La France, impossible à réformer?

Dans une interview récente pour Le Monde, Pierre Cahuc reprend le discours habituel selon lequel la France n’est pas réformable (merci à Christian Lippi pour l’info dans son commentaire au précédent billet!) :

nous sommes marqués par certaines habitudes culturelles et nous avons beaucoup de mal à changer. [Pierre Cahuc, Le Monde, 2006, 18 août 2006. visible ici]


Propos qui ne déplairaient pas, sans doute, à un Nicolas Baverez ou à un Jacques Marseille, pour ne citer que deux représentants très médiatisés de la thèse du déclin français (je ne dis pas que Cahuc partage leurs analyses).

Contre cette vision des choses, vient de paraître un ouvrage intéressant qui démontre au contraire que la France a fortement évolué sur la période 1980-2005. Il est le fruit d’une collaboration entre chercheurs US et chercheurs français et s’appuie sur des études comparatives.On trouvera le compte-rendu d’un débat lors de la sortie de l’ouvrage ici.

En gros, la thèse défendu dans l’ouvrage est la suivante (je m’appuie sur ce qu’en dit Pascal Perrineau dans l’introduction du débat) :

1. Des réformes ont été menées en France entre 1980 et 2005, dans de multiples domaines, et ont partout gagné du terrain
2. Ces changements n’ont pas de visibilité d’ensemble, ce sont des changements non délibérés : on est face à un "incrémentalisme français", fruit de la stratégie des élites et si subtil qu’il passe inaperçu ; et face à des changements imposés mais peu débattus.
3. Enfin, ce portrait rend compte d’une crise du politique qui résiderait dans le décalage entre l’ampleur des changements accomplis et leur absence de visibilité politique,

Tout cela me semble plutôt pertinent. Tout comme les propos de Bruno Palier, pendant le débat :

Dire que la France change ne signifie pas que tout va bien, ou que l’on doive restreindre ce débat, à la suite de l’analyse proposée par P. Rosanvallon, à un clivage entre conservateurs et modernistes. L’analyse historique et la comparaison montrent au contraire qu’il y a plusieurs réformes et voies d’adaptation possibles à la mondialisation. Or en France, au cours de la période étudiée, le changement a été justifié en tant que voie unique et inéluctable face aux pressions de la mondialisation : il n’a pas été légitimé et les Français n’ont pas été associés en tant qu’acteurs de ces choix. Les expériences de réformes menées à l’étranger montrent au contraire que le changement peut être l’occasion d’une mise en débat des diverses solutions possibles et le résultat d’un choix assumé. [Source : ici, p. 8]

Ca ressemble assez aux propos d’un autre auteur :

Si la réorganisation transnationale des activités est contraignante, les moyens de s’adapter à la contrainte sont pluriels. A charge donc pour les politiques de proposer aux citoyens les alternatives en présence ; à charge ensuite aux citoyens, aux travers de leurs votes et de leurs actions collectives, de trancher entre elles.

Je vous laisse deviner qui et où…

8 commentaires sur “La France, impossible à réformer?

  1. Je trouve la citation de Cahuc un peu sortie de son contexte. Quand il parle des statuts, il n’a pas tort. Vous signalez justement que les idées de Cahuc ne sont pas comparables à celles de Baverez ou Marseille. Vous auriez plutôt du citer d’Iribarne, dont le dernier livre, "l’étrangeté française" montre finalement avec beaucoup d’à propos en quoi l’obsession des statuts, basée sur une forme très particulière de rapport à celui-ci (la persistance de la notion de noblesse) a des effets très ambivalents sur notre pays.Je suis quand même ennuyé quand je constate qu’écrire "nous sommes marqués par certaines habitudes culturelles et nous avons beaucoup de mal à changer" soit finalement assimilé à "nous ne changeons pas et nous allons finir dans le mur". Le portrait chinois en fin d’article montre que ce n’est pas systématique.

  2. @ econoclaste : oui, le rapprochement cahuc – baverez/marseille est sans doute excessif, mais la formule qu’il emploie, reprise sous des formes diverses et variées par beaucoup, a le don de m’exaspérer. Il pointe un pb particulier -l’obsession des statuts- et avance une proposition générale contestable. Pour être plus précis, je dirais :1. "nous sommes marqués par certaines habitudes culturelles" : oui, comme tous les pays, ca n’est en rien spécifique à la France. L’inertie est d’ailleurs toujours ambivalente (cf ce que disent les évolutionnistes de l’inertie des routines, on peut généraliser à l’inertie des institutions, etc…)2. "et nous avons beaucoup de mal à changer" : non, pas plus qu’ailleurs, comme le montre l’étude commentée dans le billet.Ce genre de propos me semble de plus contre-productif : on ne pourra jamais rien changé, notre culture nous en empêche… Je trouve plus pertinent de se concentrer sur le problème soulevé (poids des statuts) et d’avancer des pistes de proposition.Bon, ceci étant dit, je n’ai rien contre Cahuc! j’ai plutôt fait un lien entre l’étude de Palier que j’avais sous les yeux et le papier de Cahuc, qu’on m’a tranmis dans le même temps!

  3. @Christian Lippi : merci pour cette référence, j’ai commencé à regarder, ca me semble plutôt pertinent! J’avais déjà vu le cahier temps réel de Fontagné sur les délocalisations, qui est aussi très intéressant.

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