Stratégies absurdes

Vous rappelez-vous de cette note de lecture sur l’ouvrage de Maya Beauvallet? Je vous redonne le fil conducteur : un nombre croissant d’organisations se dotent d’indicateurs de performance, d’une part, et mettent en oeuvre des systèmes d’incitation/contrôle, d’autre part, pour influer sur les comportements des acteurs et s’assurer de l’amélioration desdites performances. Sauf que cette “doxa manageriale” échoue souvent, les
stratégies mises en oeuvre conduisant à des résultats absurdes…

Je viens de découvrir un cas (via Maître Eolas sur Twitter) qui pourrait sans conteste figurer dans un éventuel volume 2 de l’ouvrage… Extraits :

Un commandant de gendarmerie de 57 ans a été condamné lundi soir à trois mois de prison avec sursis et 1.000 euros d’amende par le tribunal correctionnel de Tours pour avoir jeté quelque 90 PV dans une broyeuse à papiers, à Vouvray (Indre-et-Loire), entre 2004 et 2005.

(…) “Concrètement, comme les dossiers ne remontent pas au procureur, ça ne rentre pas dans les statistiques de la délinquance. On dit alors qu’il y a un taux d’élucidation à la brigade de Vouvray meilleur qu’ailleurs. Et on obtient des bonnes notes”

Quelles conséquences ? Celle-ci notamment :

Parmi les procédures disparues, se trouvaient notamment des actes sur un double-meurtre, ainsi que l’enquête concernant l’accident, en 2004 à Chanceau-sur-Choisille (Indre-et-Loire), d’un sous-traitant de la SNCF, poseur de voies ferrées, qui avait eu le pied broyé par une pelleteuse.

L’homme, aujourd’hui âgé de 44 ans, “n’a pas pu établir la faute inexcusable commise par son employeur puisque l’enquête n’a pas été poursuivie”, a affirmé son avocat Me Philippe Baron.

 Ah, ces modes manageriales, ça fait rêver… Vivement que ça se développe à l’Université!

7 commentaires sur “Stratégies absurdes

  1. on peut même imaginer que ce commandant perçoive automatiquement une prime de performance liée au bon résultat comptable de sa brigade… trêve de plaisanterie, on peut toujours trouver des exemples savoureux comme celui-là comme on peut trouver dans le rapport de la cour
    des comptes et ailleurs, de nombreux exemples qui justifient l’application urgente de critères de performance ( efficience mais aussi efficacité). Pour ne faire de peine à personne ne parlons pas de “techniques managériales” mais évaluons quand même !

  2. Concrêtement ici, on a un problème de management, d’implication dans le travail qu’on essaie de résoudre par la facilité, donc avec des objectif uniquement chiffrés, non qualitatif. Le résultat
    est aussi catastrophique et parfois pire que le point de départ.

    Mais est-ce que ça veut dire que toutes les techniques de management ont connu un pareil échec ? Je pense à Verel qui cite récemment le cas de Dupont de Nemours qui avait réussi à diviser
    par 30
    le taux d’accident par rapport aux autres entreprise de son secteur. Bien sûr, la société y gagnait de l’argent. Mais combien de personne qui se seraient retrouvées gravement
    handicapées à vie sans ces accidents évités ? Le management type Toyota est devenue une tarte à la crème dans le milieu industriel, revisité à toutes les sauces, mais il a quand même réellement
    permis à cet entreprise et à un certain nombre de celle qui l’ont imité avec intelligence, non seulement de progresser énormement sur la productivité, mais en plus d’impliquer mieux les ouvriers
    dans leur travail et d’améliorer leur image d’eux-même en valorisant ce qu’ils sont capables d’apporter au processus.

    Bref, quand les modes dans le management sont réduites à des gimmicks résumables en 2 phrases et appliqués de manière entièrement mécanique sans intégrer le facteur humain, leurs conséquences
    sont catastrophiques.

    Mais la tentation inverse d’utiliser cela pour décider que cela signifie qu’une organisation qui met en place un management qui essaie d’améliorer les processus, de les rendre plus efficace,
    c’est systématiquement ridicule, qu’il n’y a aucune raison de remettre en cause sa manière traditionnelle de travailler même quand elle est incroyablement inefficace est tout aussi dangeureuse.

  3. Plutôt que directement le facteur taille, je pense que le risque est surtout dans les entreprises/organisations dans lesquels une grande partie des problèmes sont en réalité localisés au niveau
    du management/encadrement/directionet et où ceux-ci qui vont chercher à appliquer ces techniques sur les niveaux inférieurs sans accepter d’envisager qu’ils devraient être les premiers à se
    remettre en cause et à changer leur manière de travailler.

  4. Citer cet exemple, pour critiquer les pratiques « managériales » appliquées à certains domaine (force de l’ordre ici), ne me semble pas très
    pertinent.

    Je pense que toute « prestation » (police, santé, justice, université, etc..) peut et doit être évaluée, dans la mesure où elle coûte à la collectivité ou si elle peut avoir des
    conséquences dommageables pour des citoyens.

    Que les critères d’évaluations choisis ici soient critiquables, oui très probablement.

    Que dans certains domaines les critères utilisés soient simplistes et inappropriées, oui sûrement.

    Que penserait-on d’un juge qui serait évalué sur le nombre d’affaires bouclés dans l’année et dont on découvrirait que tous ses jugements ont aboutis à une erreur judiciaire. Dans le domaine
    de l’université on sait qu’évaluer les chercheurs simplement sur la quantité de publications (publish or perish) est un peu débile, d’où l’inflation d’articles dont l’intérêt est douteux (mais
    heureusement certains prix nobels d’économie ont été attribués sur la base de quelques articles de recherche fordamentaux).

    Mais tout cela relève un peu de l’enfoncement des portes ouvertes.

    Dans le cas de ce gendarme nous sommes face un représentant de l’ordre qui n’hésite pas à détruire sciemment et pendent plusieurs années des documents de procédures. Nous sommes donc face à un
    individu (comme on dit dans les rapport de police 🙂 foncièrement malhonnête qui doit être sanctionné. Ce n’est pas l’instrument de mesure de performance qui doit être d’abord critiqué mais le
    comportement de la personne pour s’y soustraire.

    Pour conclure par un exemple d’illustration : il y a des dizaines (centaines ?) d’années que les commerciaux (vendeurs) sont évalués en fonction de leur ventes (plus ils vendent mieux ils sont
    notés) je ne crois pas que ce mécanisme universel soit critiqué (je ne connais pas d’entreprise qui n’intègre pas comme critère principal les performances en terme de CA dans la rémunération de
    leurs commerciaux).

    Maintenant imaginons qu’un vendeur soit très performant dans ses ventes simplement parce qu’il menace physiquement ses prospects !  c’est la méthode des mafia dans leurs rackets, faut-il
    critiquer la méthode d’évaluation ou la « l’éthique » de celui dont on mesure la performance (le vendeur) ?

  5. Je bosse dans le privé depuis plusieurs années dans une grosse société. Nous avons des objectifs à remplir, avec évaluation et sanction financière (part variable de l’ordre de 5 à 10% du salaire
    annuel brut). Ces objectifs sont répartis en plusieurs catégorie: quantitatifs purs (sur chiffre d’affaire, obtention ou non de contrat, livraison ou non…) et qualitatifs purs (type assurer un
    poste). Mais aussi une autre subdivision (qui ne coïncide pas nécessairement) entre objectifs personnels et collectifs: par ex, objectif sur un but non atteignable seul, comme une prise de commande
    par le service commercial voisin. Dans les faits, il est extrêmement difficile de remplir suffisamment ses objectifs pour obtenir plus qu’une prime de quelques centaines d’euros (brut). La
    reconnaissance professionnelle vient plus de la réussite des projets sur lesquels on est nommé et de la capacité à se vendre tout au long de ces projets que d’une évaluation objective de son
    niveau. Les écarts de primes et rémunération peuvent être très important en fonction du manager et peuvent se creuser rapidement. Bref, mon conseil en la matière serait de ne pas abuser des
    objectifs pour évaluer un service. Par contre la démarche de l’entretien annuel, même si parfois vidée de sens par une mauvaise implémentation, est à mon avis très positive, car c’est l’occasion de
    revenir sur l’activité de l’année passée. J’ai très peur pour le public de l’application de principes de management du privé par des gens qui ne sont pas les meilleurs (dans le privé, sinon, il s y
    seraient restés) et qui n’y ont pas suffisamment réfléchi pour adapter à la situation particulière de l’activité publique.

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