chômage à l’aune du simple dynamisme du tissu économique (en termes de production). Peut-être qu’une approche par les institutions permettrait aussi de faire apparaître des facteurs spécifiques…

    • Merci pour votre commentaire. Je viens de poster un billet où je complète. On y retrouve Laval, zone qui est dans les 25% de zones au taux de chômage le plus faible en 2012. Sur la période récente (2003-2012), elle connaît une croissance faible de l’emploi (une décroissance, même, de -0,40% par an) et une croissance forte du chômage (+2,78% par an). Elle reste dans le premier quartile, mais sa situation se dégrade.

  2. Effectivement, une combinaison faible croissance de l’emploi – faible chômage peut refléter une situation plutôt favorable et inversement une combinaison forte croissance de l’emploi – fort chômage n’est pas nécessairement enviable. Pour comprendre ça, on peut se référer à la dernière note parue du CAE sur l’assurance chômage qui met en avant un phénomène spécifiquement français observé depuis 15 ans, à savoir la forte hausse des contrats de très courte durée. Comme les auteurs de cette note l’indiquent, cette hausse correspond en bonne partie à une alternance entre emploi et chômage, et fréquemment à des réembauches dans la même entreprise. A un instant donné, il y a donc plus de chômeurs que si l’embauche était plus durable. Or, on sait par ailleurs que ces contrats courts concernent beaucoup plus les jeunes actifs (plus de 30% de CDD avant 25 ans contre moins de 10% après). Ainsi les territoires dans lesquels la part des actifs de moins de 25 ans est élevée auront tendance à avoir un chômage plus élevé même si la croissance de l’emploi l’est aussi. Cela illustre le fait que les différences territoriales peuvent être créer par des fonctionnements institutionnels nationaux et pas seulement locaux. On pourrait faire le même raisonnement non plus avec la rotation de main d’œuvre mais avec celle des emplois induites par les mouvements de destruction-création des établissements. Bref, le lien emploi-chômage est donc loin d’être univoque mais l’analyse des différences territoriales peut être riche d’enseignement pour mieux comprendre ce lien.

    • D’accord avec votre remarque. Il faudrait voir l’impact de cet effet de composition, je ne pense pas qu’il explique tout, mais cela doit jouer un peu. Je viens de compléter en croisant emploi/chômage dans un nouveau billet!

  3. Ping : Croissance de l’emploi et croissance du chômage : quelle(s) relation(s) ? | Olivier Bouba-Olga

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