La triste histoire des bacs professionnels : supplément au Monde

L’éditorial du Monde daté de demain nous raconte la triste histoire des bacs professionnels. J’en rajoute une couche, car l’histoire est encore plus triste que ce que nous dit le Monde et j’aime bien faire pleurer dans les chaumières.

Le Monde nous dit que le bac professionnel est en apparence une réussite, 188 000 jeunes l’ont obtenu en 2012, ce qui a permis de tenir l’objectif de 80% d’une classe d’âge au bac. 47% souhaitent poursuivre dans le supérieur, soit en BTS, soit en IUT.

Sauf que, c’est là que l’histoire triste commence, ils ne parviennent que difficilement à accéder à ces formations courtes professionnalisantes, leur route étant barrée par les autres bacheliers (notamment en IUT, c’est moins vrai en BTS). Dépités, ils se tournent donc vers les filières universitaires hors IUT (car je rappelle que les IUT sont des filières universitaires) où ils échouent lamentablement, n’étant pas du tout préparés à ce type d’étude. Deuxième et dernière étape de l’histoire triste contée par le Monde.

Comme promis, je vous raconte le troisième épisode, oublié par le Monde, qui rend l’histoire encore plus triste : les autres bacheliers qui s’inscrivent dans les filières courtes professionnalisantes, qui barrent donc la route aux bacs pro, que font-ils une fois leur diplôme en poche? Ils vont sur le marché du travail? Que nenni! Côté IUT (je n’ai pas les chiffres, sensiblement inférieur je pense pour les BTS), 60 à 80% bifurquent vers les filières longues des universités! On forme donc en IUT des personnes dans l’optique qu’elles aillent rapidement sur le marché du travail, mais elles n’y vont pas. Pendant ce temps, ceux qui voudraient une formation courte du supérieur pour y accéder ne peuvent pas y aller.

On peut poursuivre encore un peu : en plus des bacs pro, les autres bacheliers aux dossiers les plus faibles, qui voudraient aussi accéder aux IUT/BTS pour faire des études courtes et entrer sur le marché du travail, voient tout autant leur route barrée. Ils viennent donc échouer sur les bancs de la fac. D’où le taux d’échec constaté. Plutôt que de remédier à l’organisation calamiteuse du système d’ensemble, on explique aux filières universitaires hors IUT que ça va pas, on injecte de l’argent (plan licence, tout ça), on se désespère un peu partout, côté étudiants qui échouent, côté enseignants-chercheurs qui ne savent pas gérer ce type de public mal préparé et qui n’a pas envie d’être là, côté parents qui s’arrachent les cheveux, etc.

Ce n’est pas la triste histoire des bacs professionnels : c’est la triste histoire de l’organisation du système de l’enseignement supérieur… Et encore, je n’ai pas parlé des classes prépas et des écoles, ni, en amont, de la triste histoire de l’orientation après le collège… J’aime bien faire pleurer dans les chaumières, mais pas trop quand même…

14 commentaires sur “La triste histoire des bacs professionnels : supplément au Monde

  1. Article très intéressant mais étant étudiant en IUT TC, nous ne sommes pas formés dans l’optique d’aller “rapidement sur le marché du travail”, nous sommes formés à passer des concours et poursuivre nos études : écoles de commerce,IAE…(plus de 80% des étudiants DUT TC poursuivent leurs études) je comprend bien le problème soulevé ici, je pense qu’il faudrait garder le BTS comme une formation courte du supérieur et laisser plus de place pour les BAC pro dans cette filière tout en continuant de faire du DUT une préparation à la poursuite d’études longues pour les bacheliers généraux ou technologiques.

    • Si on vous prépare en IUT à poursuivre en IAE ou en école, il y a problème grave, grave, ça n’est pas leur vocation… DUT et BTS sont conçus pour accéder diplôme en poche à aller sur le marché du travail. Pour les études longues, les licences d’un côté, les prépas de l’autre, sont faites pour ça. Je ne vous blâme pas : c’est l’organisation du système et son évolution qui sont à condamner.

  2. L’inscription des jeunes diplômés des IUT dans les filières longues ne provient-elle pas aussi de la difficulté de trouver un emploi à la sortie de l’IUT, et de la nécessité pour ces jeunes de conserver une couverture sociale et aussi de conserver les pauvres avantages du statut étudiant?
    Deuxième raison possible (et peut-être la principale), le mythe français de la prédominance des diplômes dans la course à la réussite sociale et à l’obtention d’un emploi.
    Je ne pense pas que barrer la route de l’université aux IUTistes soit une solution. Peut-on reprocher à des jeunes d’être ambitieux? Le problème est surtout, qu’à la sortie de l’université en situation d’échec, le marché du travail actuel ne leur permettent pas de trouver un travail de niveau Bac+2.

    • le taux de chômage des jeunes sortants d’IUT est faible, de l’ordre de celui des sortants de masters. Bonne insertion sur le marché du travail, donc. La différence est dans le type d’emploi occupé : en sortant d’IUT, part très faible atteignant en quelques années des emplois de cadre sup, alors que ça avoisine les 70 à 80% pour les sortants de master.
      Il ne s’agirait pas de barrer la route aux sortants d’IUT, mais d’accueillir en IUT prioritairement ceux qui se destinent à des études courtes. Ceux qui vont en IUT en sachant dès le départ qu’ils visent un master devraient être accueillis à la fac. Mais comme il n’y a pas de sélection à l’entrée, ils pensent que c’est moins bien, ce qui est faux : ce n’est pas le même type de formation intellectuelle.

  3. Bonjour,
    pour moi le plus désespérant dans l’histoire c’est que cet état de fait dure depuis bien longtemps…
    Lorsque j’étais étudiant à l’université, il y avait un afflux d’élèves de bac Pro en DEUG de sciences. Ils avaient été évincés des filière courtes car leurs dossiers étaient moins bons (sur quels critères ?) que ceux d’étudiants de bac techniques ou généralistes. Ces derniers utilisaient les DUT pour échapper à la massification de l’enseignement en université et bénéficier de supposèes meilleures conditions.
    Devant le constat d’une parfaite inapdatation des cursus universitaires à ces bacs pro et éviter que ces étudiants ne passent une année en pure perte (et finissent par ne jamais faire d’études supérieures), les enseignants de l’université avaient mis en place une “année de remise à niveau” pour leur permettre d’améliorer leur dossiers de candidature en DUT.
    On avait donc, telle que vous la décrivé, une parfaite inversion des rôles joués par les différentes formations avec un détournement évident de la fonction des études techniques courtes.
    On pourrait gloser sur les responsabilités de chacun dans cette histoire : des enseignants qui se sentent valoriser à donner des cours à de “bons” (là encore sur quels critères ?) étudiants, la société qui dévalorise les formations techniques, etc.
    Mon expérience date d’il y a 25 ans, et il semble que rien n’ai changer malgré le constat d’un échec patent et des catastrophes qu’il engendre : des élèves qui ne pourrons jamais poursuivre d’études, une industrie qui peine à trouver des techniciens.
    Ce pays est-il capable d’évoluer ?

  4. Je suis d’accord avec vous pour dire que l’on marche sur la tête.
    Cependant, j’ai l’impression que vous laissez entendre que la place de tous les bacheliers généralistes est à l’université. C’est assez douteux. S’il y en a bien en IUT qui pourraient réussir à l’université, ce n’est pas le cas de tous.
    Outre les différences de programmes, il y a aussi la forme qui est importante et certains ont (ou pensent avoir) le besoin d’être ‘tenus’, encadrés.

    Réserver des places aux bacheliers pro, OK. Mais ça ne suffit pas. Il faut aussi une solution pour les bac généralistes ayant besoin d’encadrement. Augmentation du nombre de places en IUT? Création de filières spéciales en FAC? Ou simplement donner aux universités les mêmes moyens par élèves?

    Les quotas, cela permettrait surement d’allouer ‘un peu moins mal’ qu’actuellement, mais autant en profiter pour réformer en profondeur pour éviter de laisser sur le carreau les ‘perdants’ de cette mesure.

    • D’accord avec vous sur le besoin d’encadrement des étudiants. Mon sentiment : c’est le cas dans les universités depuis pas mal d’années, beaucoup plus de TD, de contrôle continu, de cours de mise à niveau, de soutien, etc. Je dirais qu’on est dans un fonctionnement proche du lycée pendant la licence. C’est encore plus vrai dans mon UFR, de petite taille (une centaine d’étudiants en première année) : les étudiants y sont beaucoup moins nombreux qu’en première année d’IUT GEA !

  5. Ayant fait un IUT GEII (puis plus tard une école de commerce), la majorité de nos enseignants étaient des enseignants d’université ou des chercheurs. De ce dont j’ai pu etre témois, le message de la majorité c’était: Poursuivez à l’université ou dans une école d’ingénieur.
    Mais le probleme vient aussi du fait que les offres en sortie sont des postes qui sont peu rémunérateurs sauf pour des profils tres particuliers, et surtout les possibilités d’évolution (salariale et hiérarchique) ensuite ne transpirent pas dans le discours des recruteurs de ces profils.

  6. Mon expérience n’est pas récente mais, ancien chef de service dans une usine métallurgique, j’ai beaucoup apprécié les formations BTS et IUT. Ces jeunes étaient immédiatement opérationnels avec un niveau de connaissance apprécié, mais à des postes différents : les BTS plutôt dans des postes de maîtrise qui pouvaient en quelques années les amener à une fonction “assimilé cadre” (genre contremaître, chef d’atelier), les IUT plutôt dans les services fonctionnels de méthode et d’études. Après quelques années d’expérience, (à une époque où la formation continue était motivante, une filière de deuxième chance, un moyen d’approfondissement des connaissances et d’évolution sociale), par des organismes de formation tels que le CNAM et le CESI entre autres) nombreux étaient ceux qui arrivaient à la fonction cadre ou décrochait un titre d’ingénieur. A cette époque les entreprises jouaient le jeu …

    • BTS et IUT sont de bonnes formations, je n’en doute pas. Encore une fois, le problème n’est pas là. Le problème, c’est que des jeunes qui veulent y accéder ne le peuvent pas, et que ceux qui y accèdent poursuivent ensuite ailleurs.

  7. Ping : Au fait, combien de lycéens allons-nous sacrifier cette année? | Olivier Bouba-Olga

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