L’évolution de la localisation des activités de R&D en Europe

Retour de Bordeaux, après un workshop vraiment intéressant sur les délocalisations.
Avec comme point commun de la plupart des papiers l’idée qu’il faut dépasser la question des délocalisations, pour s’intéresser aux formes actuelles de la division du travail, notamment à
l’échelle du continent européen : comment penser l’évolution de la spécialisation des entreprises? Quels problèmes de coordination en découlent? En quoi les choix de spécialisation et les
problèmes de coordination influent sur la localisation des activités économiques? J’y reviendrai avec des comptes rendus des papiers, certains consacrés à l’automobile, d’autres aux centres
d’appels, d’autres encore aux logiciels, etc.

Premier compte rendu sur l’intervention de Fabrice Hatem qui nous a présenté les résultats de différentes analyses menées sur la base
AFII. Elles ont donné lieu à la publication
d’un des derniers numéros de la revue
Economie et Société
, avec notamment deux articles intéressants et très complémentaires sur les investissements internationaux dans les centres de R&D
en Europe. Petit résumé personnel de chacun d’eux.


F. Hatem, 2007, « Les investissements internationaux dans les centres de R&D en Europe : une
analyse à partir des bases de données projets de l’AFII », Economie et Société, 41 (5), p. 699-722.

Entre 2002 et 2005, l’AFII a recensé 135 projets d’IIRD (Investissements Internationaux en R&D) par an créateurs de 6000 emplois par an. Ceci correspond à
5,4% du nombre de projets et 3,9% des emplois. Les régions d’origine sont l’Amérique du Nord (54,6%) et l’Europe de l’Ouest (36,7%), principalement les firmes allemandes, françaises et
britanniques. Les secteurs les plus représentés sont les médicaments, les équipements électroniques, l’automobile et les logiciels. L’Europe de l’Ouest accueille l’essentiel des projets (84,8%)
et des emplois (66,3%). La Tchéquie et la Pologne progressent fortement en 2005.

La France accueille 9,6% des emplois et 11,2% des projets, ce qui la place au 3ème rang, derrière le Royaume-Uni et l’Allemagne. Elle attire notamment des projets relevant des secteurs
de l’équipement électrique et des composants électroniques. Parallèlement, elle est la région d’origine pour 8,7% des emplois et 7,2% des projets sur la même période.
 

F. Sachwald & E. Chassagneux, 2007, « Les facteurs de localisation des centres de R&D à l’étranger : le cas de l’Europe »,
Economie et Société, 41 (5), p. 723-750.


Les auteurs proposent une caractérisation fine des activités de R&D à l’étranger pour se prononcer sur les stratégies de localisation des firmes, et donc
l’attractivité des territoires. Elles distinguent les Centres de développement local (CDL), qui « s’appuient sur les ressources technologiques de la maison mère pour soutenir la production à
l’étranger et permettre l’adaptation de l’offre au marché local » ; les Laboratoires de recherche global (LRG), qui « contribuent au processus d’innovation de l’entreprise à
l’échelle mondiale (…) et [ont vocation] à accroître les capacités d’innovation de la maison mère (…) en [tirant] parti des ressources scientifiques et technologiques de leur pays
d’implantation » et enfin les Centres de développement global (CDG), qui sont « en charge de tâches qui peuvent être séparées puis réinjectées dans le processus d’innovation de
l’entreprise ». Leur développement répond « à la pression croissante sur les coûts des activités de R&D ».

Pour les CDL, le principal facteur d’attractivité est la taille du marché local, pour les LRG, c’est la qualité des ressources scientifiques et technologiques
qui importe, pour les CDG, enfin, le facteur décisif serait la disponibilité d’une main d’œuvre de qualité et relativement bon marché par rapport au pays d’origine.

 

Zone d’implantation en Europe

CDL
200 projets

LRG
77 projets

CDG
62 projets

Total centres de R&D

UE15 + Suisse
92,0%
98,7%
51,6%
86,1%
Autres pays UE27 sauf Malte et Chypre
8,0%
1,3%
48,4%
13,9%
Total
100,0%
100,0%
100,0%
100,0%
 
La partie occidentale de l’Europe attire la quasi-totalité des Laboratoires de Recherche Global et une très grande part des Centres de Développement Local. Les
CDG se localisent en revanche pour moitié dans les autres pays de l’Union, attirés par une main d’œuvre qualifiée et bon marché.

Suivent des
analyses détaillées par secteur « qui ne diffèrent pas du constat général » ci-dessus, ainsi que des tests économétriques, qui confirment globalement les hypothèses de choix de
localisation des différents types de centre.

On peut bien sûr lire ces résultats avec angoisse : les activités de R&D, préalablement concentrées dans les pays développés, commencent à s’internationaliser, au profit notamment des PECO,
preuve du déclin économique du premier groupe de pays. On peut y voir aussi, et c’est la thèse que je défendrai, les signes de l’approfondissement de la division du travail à l’échelle
européenne, avec effectivement un développement de l’activité de R&D dans les PECO, mais aussi dans les pays d’Europe Occidentale, sur des segments plutôt complémentaires. Ces nouvelles
implantations devraient permettre aux PECO d’accélerer leur développement, ce que je considère plutôt comme un objectif louable, sans nécessairement entraver la croissance des pays d’Europe
occidentale, si ces derniers parviennent à s’insérer efficacement dans la division du travail. Cette deuxième thèse m’apparaît comme plus pertinente, compte-tenu des résultats obtenus dans les
autres papiers présentés au workshop. A suivre, donc…

 

Un commentaire sur “L’évolution de la localisation des activités de R&D en Europe

  1. C’est effectivement passionant. A noter le même débat en Chine après la publication du rapport de l’OCDE sur le système d’innovation en Chine. Je défendrai volontier l’idée d’un approfondissement de la division du travail intellectuel (comme on disait avant) plutôt que de la délocaisation des forces vives des nations européennes. Cela dit, pour le cas de la Chine, il me semble très difficile de faire la distinction entre centres de R&D qui adaptent des produits pour le marché local, centres de R&D qui font de la recherche pour la firme en utiisant les ingénieurs pas chers locaux et centres de R&D qui profitent de la modularité de la technologie. Les trois (et en tout les deux derniers) me semblent aller fréquemment ensemble.  Von Zedwitz trouve 199 établissements de R&D en Chine, en 2004 (il faut préciser car ça grimpe rapidement) dont 70% à Pékin + Shanghai.

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