intérêt de la déduction des intérêts

Un peu avant que Christine Lagarde annonce le doublement du crédit d’impôt accordé aux nouveaux acquéreurs d’un logement sur la première année (40% des intérêts
d’emprunt contre 20% initialement prévus), l’Insee, qui ne fait rien qu’embêter tout le temps notre gouvernement, publie un document sur
l’endettement domestique des ménages début 2004.

 On y apprend par exemple que :

Du fait de leur capacité de remboursement, les ménages disposant de revenus supérieurs aux revenus médians ont plus facilement accès ou recours aux
emprunts, en particulier pour l’habitat
. Parmi les ménages disposant d’un niveau de vie supérieur à 15 000 euros par unité de consommation, six ménages sur dix sont endettés contre
un peu plus de quatre ménages sur dix pour ceux dont le niveau de vie est plus faible. La différence est encore plus marquée pour les emprunts immobiliers puisque les ménages ayant un
niveau de vie supérieur à 15 000 euros ont deux fois plus souvent un emprunt en cours que ceux disposant d’un niveau de vie moins élevé
“. 
Plus loin, on nous dit logiquement que “la disparité des montants d’endettement en fonction du niveau de vie se retrouve au niveau des catégories sociales. Les
professions libérales ont très fréquemment un niveau d’endettement à l’habitat très élevé, dans une moindre mesure les cadres et chefs d’entreprise.” (souligné par moi).

 Les gains liés à la déduction étant peu susceptibles d’accroître la capacité d’emprunt des ménages les plus modestes, on peut donc penser que ce sont surtout
les ménages aux revenus élevés qui vont bénéficier du dispositif [1]. Pour partie des personnes qui, de toute façon, avaient prévu l’achat (elles vont éventuellement
l’anticiper), et qui vont donc bénéficier d’un effet d’aubaine.

Et encore, faudra-t-il que l’effet inflation ne soit pas trop fort : si la demande de logement augmente fortement, compte-tenu de l’inertie de l’offre de logements,
les prix de l’immobilier risquent d’augmenter. Pour information, l’effet inflationniste des déductions d’emprunt a pu représenter jusqu’à 30% de la hausse des prix immobiliers aux Etats-Unis
dans les années 70 (James Poterba « Tax Subsidy to Owner-Occupied Housing: An Asset Market Approach », Quaterly Journal of Economics, 1984, cité dans ce billet incontournable des Ecopublix). Ce sont alors essentiellement les agences immobilières et les vendeurs qui seront
gagnants.

On pourrait également s’interroger sur l’intérêt économique de faire de la France un pays de propriétaires, surtout lorsqu’on observe des corrélations robustes entre proportion de propriétaires et taux de chômage : le fait d’être
propriétaire réduit la mobilité spatiale des individus, qui est une des composante (souvent négligée) de leur mobilité dans l’emploi. Point intéressant à souligner, au moment où le gouvernement
met en place la
“commission pour la libération de la croissance française”
, qui a notamment pour but d’identifier les moyens “d’améliorer le fonctionnement du marché des biens et des services et de renforcer
le dynamisme et la mobilité de l’emploi“…


[1] Petit exemple, qui s’appuie sur les simulations parues dans les Echos (avec les
anciens chiffres apparemment, mais ça ne change pas grand chose). Un ménage emprunte 250 000 € sur 15 ans au taux fixe de 4,05% (hors assurance). Montant de la réduction d’impôt sur 5 ans :
7582 €. Emprunter 250 000 € sur 15 ans à 4,05% vous fait rembourser au total 333 988 €. Les 7582 € représentent donc 9% des intérêts versés et 2,3% de la somme totale.

 

11 commentaires sur “intérêt de la déduction des intérêts

  1. Compte tenu des incertitudes de la conjoncture économique, des conséquences en matière d’emploi (voir la forte corrélation chomage/proriétaire), de la cherté d’un remboursement d’emprunt par rapport au paiement d’un loyer, des coûts engendrés par la propriété, etc… pourquoi la majeure partie des français veulent-ils être propriétaires ?Le culte de la propriété privée est aujourd’hui plus que jamais insinué dans l’esprit collectif : pour exister il faut être propriétaire, sinon socialement dépendant tu n’existes pas…

  2. > pourquoi la majeure partie des français veulent-ils être propriétaires ? L’un des commentaires les plus intéressants de l’article d’Alexandre Delaigue est ici : Commentaire Les perspectives d’avenir économique (insécurité de l’emploi, retraite incertaine) sont telles que les nouveaux arrivants sur le marché de l’emploi veulent devenir propriétaires à tout prix pour assouvir un besoin de sécurité matérielle. C’est malheureusement le miroir aux alouettes…

  3. Il s’agit donc bien d’un mythe libéral : l’accès à la propriété est censé assurer un avenir serein à la génération actuelle mais également à la prochaine génération.Je travaille plus particulièrement sur l’Afrique et la propriété semble également devenir de plus en plus importante dans la lutte contre la pauvreté. Les différentes études introduisent dans les déterminants de la pauvreté la propriété d’un lopin de terre, ou de son logement. Cependant, le cas africain est bien différent des cas américains ou français : point d’usurier sur la propriété car celle-ci est transmise de génération en génération et très difficilement cessible à un tiers. Il n’existe pas réellement de marché immobilier dans ces pays, ce qui les laissent pour l’instant à l’abri de cette spéculation.

  4. @Alexandre> Les différentes études introduisent dans les déterminants de la > pauvreté la propriété d’un lopin de terre, ou de son logement. L’aspect "lopin de terre" est intéressant, il s’était pas mal développé dans l’URSS de Brejnev (d’après le journaliste Hedrick Smith, "Les Russes") et la tolérance envers les "defitsini" qui organisaient un marché parallèle des denrées alimentaires (ce qui permettait à la fois aux urbains de faire face aux carences du marché officiel, et aux propriétaires de ces lopins d’arrondir leurs fins de mois).A la chute du système, dans les années 90, on a vu les chercheurs d’Akademgorodok se mettre à travailler des lopins de terre pour assurer leur survie alimentaire, les salaires de l’Etat étant devenus dérisoires.Il est possible que l’épuisement des ressources pétrolières finisse par conduire à des situations où chacun aura besoin de cultiver son propore lopin de terre pour s’assurer un complément de ressources alimentaires face à un marché où le prix des denrées (notamment légumes frais) aura flambé.

  5. @ veig : merci pour ces réflexions.je suis actuellement en train d’écrire un article avec un collègue économliste spécialiste de la question russe, sur le marché parallèle des denrées alimentaire durant les années 70 et 80.la pression urbaine et la désertification des campagnes, associées à la flambée des prix du pétrole laisse présager un avenir plus que morose à nos concitoyens.

  6. @ Laurange : je dis simplement qu’un des freins au retour à l’emploi est la faible mobilité spatiale des personnes, et que l’accession à la propriété tend à réduire encore cette mobilité. L’évaluation économique de la politique de l’Etat doit prendre en compte cet élément, afin dagir en connaissance de conséquences…

  7. @ Olivier : un gouvernement "libéral" (dans le sens économique du terme) est forcément pris en tenaille entre deux positions : l’accès à la propriété pour tous (par le truchement de différents leviers dont certains sont plus disuctables que d’autres) et la volonté de conditionner l’aide au retour à l’emploi à la propension effective des chomeurs à être mobiles. il me semble impossible de tenir ce double discours compte tenu de ce que vous avez rappelé dans le post ou dans celui d’Alexandre Delaigue. Le gouvernement va se casser les dents sur ce projet : soit il accepte que tout le monde ne peut pas devenir propriétaire (et là c’est une remise en cause d’un des fondements du libéralisme), soit il revoit sa copie sur la politique de retour à l’emploi (et là c’est une remise en cause de sa politique et de ses promesses)…Compte tenu des contraintes économiques et sociales, compte tenu de la dérive de plus en plus populistes du discours, il me semble que les fondements même de ce libéralisme économique sont à revoir.

  8. Alexandre Bertin > En quoi le droit à devenir propriétaire serait un dogme libéral ? Je veux bien quelques explications sur ce point précis. Supposons que les membres les plus riches d’un société soient propriétaires. A part une certaine stabilisation sociale, quel est leur intérêt de permettre aux autres membres de cette société de devenir propriétaire ? S’agit-il d’autoriser le souhait de copier les plus riches que soi ? d’élargir le marché immobilier (vente / achat) ? En quoi une société s’accomodant d’une classe de propriétaire et d’une autre de locataire (sans compter les SDF et autres parias) ne serait pas libérale ? Il s’agit pourtant d’un autre type de marché (loueur / locataire), qui pourrait très bien être régulé d’une manière exclusivement libérale…

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