Plan automobile : quelques commentaires

Nicolas Sarkozy a annoncé des aides de plus de 6 milliards au secteur automobile, à destination principalement des deux
principaux constructeurs Renault et PSA, prêt de 6% assorti de contrepartie, la principale étant de ne pas délocaliser d’usines implantées en France. Le détail du plan est visible ici.

Le fait qu’il s’agisse d’un prêt et non d’un don ne signifie pas qu’il ne coûte rien aux citoyens français, comme a pu le
dire notre président jeudi dernier au sujet des prêts accordés aux banques. Comme on dit en économie, il n’y a pas de repas gratuit : en octroyant un prêt, l’Etat se prive d’intervenir dans
d’autres domaines, qui auraient permis de dégager une certaine rentabilité ; le coût du prêt correspond donc au gain associé à la meilleure option non choisie (c’est ce qu’on appelle le coût
d’opportunité).

L’aide accordée au secteur automobile s’explique par

i) le poids de ce secteur, plus généralement de la filière automobile, dans l’économie française. Le gouvernement nous
dit régulièrement 10%, soit environ 2,5 millions de personnes, c’est en fait beaucoup moins, comme le découvre Le Monde
aujourd’hui sur la base de cette étude (les lecteurs de blogs le savent depuis le 16 décembre, les
journalistes du Monde devraient les lire)

 ii) le fait que ce secteur est un des premiers touchés par la crise. Bien durable à forte valeur unitaire,
l’automobile est un des premiers biens dont on reporte l’achat,

 iii) la structuration du secteur, avec à sa tête deux grandes entreprises, il est donc plus facile de le soutenir
que de soutenir des secteurs beaucoup plus éclatés, sans véritable pilote dans l’avion. On peut penser également que le lobbying des deux constructeurs français est plus efficace que celui
d’autres entreprises appartenant à d’autres secteurs.

Certaines parties du plan semblent plutôt bienvenues :

i) j’ai relevé notamment les moyens mis en place pour la diffusion du lean manufacturing (p. 9 et 10 du document), dont j’avais souligné
l’importance ici.

ii) le plan prévoit aussi de faire évoluer les relations donneurs d’ordre/sous-traitant, particulièrement calamiteuse en
France, en raison de l’asymétrie des rapports de force, qui permet aux constructeurs de reporter l’essentiel de l’effort (de réduction des coûts et de flexibilité) sur les sous-traitants. Voir
sur ce point l’Usine Nouvelle n°3131 du 29 janvier au 4 février, p. 26-28 : délais de paiement à 100 jours (60 dans le reste de l’Europe), réduction des prix obligatoire de 5 à 6% par an,
prise en charge de la moitié des frais de R&D, obligation de s’implanter dans des pays low cost même si les coûts sont les mêmes, voire inférieurs, en France, etc… Reste à savoir ce qui peut
vraiment contraindre les constructeurs à répondre à ces injonctions.

iii) le plan propose également une meilleure prise en charge du chômage partiel, et des formations proposées aux salariés
pendant les périodes d’inactivité.

A contrario, si l’on considère, comme beaucoup le pensent, que le choc qui a frappé l’automobile a été un révélateur de
problèmes structurels, notamment d’un problème de surcapacité à l’échelle mondiale (estimée à 20%), on peut douter de l’efficacité de tous ces plans de soutien : chaque pays mettant ses
constructeurs sous perfusion, les nécessaires ajustements risquent d’être simplement reportés.

La contrepartie de non délocalisation fait beaucoup réagir en Europe, le plan d’aide risque d’être attaqué par d’autres pays. Le gouvernement répond que l’aide n’a rien d’illégale, mais ce n’est pas l’aide qui est
critiquée, ce sont les contreparties exigées. On peut craindre soit que le plan soit retoqué par l’Europe, soit que des mesures similaires soient prises par d’autres pays. Auquel cas la France
aurait beaucoup à perdre : elle attire de très nombreux investissements directs étrangers, elle aurait plus à perdre qu’à gagner de la mise en place de telles mesures
protectionnistes.

Plus généralement, on voit clairement ressurgir les tentations protectionnistes un peu partout dans le monde, ce qui
n’augure rien de très bons, tant on sait les effets calamiteux que cela peut produire. Je ne développe pas outre mesure, mais l’enjeu essentiel n’est pas de plaider le protectionnisme commercial,
plutôt d’œuvrer à la protection sociale des personnes les plus exposées (voir sur ce point l’interview
de Cohen
dans Le Monde).

PS : Centre Presse m’a interrogé sur le sujet hier, article à lire ici (€), ou dans l’édition papier.

8 commentaires sur “Plan automobile : quelques commentaires

  1. M. L’économiste, vous écrivez qu'”en octroyant un prêt, l’Etat se prive d’intervenir dans d’autres domaines, qui auraient permis de dégager une certaine rentabilité”, merci d’indiquer quels sont ces domaines et ce que vous entendez par “une certaine” rentabilité. Soyez précis, que diable !

  2. Ce qui est surtout etonnant (en fait pas vraiment), c’est qu’on soit surpris que l’automobile soit en difficulte.Comme vous le soulignez, il y a surcapacite et ce n’est pas exactement recent. Si on ajoute toutes les mesures anti voitures pour plaire aux ecologistes, ce qui devait arriver arriva.Un peu plus tot et brutalement que prevu, soit, mais pas surprenant non plus.On connait aussi le succes de l’etat dans les politiques industrielles, alors esperons que ce ne soit qu’un cout d’opportunite. Comme vous le soulignez, c’est un allocation arbitraire de ressources et ca n’est jamais gratuit.Si ca l’etait, ca se saurait.

  3. Je n’ai pas lu l’article de l’Usine Nouvelle donc je ne sais pas précisément ce qui y est écrit, mais le délai de paiement des fournisseurs vient précisément d’évoluer, si mes infos sont bonnes. Renault les payait à 90 jours, et vient de passer à 60 jours il me semble.

  4. L’Allemagne serait-elle aussi protectionniste quand elle a rapatrié la fabrication des Golfs de Bruxelles pour sauvegarder l’emploi en Basse-Saxe ?General Motors souhaite se débarrasser d’OPEL. Allemagne et Belgique travaillent sur une éventuelle nationalisation d’OPEL Europe pour sauvegarder l’outil industriel et l’emploi.

  5. Bonjour,Votre acticle est fort intéressant et semble approuver le plan d’aide à ce secteur. Il ya 25 ans, la plupart des économistes prédisaient qu’il resterait 3 à 4 grandes firmes automobiles en Europe, dont une seule en France.Je pense que l’Etat ne devrait pas s’endetter pour tenter de sauver ce qui disparaitra un jour ou l’autre par le jeu du marché mais devrait investir sur les secteurs inovant qui créeront des emplois demain. Ce n’est pas politiquement rentable mais économiquement responsable.CordialementPatrick Marchanthttp://macrisebienaimee.blogspot.com/ 

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